Mr Didier Van Caillie,
Docteur en Administration des Affaires, Chercheur et Professeur à HEC-Ecole de Gestion de l’ULiège, Directeur du Centre d'Etude de la Performance des Entreprises (CEPE)

Interview réalisée en novembre 2015

Selon vous, que sont l’économie et la gestion ? Si vous deviez les résumer en quelques mots ou quelques phrases …

L’économiste aura plutôt tendance à chercher à expliquer le pourquoi des choses, le contexte dans lequel des évènements économiques et sociaux vont apparaître et se développer. Tandis que le gestionnaire va avoir une vision plus micro-économique focalisée sur une entreprise ou une organisation. Il va chercher comment il va pouvoir agir pour, d’une part identifier les causes d’un problème, et d’autre part y remédier. Le premier est plus orienté vers la réflexion, l’analyse et la mise en contexte ; tandis que l’autre est plus orienté vers l’action concrète, de terrain, opérationnelle.

Quel est le rôle d’un économiste ?

Dans nos sociétés actuelles, l’économiste a surtout pour mission d’expliquer et de mettre en évidence les raisons pour lesquelles des phénomènes économiques, sociaux ou démographiques de masse se produisent et d’essayer de comprendre comment ils s’enchaînent pour mener à la situation que nous connaissons à l’heure actuelle. C’est une vaste question !

Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?

Dans l’enseignement secondaire, j’avais choisi les options latin-math, j’ai également suivi les cours additionnels de math pour préparer l’examen d’entrée aux études d’ingénieur civil (polytechniques), mais je n’ai finalement jamais présenté l’examen. J’ai étudié à l’Université de Liège, à l’Ecole d’Administration des Affaires (actuellement, HEC-Ecole de gestion de l'ULiège), avec une orientation finances, banques et assurances. L’informatique de gestion était alors en émergence et en plein développement. Je m’y suis vite intéressé, ce qui m’a valu d’être recruté comme assistant à l’Université en informatique de gestion. On m’a ensuite confié des missions de chargé d’études à caractère plus économique, dans un courant de recherche financé par la Fondation Roi Baudoin et consacré à l’esprit d’entreprise. J’ai été impliqué pendant cinq ans dans la préparation et la réalisation d’études portant sur l’innovation, la croissance des PME (Petites et Moyennes Entreprises), leur internationalisation, etc. Cela m’a amené à combiner ces différentes dimensions dans la réalisation d’une thèse de doctorat en 1992. Ma thèse avait à la fois un caractère économique et gestionnaire, elle portait sur la prédiction et prévention des faillites des PME. Le volet économique se trouve dans la prédiction : est-ce qu’on peut prévoir, à un horizon de temps relativement long, si une petite entreprise va tomber dans une situation de faillite. L’aspect gestionnaire se trouve du côté de la prévention : est-ce qu’on peut empêcher cela. Dans la foulée, je suis devenu responsable de recherches, porteur de projets d’études économiques. L’un d’eux portait, par exemple, sur la CNCP (Caisse Nationale de Crédit Professionnel), aujourd’hui devenue BeoBank. Il s’agissait d’étudier le financement des PME dans neuf filières industrielles différentes. C’était ma dernière grosse recherche à caractère macro-économique. Par la suite, je me suis davantage orienté vers le contrôle de gestion comptable et budgétaire. En 2000, j’ai créé un centre de recherches, essentiellement orienté gestion, portant sur l’étude de la performance des entreprises, privées ou publiques, grandes ou petites. Avec le temps, les études se sont spécialisées sur les petites entreprises privées et les institutions à caractère public. Depuis cinq ans, nous plongeons de plus en plus à l’intérieur des organisations et avons développé des recherches dans le contrôle de gestion organisationnel. Ces recherches et interventions en organisation ont pour but d’agir sur les leviers culturels, individuels et organisationnels qui vont permettre d’améliorer la performance. Autrement dit : comment faire en sorte que les entreprises communiquent mieux, fonctionnent mieux et qu’elles placent plus aisément des gens dans des rôles ou des postes pour lesquels ils contrôlent et gèrent bien les risques. C’est du contrôle de gestion opérationnel (CGO). Un économiste ou un gestionnaire est quelqu’un qui doit pouvoir évoluer en fonction des circonstances, des opportunités et de l’évolution du contexte.

Quels sont les éléments qui vous ont motivé à faire ce métier ?

J’ai choisi d’étudier à l’École d’Administration des Affaires parce qu’il y avait de tout, cette formation était très transversale, très globale : du droit, des sciences humaines, des mathématiques, des probabilités, des langues qui sont également indispensables. Ensuite, c’est le hasard qui m’a conduit à poursuivre. Un projet en entraînant un autre, et comme je m’amusais bien, j’ai continué. C’est un environnement et une thématique dans lesquels j’ai eu l’occasion de me réaliser. C’est principalement une affaire de circonstances et d’opportunités, être au bon endroit au bon moment.

