Mme Aurore De Pauw,
Responsable de crèche pour la Ville de Liège

Interview réalisée en novembre 2013

Selon vous, quel est le rôle d’une directrice de crèche ?

La gestion globale de la crèche. Cela reprend aussi bien la gestion des inscriptions des enfants, le traitement de leurs dossiers, la gestion du dossier médical, que le suivi de l’évolution et de l’autonomie des enfants. Tout ce qui touche à la gestion du personnel fait également partie de nos responsabilités : élaboration des horaires, résolution des problèmes de fonctionnement, réunions d’équipe et demandes de formations. Les relations avec les parents font aussi partie intégrante du travail. C’est une prise en charge globale de la famille, à tous les niveaux : relationnel, social, psychologique et financier. Je gère également tout le stock et le matériel, afin d’assurer le fonctionnement de la crèche. Il faut aussi être disponible pour le public, répondre aux questions sur les crèches, aux demandes d’inscriptions, aux candidatures spontanées. J’assure un service public, vis-à-vis de mes employés et des parents. Il faut être conscient que le contexte change fort le métier. Je dépends d’une grosse structure administrative donc mes responsabilités sont différentes des responsables indépendantes ou qui travaillent pour des plus petites structures.
 

Pouvez-vous nous présenter votre milieu d’accueil et son projet ?

La crèche des Petits Voyageurs est ouverte depuis le 1er octobre 2012. C’est un projet pilote élaboré par la Ville de Liège en collaboration avec la SNCB et l’ONE, dans le cadre d’un plan de mobilité. La crèche se situe dans la gare de Liège Guillemins, ce qui facilite les déplacements pour les navetteurs, ils gagnent au moins une demi-heure matin et soir. Le projet d’accueil a été construit avec l’équipe avant l’ouverture, avec le soutien de l’ONE. Nous avons également suivi une formation de démarrage pour nous y préparer. Le premier axe du projet concerne la visite à domicile : je rends visite à la famille accompagnée d’une puéricultrice avant l’entrée de l’enfant à la crèche. Le second axe porte sur le carnet de vie de l’enfant. C’est un carnet personnalisé remis par les parents, dans lequel les puéricultrices retranscrivent les informations concernant la journée de l’enfant. Les observations sont adressées en "tu" à l’enfant : "Je vois que tu as fait cela aujourd’hui". Les parents le reprennent tous les soirs et le complètent également, puis le ramènent le lendemain. Certains parents y mettent des photos des vacances. Cela crée un lien supplémentaire entre eux et l’équipe d’encadrement. Nous avons également créé des grilles d’observation que les puéricultrices utilisent dès qu’elles se posent une question par rapport au développement de l’enfant, à l’aménagement de l’espace, etc. C’est un outil qui permet à toute l’équipe de se remettre en question vis-à-vis de leurs observations et qui est aussi utilisé lorsque nous faisons appel à l’équipe psychopédagogique spécialisée en psychomotricité et en pédagogie. Le dernier axe choisi pour le projet met en place toute une série d’activités, principalement chez les grands. La journée est rythmée par des repères, comme l’activité "Bonjour" : sur une chanson, on dit bonjour à chaque enfant qui va ensuite accrocher sa photo au mur pour la journée. Il y a une activité de relaxation avant le repas de midi. Le brossage des dents après le petit déjeuner, le lavage des mains, toutes les activités sont mises en place pour constituer des repères et amener l’enfant vers l’autonomie et l’acquisition des règles de base de vie en société. Notre axe principal est avant tout le respect du rythme de l’enfant. S’il est fatigué le matin, on lui laisse l’opportunité de se reposer en dehors de la sieste, même chez les plus âgés. Comme nous avons des heures d’ouverture très larges (de 6h15 à 19h), les enfants qui arrivent à 6h n’ont pas le même rythme que ceux qui arrivent à 9h. Certains enfants sont là de 7h du matin jusque 18h30.
 

Pouvez-vous nous présenter votre équipe ? Les avez-vous recrutés vous-même ?

