Mr Charles Neuforge,
Journaliste Reporter d'image (JRI)

Vouliez-vous devenir JRI à la base ?

Non. Ça a été proposé à un moment par la direction à l'ensemble des journalistes et cameramen salariés de la rédaction. A Liège, l'utilisation du système JRI s'est imposée car la rédaction possédait deux “matériels“ pour un cameraman. Nous avons tous suivi une formation dispensée par une institution française, avant de recevoir une “formation maison“. Les journalistes ont été formés à la pratique de la caméra, tandis que les monteurs ou les cameramen ont reçu une formation à un autre métier (le montage pour les cameramen et la caméra pour les monteurs). En tant que journaliste, j'ai donc appris le maniement de la caméra : cet apprentissage n'a duré que trois semaines. Sans vouloir parler “d'expérience préalable“, travailler depuis dix ans avec un cameraman donne une certaine idée des contraintes de ce métier, des gestes, mais pas de l'utilisation des moyens techniques. C'est par la suite que la pratique s'est révélée intéressante à mes yeux. D'autres n'ont pas prolongé l'expérience.

Quelle est la plus-value d'un JRI par rapport à l'équipe bicéphale classique (journaliste + cameraman) ?

Au départ, l'objectif m'apparaît comme essentiellement financier : une personne fait deux métiers au lieu d'un. Il y avait 2 journalistes et 2 cameramen avant à Liège. Aujourd'hui, il reste 2 journalistes mais un seul cameraman. Une prime est attribuée à la personne qui fait un reportage en JRI (tournage + texte ou tournage et montage ou tournage + montage+texte).

Vous considérez donc cette fonction comme un cumul de 2 métiers plutôt que comme un tout indissociable ?

Après avoir travaillé pendant une dizaine d'année sur un autre mode (en collaboration avec un cameraman), j'estime effectivement que, lorsque je suis amené à travailler en JRI, je fais un métier supplémentaire à ma fonction initiale. Je fonctionne en fait selon 2 modes : soit j'agis seul, en tant que JRI, soit je travaille en équipe (avec un cameraman) et je reprends alors mon rôle de journaliste reporter classique. Il m'arrive aussi parfois d'intervenir uniquement en tant que cameraman. Quelqu'un qui n'aurait connu que la pratique JRI vous répondrait sans doute différemment.

Le JRI est un peu l'homme-orchestre du journalisme puisqu'il allie les capacités techniques de l'opérateur de prises de vue aux qualités d'initiative et de jugement du journaliste reporter. Comment procédez-vous concrètement ?

Certains sujets sont plus faciles à couvrir en JRI, notamment ceux où il y a une unité de lieu. Par contre, pour les sujets de fonds ou ceux qui nécessitent des déplacements nombreux (filmer des choses en mouvement, sur la route par exemple), ça se complique. Donc, l'équipe détermine les reportages qui sont plutôt JRI lors de la réunion de rédaction à 9h du matin.

Dans la pratique, nous essayons de favoriser l'alternance pour éviter qu'une personne ne soit JRI en permanence. Je dirais qu'à mes yeux, le travail en JRI est plus lourd tant physiquement que nerveusement. C'est aussi une gymnastique de l'esprit : parfois, on se retrouve avec la caméra dans une main, le pied, le sac avec le micro, les batteries et les cassettes dans l'autre main. Souvent, on ne prend pas le pied et on trouve un point d'appui. Pour moi, ce sont les interviews qui sont le plus “rock'n'rol »l. Il y a 2 techniques possibles. La première consiste à tourner, caméra à l'épaule droite, et à tenir le micro dans la main gauche. Dans ce cas, il faut bien briefer la personne interviewée, pour qu'elle regarde le bon oeil du JRI (à savoir, celui qui n'est pas dans l'oeilleton de la caméra). L'autre technique consiste à placer la personne à un endroit déterminé, à faire le réglage et à s'asseoir à côté de la caméra pour l'interviewer.

Etant donné que l'image joue un rôle essentiel dans le JT, la fonction de JRI paraît logiquement incontournable. Or, si elle est très courante dans d'autres pays, et notamment chez nos voisins de l'Hexagone, elle semble peu représentée en Belgique (du moins dans le service public). Comment cela  s'explique-t-il ?

J'ignore pourquoi cette pratique est arrivée tardivement en Belgique. Plusieurs facteurs interviennent sans doute. Il y a 20 ans, une équipe de reportage était constituée de 3 personnes (journaliste + cameraman + preneur de son) ; ensuite, on est passé à 2 personnes (journaliste + cameraman) avant de passer à la formule JRI. Ça ne fait donc pas encore vraiment partie des habitudes, notamment au niveau de la formation. Intervient sans doute aussi un phénomène de résistance au changement de la part de certains journalistes et cameramen. Mais, à mes yeux, c'est très clairement une méthode de travail qui est incontournable (notamment pour des raisons économiques).

