Mme Annie,
Infimière-cheffe adjointe à la Croix Jaune et Blanche

Interview réalisée en janvier 2004

Avez-vous le temps de vous consacrer à l'écoute du patient ?

Nous rendons visite à 20-25 personnes par jour et nous avons donc un planning de travail très chargé. Nous devons également respecter un horaire strict car certains soins, tels que les insulines destinées aux diabétiques par exemple, doivent nécessairement être accomplis avant le déjeuner. Mais au cours de la même journée, tous les patients ne nous sollicitent pas de la même manière. Nous prenons le temps de nous consacrer au malade qui nous sollicite même si parfois nous devons lui consacrer notre propre temps. Jamais je n'ai refusé d'écouter un patient.

Quel est le profil de vos patients ?

Nous nous rendons surtout chez des personnes âgées. Nous pourvoyons à leur toilette deux à trois fois par jour lorsqu'elles sont incontinentes.

Nous nous consacrons également aux grands malades et aux mourants qui préfèrent recevoir des soins chez eux plutôt qu'en milieu hospitalier. Nous apportons également des soins à des personnes convalescentes qui viennent de quitter l'hôpital ou à des jeunes quand il s'agit de piqûres ou de pansements.

Quels sont les soins que vous apportez à domicile ?

Les principaux soins que nous apportons sont partagés entre les toilettes des patients, les piqûres sur prescriptions médicales et les pansements (pansements de plaies opératoires, d'ulcères, d'anus artificiels, etc.).

Les soins apportés par des infirmiers brevetés et par des bacheliers sont-ils les mêmes ?

Absolument. La Croix Jaune et Blanche engage à son service aussi bien des infirmiers brevetés que des infirmiers bacheliers. Nous effectuons les mêmes prestations étant donné qu'il s'agit de soins d'hygiène, de piqûres et de pansements. La plupart du temps, les infirmiers qui travaillent au sein de notre service ignorent quel est le diplôme obtenu par leurs collègues.

La différence de diplôme obtenu ne se marque pas de manière significative dans nos rapports de travail. Cette différence est davantage perceptible en milieu hospitalier.

Comment est organisée la journée d'un infirmier à la Croix Jaune et Blanche ?

Chaque infirmier est responsable d'un quartier. Il est autonome dans son secteur et y assume seul les soins demandés. L'infirmier entretient dès lors un contact plus approfondi avec les mêmes malades, ce qui est plus enrichissant sur le plan humain. Bien sûr, chaque jour, la distribution du travail est adaptée en fonction des besoins et des circonstances spécifiques à chaque quartier.
Une marge de souplesse est adaptée dans la gestion quotidienne de notre travail.

La journée est planifiée en fonction du type de soins que nous apportons et nous avons un programme strict à respecter.

Selon vous, quels sont les avantages et désavantages des soins à domicile par rapport au milieu hospitalier ?

Avantage(s) : nous disposons d'une voiture qui est utilisée dans tous nos déplacements, y compris ceux pour rejoindre notre domicile. Avoir à sa disposition un véhicule dont tous les frais sont pris en charge par le service représente un avantage non négligeable.
En ce qui me concerne, je préfère de loin pratiquer les soins à domicile. L'infirmier occupe une place dans la vie du patient qui n'est pas comparable à celle de l'infirmier en milieu hospitalier. Nous jouons un rôle fondamental, nous sommes attendus avec impatience. Nous faisons presque partie de la famille du patient.
J'apprécie également la grande part d'autonomie et de responsabilité qui nous est impartie. Les infirmiers en milieu hospitalier sont davantage dépendants du médecin, tandis que notre travail ne sera jamais supervisé par une tierce personne.
Le travail à domicile permet d'acquérir davantage de confiance en soi. C'est un aspect très motivant de notre travail.

Inconvénient(s) : ils se situe au niveau des déplacements que nous effectuons. Ceux-ci sont très répétés et l'infirmier est exposé à des changements fréquents de température. Il est donc indispensable de posséder une excellente condition physique pour exercer notre métier.

Cette plus grande autonomie n'est-elle pas parfois perçue comme un plus grand isolement vis-à-vis du malade ?

C'est vrai que nous sommes confrontés à des situations parfois difficiles qu'il faut pouvoir surmonter seul. Nous devons faire face à certaines situations d'urgence. L'infirmier en milieu hospitalier pourra toujours faire appel à un collègue en cas de nécessité, lorsqu'un patient souffre d'un malaise qui exige des soins d'urgence ou quand il s'agit de soulever un malade relativement lourd par exemple. C'est un aspect plus insécurisant de notre profession et c'est aussi la raison pour laquelle de nombreux infirmiers ont d'abord acquis une expérience en milieu hospitalier avant d'effectuer des soins à domicile. Mais que les candidats se rassurent néanmoins, un jeune infirmier sera toujours encadré par un infirmier plus expérimenté au début de ses tournées.