Il y a sept puéricultrices à temps-plein ; deux dames de service à mi-temps et moi, infirmière responsable à temps plein. Je ne porte pas vraiment le titre de directrice de crèche mais j’en assure la fonction. Notre structure est fort hiérarchisée, nous dépendons d’une infirmière en chef, d’une assistante sociale en chef, d’une cheffe de division et d’un directeur. J’ai eu la chance de réaliser les entretiens d’embauche du personnel avec la cheffe de division. Nous avions élaboré une grille d’entretien et d’évaluation. L’équipe a cependant changé depuis l’ouverture, le personnel étant engagé par la Ville de Liège et pas par une crèche en particulier. Il y a également des remplacements à prévoir. Lorsqu’une puéricultrice est enceinte, elle est écartée pendant un an.
 

Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?

J’ai fait des études secondaires générales jusqu’en quatrième année. En cinquième et sixième années, j’ai poursuivi par des études techniques de transition dans la section paramédicale. J’ai ensuite effectué un bachelier en soins infirmiers, suivi d’une spécialisation en santé communautaire. Je travaille depuis cinq ans pour la Ville de Liège.
 

Quels sont les éléments qui vous ont motivées à exercer ce métier ?

Je crois que c’est ma personnalité et mon histoire de vie qui m’ont conduite vers le métier d’infirmière. C’est aussi un métier avec énormément de débouchés, de portes ouvertes, nous permettant de choisir ce qui nous plaît. Mais il ne faut pas se lancer dans cette formation et ce métier si on n’a pas la vocation. Il faut une grande fibre sociale, humaine, de l’empathie et de l’écoute. J’ai choisi les crèches car j’avais envie de découvrir le monde des enfants sains. Et les horaires sont plus avantageux que dans d’autres métiers infirmiers : pas de travail la nuit, ni les jours fériés. Ce n’est pas négligeable pour la vie de famille.
 

Combien d’enfants accueillez-vous ? De quels âges ?

Nous avons trente-quatre inscrits, pour vingt-cinq places à temps plein. Les enfants ont entre zéro et deux ans et demi. C’est rare qu’ils restent plus longtemps car les parents préfèrent mettre leurs enfants à l’école maternelle dès qu’ils le peuvent, pour des raisons financières. D’après les règles ONE, nous pouvons accueillir des enfants jusqu’à la fin du premier trimestre des trois ans. C’est très rare que cela arrive, et dans ce cas l’enfant s’ennuie et tourne en rond. Il a appris ce qu’il avait à apprendre à la crèche. Il nous arrive parfois d’avoir des nouveaux-nés, qui n’ont pas encore un mois, dans le cadre d’un placement par le juge. J’ai créé un partenariat avec une famille d’accueil d’urgence. Nous avons déjà eu des demandes de parents indépendants qui ne bénéficient pas des congés de maternité et doivent recommencer à travailler après un mois.
 

Quel type de relation instaurez-vous avec les enfants ?

Je veux être très proche d’eux, dans le cadre d’une prise en charge globale de la famille. Si je restais tout le temps dans mon bureau, je ne pourrais pas instaurer une relation de confiance. C’est la responsable qui donne une image générale de la crèche. Il faut instaurer une relation de confiance avec les parents et avec les enfants. Il m’arrive de m’occuper d’eux, de leur donner à manger, simplement par plaisir ou en cas de manque de personnel. Ce n’est pas mon rôle à la base mais c’est important d’instaurer des moments privilégiés avec les enfants. Je passe du temps dans tous les services chaque jour. Je pense que notre façon de procéder est la bonne car nous n’avons presque jamais de pleurs le matin lors de la séparation. C’est un des premiers signes du climat de confiance que nous instaurons pour les parents, qui déposent leur enfant sans crainte ni culpabilité, et pour les enfants, qui le ressentent.
 

Et avec les parents ?

Nous leur rendons visite à domicile, avant même qu’ils ne pénètrent dans la crèche. Il ne s’agit pas d’un contrôle. L’objectif est la rencontre. Nous ne nous connaissons pas, nous nous rendons chez eux, en terrain inconnu avant qu’ils ne viennent à leur tour à la crèche. Un lien se crée préalablement et cela porte ses fruits. Dans la crèche où je travaillais auparavant, on ne faisait pas cette démarche et je constate vraiment la différence.
 

Et avec le reste du personnel de la crèche ?

