Mr Bernard Perpete et Mr Sylvain Goldberg,
Doubleurs

Fondateurs de "Made in Europe", la principale société de doublage en Belgique. 

Quelle est la genèse de Made in Europe ? 

BP : j'avais envie de faire autre chose que de la télévision qui m'occupait deux jours par semaine. Comme le reste du temps, je ne faisais rien, je devenais très fainéant. Avec Sylvain et un troisième partenaire, nous avons créé, en 1992, Made in Europe qui est exclusivement une société de doublage. Elle est le leader sur le marché belge et est reconnue à Paris comme étant la seule compétitive. Mais les choses n'allaient pas de soi. Il a fallu créer la demande, s'imposer, se battre pour exister et être reconnus.

Comment devient-on doubleur ? 

BP : aucune étude n'y prédispose vraiment. Si on a suivi des cours d'art dramatique, c'est mieux, quoiqu'on en soit très éloigné, le jeu au théâtre n'est pas le même qu'au cinéma. Il faut avoir dès le départ des dons qu'un comédien extraordinaire n'aura pas forcément. Ce n'est pas parce que l'on est bon comédien que l'on est bon doubleur, et inversement. Les contraintes, au doublage, sont énormes. Non seulement il faut jouer vrai et juste mais en plus être synchrone. Un doubleur est un caméléon: il lui faut parler et respirer comme le comédien qu'il double et non comme il aimerait le faire. C'est la principale difficulté que rencontrent les doubleurs débutants. 

Concrètement, comment se passe un doublage ? 

BP : comme au cinéma, on ne travaille pas chronologiquement, de manière à retenir les comédiens le moins longtemps possible. Sur le plateau, le directeur artistique est censé connaître le film sur le bout des doigts et peut ainsi renseigner le comédien sur son contenu et son esprit, sur la personnalité et l'humeur du personnage qu'il double, sur le contexte de la scène à doubler, etc. Car, dans 90% des cas, le comédien n'a pas vu le film. Il doit donc savoir où en est son personnage dans telle ou telle situation. Le film est partagé en coupes allant de vingt à cinquante secondes. Le comédien voit en v.o. la séquence qu'il doit doubler. En fait, il écoute surtout comment le comédien joue son texte, à quel moment il appuie, où se trouvent les inflexions, etc. 

Combien de temps prend le doublage d'un long métrage ? 

BP : cela dépend de la destination du film. Si c'est un téléfilm, il faut compter deux à deux jours et demi d'enregistrement et une journée de mixage. Par contre, si c'est un film destiné à sortir en salles, le travail sera plus soigné, il faut compter une semaine d'enregistrement. 

Combien coûte le doublage d'un film ? 

SG : c'est extrêmement variable, selon la destination du film. Le cinéma coûte plus cher que la vidéo ou la télévision et selon différents critères, tels la durée du film, l'importance du texte, le nombre de comédiens et d'autres éléments techniques. En fait, le doublage est le parent pauvre de la post-production, il arrive à l'extrême bout de la chaîne. Une fois finie la post-production, il faut encore trouver un peu d'argent pour le doublage. Mais je pense que les choses sont en train de changer. 

Pourquoi certains films sont-ils bien doublés et d'autres pas ? 

SG : il y a plusieurs facteurs. D'abord, la qualité du texte. Davantage que traduit, celui-ci doit être adapté selon des impératifs très précis, et principalement le synchronisme. Ensuite, le choix des comédiens dont la voix doit avoir le même timbre que celle de l'acteur doublé. Vous ne pouvez pas, par exemple, donner une voix fluette à un personnage très gros, à moins de vouloir créer un effet comique. Ou doubler un acteur de vingt ans par un autre de quarante. Dans ce cas-là, cela fait trop doublage. 

BP : il y a plein d'occasions de faire un mauvais doublage, chaque étape étant très importante. Il y a d'abord l'adaptation du texte en français. Elle fonctionnera si l'adaptateur a compris la sensibilité du film et possède une certaine richesse de langage. Il faut ensuite que les comédiens soient à la hauteur, que le directeur de plateau soit suffisamment exigeant dans son travail et que l'ingénieur du son, qui capte le son et fait le mixage, soit extrêmement rigoureux. Le meilleur doublage est celui dont on ne parle pas. 

Le doubleur n'a t'il pas tendance à surjouer comme ce qui se voit dans les feuilletons télé ? 

BP : c'est un métier qui réclame une grande humilité. L'Oscar, ce n'est pas le doubleur qui l'aura. Et c'est vrai que le débutant tend à en faire trop, à vouloir trop prouver, à trop se mettre en avant. Or, il faut savoir rester en retrait. 