Par ailleurs, nous ne sommes pas complètement isolés parce que nous formons au sein de notre centre une véritable équipe. Nous entretenons de fréquentes réunions et nous échangeons énormément entre nous.

Cela nous soulage beaucoup de pouvoir faire part de nos expériences réciproques. Il y a une grande connivence entre nous.

Comment vivez-vous par exemple le côtoiement quotidien de personnes souffrantes ou mourantes ?

Je crois que, au fil des années, je parviens à mieux leur répondre mais je suis toujours aussi sensible à la douleur quotidienne des gens et je pleure encore chaque fois qu'une personne décède. J'ai la grande chance de trouver une écoute attentive du côté de ma famille et cela me soulage beaucoup de partager mes expériences avec mes enfants et mon mari. Mais comme beaucoup de mes collègues, il y a également de nombreux moments où je me sens heureuse d'apporter du réconfort à nos patients. Et ceux-ci me réconfortent également énormément.

Les horaires que vous pratiquez sont-ils conciliables avec une vie de famille ?

Absolument, la Croix Jaune et Blanche permet une grande souplesse dans les horaires de travail qui varient du temps plein au mi-temps en passant par les 9/10, 8/10, 7/10 et 6/10 du temps. D'autre part, notre centre essaie de répondre aux exigences de la vie familiale en adoptant des horaires qui soient conciliables avec celle-ci. Nous ne prestons qu'un week-end sur trois et, contrairement à nos collègues de l'hôpital, nous ne devons pas effectuer des prestations de nuit. Les journées s'étalent soit entre 8h00 et 16h30, soit entre 13h00 et 21h00. Ces horaires sont variables d'un centre à l'autre.

N'avez-vous jamais songé à vous installer comme indépendante ?

Non, je préfère le statut de salariée qui comporte davantage de sécurité en ce qui concerne les congés de maladie, les vacances, la pension. Pour le même travail effectué, l'indépendant gagnera trois fois plus mais il doit rechercher sa clientèle, assumer seul des horaires beaucoup plus lourds car il doit adapter son temps de travail aux besoins des malades. Travailler comme indépendant nécessite en outre une présence permanente à un secrétariat. Ensuite, l'indépendant ne pourra pas compter sur le soutien d'une équipe qui me paraît essentiel.

Après quinze ans d'ancienneté dans le métier, votre formation de base n'est-elle pas dépassée par l'évolution dans le domaine des soins médicaux ?

Nous avons la grande chance de bénéficier, au sein de notre centre, de formations de recyclage permanent. Ces formations sont intégrées dans notre horaire de travail et nous permettent de réactualiser nos connaissances acquises. C'est ainsi que nous avons eu l'occasion de suivre récemment une formation consacrée à l'écoute des malades, au diabète et à la manutention des malades.

Comment voyez-vous l'avenir de votre profession ?

Mon souhait est que les soins à domicile puissent continuer à se développer. Personnellement, je trouve inconcevable qu'une personne puisse mourir à l'hôpital en dehors de toute trace de son vécu personnel et familial. Au sein de notre service, nous mettons tout en œuvre pour que la personne puisse entièrement être prise en charge à son domicile et y bénéficier des mêmes soins et des mêmes services qu'à l'hôpital. Pour ce faire, nous travaillons avec l'aide d'autres organismes tels que les aide-familiales pour les services des repas et d’entretien ménager et les garde-malades pour les services de nuit. En ce qui nous concerne, il nous arrive de visiter un malade trois fois par jour pour qu’il bénéficie de tous les soins infirmiers nécessaires.

Qu’est-ce qui vous a motivée personnellement à exercer votre métier ?

Je sais que le mot "vocation" n’est plus à la mode et qu’il conviendrait d’utiliser un autre mot qui traduise davantage les valeurs de notre époque mais en ce qui me concerne, j’ai toujours éprouvé le besoin d’aider les autres et de me sentir utile à travers eux. Si c’était à refaire, je choisirais le même métier. 

Malheureusement, notre métier souffre d’une image de marque qui n’encourage guère de nouvelles recrues. Cette image de marque est souvent le reflet de critiques erronées de la part de ceux qui ne vivent pas notre métier de l’intérieur. C’est vrai que ce n’est pas toujours agréable de changer des malades ou d’effectuer des toilettes. Mais quand on envisage avant tout la relation avec la personne, les soins d’hygiène apparaissent secondaires. Ce qui est motivant dans notre métier, c’est surtout le feed-back affectif que l’infirmier reçoit de ses patients.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.