Je cadre quand il le faut. J’ai des responsabilités, je suis garante du projet d’accueil, de l’hygiène, des normes imposées. Mais ma philosophie est aussi d’être proche de mon équipe et de la mener en bonne mère de famille. En cas de problème, je suis ouverte à la discussion et nous prenons les décisions ensemble. Je tranche quand c’est nécessaire. Je pense qu’il faut faire preuve d’écoute, d’empathie et d’humanité. En cas de dysfonctionnement, il faut que cela soit dit clairement également.
 

Pouvez-vous décrire une journée-type ?

Je passe beaucoup de temps au téléphone et sur l’ordinateur. Nous recevons énormément de demandes de places ou de renseignements par rapport à la crèche. Mais les journées sont toutes différentes, c’est un travail vaste et varié. La journée peut être rythmée par une consultation médicale, ou par la préparation ou l’encodage de celle-ci, par la gestion d’un problème au sein de l’équipe, par la visite de personnes extérieures, etc. C’est principalement un travail administratif. Et tout ce qui est plus pratique est toujours retranscrit ou encodé. Ma fonction comporte deux pôles principaux : l’administratif et le relationnel.
 

Quels sont vos rapports avec l’ONE ?

Très bon. C’est un grand soutien et une ressource. Ils sont aussi là en contrôle mais c’est avant tout une collaboration. Ils viennent nous rendre visite à la demande quand on contacte le siège subrégional ou la coordinatrice ONE. Et celle-ci vient faire un contrôle une fois par an.
 

Avez-vous effectué des aménagements des locaux ?

Le bâtiment est mis à notre disposition par la SNCB et c’est la Ville de Liège qui a financé l’installation et la mise en conformité. Si je constate un dysfonctionnement, un besoin, je me charge de la demande de travaux. A la suite d’un contrôle, comme ceux de l’AFSCA par exemple, il y a également des aménagements à réaliser, et je transmets leurs requêtes. C’est la Ville de Liège qui se charge du reste (réalisation, financement).
 

Avez-vous des partenariats avec d’autres structures ?

Nous avons créé un partenariat avec d’autres crèches de la Ville de Liège : la team solo. Elle regroupe quatre crèches au sein desquelles il n’y a qu’une seule responsable. Nous nous réunissons une fois par mois pour aborder tous les aspects de nos fonctions selon les besoins. Nous parlons des situations difficiles rencontrées avec les parents, avec le personnel, de questions plus pointues concernant une difficulté administrative, de création d’outils, etc. Avant la mise en place de cette team, je travaillais déjà en partenariat avec une collègue. Nous nous sommes rapprochées car nous partagions le même médecin lors des visites médicales. Nous avons mis en place des journées de formation où les deux équipes étaient réunies. Ces projets se font à notre initiative mais avec l’accord de notre hiérarchie.
 

Quels sont vos horaires de travail ?

Trois journées de 9h à 18h, une journée de 7h à 12h et une de 9h à 16h. Cet horaire comprend 37 heures, mais mon horaire officiel est de 36 heures par semaine, je pars donc certains jours un peu plus tôt, où j’arrive un peu plus tard, selon les besoins de la crèche.
 

Quels sont les aspects positifs de votre métier ?

La relation avec les enfants. Un enfant vous procure une joie de vivre, des sourires, même dans les moments les plus difficiles à vivre. Cela remotive toujours, l’enfant nous apporte autant qu’on lui apporte. C’est aussi un métier très varié, sans routine. La collaboration avec les parents apporte beaucoup de satisfaction également. Le travail d’équipe est très important à mes yeux, et dans ce concept, je n’inclus pas uniquement les puéricultrices mais aussi le personnel d’entretien, les partenaires extérieurs, les parents et les enfants également. Enfin, c’est un métier dans lequel j’apprends tous les jours de nouvelles choses.
 

Et les aspects les plus négatifs ?

La gestion de l’équipe n’est pas toujours évidente. La formation d’infirmière ne nous prépare absolument pas à gérer du personnel. La relation avec les parents n’est pas toujours rose, ils pensent parfois uniquement à leur enfant et à leurs souhaits sans penser à la collectivité et aux normes que nous devons respecter. C’est un métier qui peut engendrer beaucoup de stress auquel il faut apprendre à résister.
 

Quelles qualités faut-il posséder pour exercer ce métier ?

L’empathie, l’écoute, l’organisation et la remise en question.
 
 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.