SG : il ne faut pas imposer sa personnalité. Tout l'art du directeur de plateau est de retenir les comédiens pour établir de vrais rapports entre l'image et la voix du comédien. 

Est-il plus facile de doubler un dessin animé qu'une fiction ? 

BP : ce n'est pas sûr. Le dessin animé exige un grain de folie. Le doubleur ne doit pas hésiter à prendre des voix ou des intonations insensés. Je dis toujours aux comédiens que s'ils ont l'impression d'avoir l'air idiot au moment de doubler, ils ne se trompent pas, ils ne doivent pas craindre cette forme de ridicule. D'ailleurs, certains d'entre eux doublent très bien des acteurs mais pas des personnages de dessins animés. Il faut se rappeler également que le succès de bien des personnages de dessins animés, Bugs Bunny par exemple, est dû à leur voix. 

SG : cela dit, peut-être est-ce techniquement un peu plus simple car les impératifs de "lipping" sont moins importants. 

Les producteurs ou réalisateurs ont-ils parfois des exigences ? On sait par exemple que Kubrick est très attentif au doublage de ses films ...

BP : en télévision, qui est le secteur dans lequel, jusqu'à aujourd'hui, nous avons principalement travaillé, on n'entre en général jamais dans ce type de considérations. Même s'il arrive à certaines maisons de production de vouloir choisir les voix. 

Existe t'il des "écoles" de doublage ? Entre la France et la Belgique, par exemple ? 

SG : non, il y a des bons et des mauvais doubleurs, c'est tout. Ce que l'on recherche sur le marché francophone, c'est la fraîcheur dans le jeu et de nouvelles voix. 

Quelle est la législation européenne en matière de doublage ? 

BP : elle est très claire. Il y a, en Europe, libre circulation des biens et des personnes. Mais il faut compter sur l'attitude de chacun des pays. Jusqu'à il y a peu, la France imposait par un décret, ce qu'elle n'avait pas le droit de faire, que tous les films extra-européens 35 mm destinés à l'exploitation en salles sur son territoire soient doublés en France dans des studios français. C'est ainsi que des films 35 mm doublés en Belgique ont failli ne pas recevoir de visas d'exploitation pour le territoire français. Ce qui est illégal. 

SG : ce décret a disparu. Désormais, d'après la nouvelle loi, le visa est accordé à un film pour autant qu'il soit doublé dans un pays de l'Union européenne. Made in Europe peut donc ainsi s'ouvrir d'avantage au marché du cinéma. L'effet a été immédiat : nous avons déjà eu des contacts avec des clients susceptibles de nous confier des films importants. 

Qu'apportez vous de plus que vos concurrents français ? 

SG : nous proposons un service personnalisé, une ambiance de travail agréable, une grande motivation. Le doublage est, pour nous, un art à part entière. Par ailleurs, nous offrons un choix de nouvelles voix sur le marché francophone, nous apportons un vent frais. Enfin, le rapport qualité/prix de nos prestations est compétitif. 

Doublez-vous régulièrement les mêmes acteurs ? 

BP : dans Légendes d'automne, film qui a été doublé en France mais où, par le plus grand des hasards, deux des acteurs principaux sont doublés par des Belges, je double Brad Pitt. Mais je ne suis pas son doubleur attitré, cela dépend de la maison de production. 

SG : j'ai doublé John Hulce dans Frankenstein, de Kenneth Brannagh, et, dans Légendes d'automne, Henri Thomas, le petit garçon de E.T. Dans Coups de feu sur Broadway, de Woody Allen, je double John Cusack.
C'est sur base d'essais de voix que j'ai été retenu. La grève des doubleurs, qui a duré plusieurs mois en France en 1995, nous a permis de nous placer sur le marché français. Sans quoi jamais, à aucun moment, on ne serait venu nous chercher. Elle a donné un coup de projecteur sur l'industrie du doublage en Belgique. 

BP : cela a également permis de faire taire nos détracteurs qui affirmaient que doubler un film en Belgique, avec l'accent bruxellois, c'était à hurler de rire. Aujourd'hui, tout le monde sait bien que l'on peut faire d'excellents doublages en Belgique, que les comédiens n'ont pas d'accent. La preuve, quand on a été choisi sur des essais de voix, personne ne savait qu'il s'agissait de voix belges. 

Pour vous, le doublage est un véritable métier ? 

BP : évidemment. Ce n'est pas un hobby. Suite à des petites annonces que nous publions parfois, nous recevons des lettres de gens disant qu'ils feraient bien cela comme passe-temps. On en a même reçu une de quelqu'un qui disait vouloir travailler comme doubleur pour payer ses factures.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.