Pouvez-vous nous présenter vos différentes fonctions ? (enseignement, recherche, autres ?)

Comme tout professeur à l’université, j’ai trois casquettes, trois facettes. Au niveau de l’enseignement, mes cours portent sur le contrôle de gestion organisationnel, le contrôle de gestion plus comptable et budgétaire (financier), la gestion de la performance (que ce soit pour des entreprises existantes ou pour des activités anticipées/des projets en phase de création) et enfin la gestion intégrée et le contrôle des risques. La recherche y est étroitement connectée, aujourd’hui elle porte principalement sur la gestion du risque et tout ce qui en découle : contrôle du risque, culture de risque, culture de sécurité, etc. Tous les éléments de structuration qui permettent à une entreprise de faire face à des imprévus sans que cela tourne systématiquement à la catastrophe. Le paradoxe dans ce domaine, c’est qu’on passe son temps à étudier des catastrophes. On part de l’analyse des incidents pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné et en tirer des règles et pratiques de bonne gestion. Les secteurs sur lesquels nous travaillons en ce moment sont les hôpitaux et les industries. Le troisième volet de ma fonction est le service à la communauté : conseil et intervention en entreprises pour aider à résoudre des situations à problème ou pour former des acteurs de l’entreprise à l’une ou l’autre thématique. A côté de tout cela, il faut chercher des fonds pour financer les recherches, recruter les collaborateurs, etc. Je pilote également la cellule de gestion intégrée de l’ULiège (consultant interne). J’interviens régulièrement dans la presse pour parler de stratégies d’entreprises et des risques qui les accompagnent.

Dans quel(s) lieu(x) exercez-vous votre profession ?

Je donne des cours à HEC-ULiège et en Facultés de Médecine et de Sciences Appliquées. Je donne des conférences en entreprises, dans d’autres Universités et d’autres centres de recherches. Je suis rarement dans mon bureau ! Je participe à des conférences internationales chaque année. Les contacts sont de plus en plus internationaux, c’est une caractéristique de l’évolution de mon service. 80% des activités de recherche portent sur l’international, notamment en termes de recherches doctorales. Les moyens de financement sont à l’étranger également, il n’y a donc presque plus de recherche "locale".

Travaillez-vous seul ou en équipe ?

Toujours en équipe. On peut difficilement faire une recherche en sciences économiques et de gestion ou faire de l’enseignement seul. Les thèmes sont tellement transversaux et globaux qu’on doit travailler en interaction. On ne peut pas être moyennement bon dans tout. Le problème est de parvenir à maintenir une stabilité de l’équipe. Les équipes tournent rapidement, tous les deux ou trois ans. Cela fait partie des réalités du métier d’un centre de recherches.

Combien d’étudiants, d’assistants et de chercheurs encadrez-vous ?

J’encadre deux chercheurs de l’ULiège et cinq chercheurs invités provenant d’autres Universités. Mes étudiants sont une centaine en bachelier et environ 250 en master. J’ai en ce moment huit doctorants/thésards.

Collaborez-vous avec d’autres chercheurs ?

Oui, c’est inévitable, il faut être intégré dans des groupes de recherches. Plus aucun projet un peu sérieux ne se monte s’il n’est pas soutenu par trois ou quatre piliers. Même les duos ont de plus en plus de mal à passer, ce qui rend le montage des projets encore plus complexe que par le passé. Certains regroupent uniquement des chercheurs belges (comme ceux financés par Belspo-Service public de programmation de la Politique scientifique fédérale), mais beaucoup sont européens et certains mondiaux. Tout dépend de l’organisme qui finance.

Des exemples de collaborations avec le monde de l’entreprise ?

Dans les disciplines que j’aborde, ce type de collaboration est indispensable. Cela va de grosses entreprises comme Boehringer Ingelheim (entreprise pharmaceutique), Air Liquide (société gazière) et Boiron (laboratoire pharmaceutique) aux entreprises de plus petite taille comme Lampiris (énergie verte) mais aussi de grandes institutions comme le CHU (Centre Hospitalier Universitaire de Liège). Enfin, nous collaborons régulièrement avec des micro-entreprises ou avec des consultants. Nous sommes "consultants pour des consultants". Ce sont les entreprises qui font appel à notre expertise quand elles rencontrent un problème. Elles contactent l’Université, HEC ou directement mon service en espérant trouver des pistes de solution à leur problème. Nous travaillons dans une logique de réponse aux demandes, qui peuvent couvrir des questionnements très variés. C’est un élément qui rend le métier intéressant, on apprend des choses tous les jours. C’est un facteur de motivation essentiel.