Globalement, considérez-vous votre métier comme dangereux ?

Ça dépend des situations. Un banquier n'imagine pas que son métier est dangereux jusqu'à ce qu'il se fasse braquer. J'ajouterai que le binôme “cameraman-journaliste“ est plus sécurisant dans la mesure où le journaliste est censé “protéger“ son cameraman, celui-ci n'ayant pour vision que ce que l'objectif de la camera lui permet de voir. Son angle de vision est donc très limité.

Quel est votre parcours ?

Déjà enfant, je rêvais d'être journaliste. Avec des jouets, je mettais en scène des Tours de France, dont j'assurais les commentaires, le bruitage, etc. Quand j'ai eu 17 ans, j'ai collaboré à un quotidien bilingue qui s'appelait le “Lloyd anversois“, avant de travailler comme correspondant occasionnel à “La Cité“ (n’existe plus actuellement).

J'ai suivi des études d'assistant social et comptais faire un master universitaire en communication. Des problèmes administratifs ont reporté mon inscription. Plutôt que d'attendre un an, j'ai fait mon service militaire. A la fin de celui-ci, j'ai préféré chercher du boulot que de repasser par la case “unif“. C'était l'époque des radios libres. “La Dernière Heure“ (actuellement la DH) et “La Libre Belgique“ cherchaient un journaliste capable de faire des flashs d'information. J'ai été intégré à l'équipe “radio“ des deux quotidiens. Ensuite (tout en continuant la radio), j'ai présenté une émission de cinéma sur une chaîne de télévision locale (en collaboration avec “La Libre Belgique“). C'est à ce moment qu'on m'a proposé un contrat en presse écrite à condition de stopper mes activités audio-visuelles. Curieux retour des choses, deux mois plus tard, je devenais correspondant pour RTL à Liège !

Un an après, j'ai intégré RTL-Tvi à Bruxelles lors de sa création. A présent, je suis responsable du bureau de Liège, donc je suis moins souvent sur le terrain mais j'interviens encore régulièrement en TV ou en radio, selon les besoins.

Quel est votre statut ? Pourriez-vous donner une échelle de rémunération pour votre fonction ?

Je suis employé avec un contrat à durée indéterminée et ma rémunération n'est pas soumise à un barème.

Pourriez-vous définir une journée type ?

Je peux donner un canevas. En télé, il y a une réunion de rédaction à 9h. Nous sommes en contact (conférence téléphonique) avec Bruxelles et les 3 autres bureaux régionaux. Chaque bureau propose des sujets de reportages. Les choix sont faits en fonction de l'actualité, des moyens disponibles. Le travail est alors réparti : certains partent sur le terrain, d'autres restent à la rédaction pour traiter de l'EVN (traitement d'images internationales). Après les tournages (ou la réception des images), on passe au montage du sujet. Il faut encore le mixer et l'envoyer. Les journalistes continuent à consulter les dépêches ou les sources d'informations qui leur permettent de “suivre“ leur sujet. Ils communiquent aussi leurs informations au présentateur (qui écrit son “chapeau“ en fonction de ces éléments) ainsi que les panneaux à la scripte. Puis, le sujet est diffusé à 13h. Ensuite, tout recommence à 14h30 avec une nouvelle réunion de rédaction, où nous décidons de ce que nous gardons ou modifions, où nous déterminons les nouveaux sujets de reportage pour le journal de 19h.

Quels sont les aspects les plus positifs de votre travail ?

Il y en a énormément. Personnellement, j'apprécie de commencer ma journée sans savoir ce qui m'attend, même si certains peuvent trouver cela déstabilisant. Il y a aussi les rencontres, les découvertes, parfois les voyages.

Et les aspects négatifs ?

Ça peut être contraignant, usant et stressant mais le positif l’emporte dans la balance. Je dirais aussi que c’est un métier très “prenant“, parfois difficilement conciliable avec une vie de famille.

Quelles sont les qualités que doit posséder un JRI ? 

Il faut être touche à tout, avoir l’esprit ouvert et être curieux. 

Auriez-vous un souvenir professionnel marquant à raconter ? 

Ce qui m’a le plus surpris : au début des événements en Ex-Yougoslavie, je suis parti un jeudi après-midi pour être le vendredi matin à la frontière slovène. En arrivant d’Autriche par la route, le cameraman, avec lequel j’étais parti, et moi apercevons une colonne de fumée. On se dit, sans trop y croire : “ça a commencé, ils sont en train de brûler la frontière“. En fait, la guerre commençait réellement. Nous sommes restés là pendant 10 ou 12 jours, dans un univers de guerre inconnu pour nous. Ça m’a profondément marqué. Par la suite, je suis retourné à 7 reprises en Croatie, en Serbie et en Bosnie. 

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un intéressé par ce métier ? 

De ne jamais hésiter à pousser une porte pour réaliser ses rêves.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.