Avez-vous des exemples de collaborations avec le monde politique, institutionnel, etc. ?

Oui, durant toute une période de ma vie, j’ai énormément exercé comme expert auprès du monde politique et institutionnel : présentations, communications et exposés dans les commissions du Sénat, recommandations et propositions politiques pour des institutions comme la Fondation Roi Baudouin, etc. Actuellement, nous collaborons avec un cabinet pour établir des recommandations en matière de développement : comment inciter les PME à mieux exporter et mieux appréhender les risques à l’exportation.

Pouvez-vous nous présenter votre objet de recherche principal ?

Pour le moment, c’est la culture de sécurité et ses déterminants. Sur quels leviers doit-on agir pour construire une organisation, un service, une entreprise ou un département qui soit capable de faire face et réagir à l’imprévu ? Comment mettre en place une organisation qui ne soit pas prise au dépourvu face à l’apparition d’un phénomène inattendu ? On parle ici de sécurité financière, gestionnaire, opérationnelle, industrielle, etc. Par exemple, on s’interroge sur la culture d’entreprise à construire pour que l’opérateur qui constate que sa machine "part en quenouille" décide d’appuyer sur le bouton qui va tout arrêter même si la procédure ou le manuel d’utilisation dit le contraire. Comment faire en sorte que les gens travaillent en respectant les règles tout en étant capables de ne pas les respecter quand il ne faut pas les respecter ? On aborde ici la problématique de la responsabilisation.

Quels sont vos horaires de travail ?

Je n’ai pas d’horaire de travail fixe. Il y a un horaire de travail légal et officiel à l’Université qui est d’environ 40 heures par semaine, mais on est toujours bien au-delà de ça. Un professeur d’université et chercheur ne compte pas ses heures.

Quels sont les aspects positifs de votre métier ?

Autonomie, liberté d’action, liberté d’entreprendre, je suis en quelque sorte un entrepreneur englué dans le monde de la recherche.

Et les aspects les plus négatifs ?

La nécessité de se battre pour trouver des financements pour les projets de recherche. Et la lourdeur administrative qui l’accompagne. Trouver des financements de longues durées est de plus en plus difficile de nos jours. C’est le grand problème de la recherche fondamentale en Belgique.

Quelles qualités faut-il posséder pour exercer ce métier ?

Capacités analytiques, capacité à prendre du recul, curiosité et vision transversale (comprendre le fonctionnement du tout et pas seulement de ses composants).

Quel conseil donnez-vous à quelqu'un qui souhaite se lancer dans ce métier ?

Je lui conseille d’être curieux vis-à-vis de l’économie, du fonctionnement des organisations. Les organisations sont des êtres vivants composés de milliards de cellules qui sont les individus. Comprendre la manière dont cela fonctionne est aussi passionnant que d’être biologiste par exemple. En plus, contrairement aux sciences qui sont plus déterministes, tout est imprévisible dans le domaine économique !

L’économie est-elle un domaine porteur en termes d’emploi ?

Oui, clairement. On aura toujours besoin d’économistes. Les contextes sont continuellement changeants et évoluent de plus en plus vite, on aura de plus en plus besoin d’économistes pour comprendre comment cela fonctionne. On trouve beaucoup de débouchés du côté gestion opérationnelle mais on a également besoin de profils plus analytiques. Quand les jeunes se posent des questions par rapport au choix de leurs études et des débouchés, je pense qu’il n’y a pas vraiment de bon ou de mauvais choix. Fondamentalement, il faut choisir des études où l'on se réalise, dont on a envie. Certaines options offrent plus de débouchés et d’opportunités d’emplois que d’autres mais je crois qu’il vaut cependant mieux choisir ce qui nous épanouit pour être bon dans son domaine de prédilection plutôt que de devenir un mauvais économiste ou un mauvais gestionnaire.

Comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?

J’irai là où les circonstances me porteront. Il ne faut jamais fermer les portes, toute proposition mérite d’être étudiée tant qu’on peut construire et créer.

Le mot de la fin ?

J’insiste sur le fait que le gestionnaire, peu importe la fonction ou le rôle qu’il va occuper, sera quelqu’un de créatif et d’innovant. Un vrai gestionnaire ne se contente pas de gérer le quotidien sans faire bouger les choses. Face à un problème, il va identifier les causes et agir en conséquence. Pour agir, on doit innover, on doit changer. Un gestionnaire est un acteur de changement, qu’il soit un second rôle ou un acteur de premier plan. Mais il sera toujours acteur de changement, petit ou grand.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.