Interview anonyme, Editeur spécialisé

Pouvez-vous décrire votre maison d'édition ?

Nous sommes une petite maison d'édition, créée il y a dix ans, comme il en existe beaucoup en Belgique. Nous travaillons à trois, nous sommes tous bénévoles et nous éditons environ 25 ouvrages par an, surtout des livres traitant de l'art plastique.

Pourquoi l'avez-vous créée ?

Nous avons fondé notre maison d'édition entre trois amis. Nous avions un intérêt commun pour l'édition de livres sur l'art plastique et la littérature, nous avions le même horizon intellectuel. Nous travaillons également dans le milieu universitaire où nous avions constaté qu'il y avait énormément d'écrits qui n'étaient jamais édités. Dès lors, nous nous sommes dit qu'il y avait une place à prendre.

Une entreprise difficile ?

Au départ, il faut l'avouer, nous n'y connaissions rien. Nous ne savions pas quel était le processus de production d'un livre. Nous avons dû tout apprendre sur le tas.  Nous avons rencontré les réalités économiques par la pratique. En fait, nous avons profité d'une révolution technologique au sein du monde de l'édition : l'introduction de l'ordinateur. Au début, nous étions à peu près les seuls à travailler sur matériel informatique et nous travaillions en sous-traitance pour d'autres maisons d'édition. Cela leur permettait de réduire leurs frais de production de deux tiers en ne confiant plus le travail de mise en page aux imprimeurs qui travaillaient toujours manuellement.

Votre maison d'édition a donc commencé à être rentable ?

Je préfère le terme “subsister“. Nous en sommes toujours à cette vie de subsistance. Les marges bénéficiaires sur la production des livres sont très faibles.  De plus, on souffre de la concurrence parisienne où les plus grandes maisons d'édition en langue française sont concentrées. Tout ce qui compte est à Paris. Bruxelles, au point de vue de l'édition, fait figure de ville de province. Dès lors, quel est l'écrivain célèbre qui va nous confier un manuscrit ? Nous en sommes toujours à rembourser les emprunts que nous contractons pour éditer nos livres.

Comment vous êtes-vous fait connaître dans ces conditions ?

Nous avons choisi, lorsque nous avons cessé la sous-traitance pour les autres et commencé à travailler de façon indépendante, de nous consacrer à un créneau hyper-spécialisé et original : l'art plastique. C'est ce qui nous a permis de nous démarquer de l'emprise parisienne en éditant, non seulement des auteurs belges, mais également des auteurs étrangers. Ce qui nous a ouvert les portes du cosmopolitisme et, donc, de l'exportation et de la diffusion de nos ouvrages dans la francophonie. C'est primordial d'exporter, le marché belge est trop étroit : nous vendons 80% de notre production en France et les 20 derniers % en Belgique, au Québec et en Suisse.

Nos trois atouts sont donc  : caractère et diffusion internationale, autoproduction, spécialisation.

Il est donc difficile d'éditer de la littérature, des romans ?

En effet, nos ouvrages seraient noyés parmi les publications parisiennes et, donc, quasi invisibles. Si on veut être généraliste, il faut beaucoup publier pour s'en sortir. Le plus important est de se faire accepter, de se faire remarquer par les diffuseurs et les libraires.

Il est donc difficile de vivre de l'édition ?

Si nous existons toujours, c'est parce que nous possédons tous un travail ailleurs et que nous sommes, comme je l'ai dit plus tôt, tous bénévoles et que nous limitons au maximum nos frais généraux. Cela nous permet de réinvestir nos éventuels bénéfices dans la publication de nouveaux livres. Si nous avions voulu vivre de l'édition, cela fait longtemps que nous aurions mis la clef sous le paillasson.

Dès lors, pourquoi vous investissez-vous dans cette activité ?

Il n'y a pas de plaisir esthétique que vous ne rêviez de partager. Notre motivation est un peu celle du passeur, de quelqu'un qui transmet, qui fait connaître et découvrir des auteurs et des travaux d'écrivains aux autres. Et puis, il faut avouer, la vanité prend une certaine place. Sans cela, j'estime que l'on n'entreprend rien. C'est un moteur commun à tout le monde.

Quels sont les conseils que vous donneriez à quelqu'un qui veut se lancer dans cette activité ?

L'essentiel est de commencer par faire des stages dans des maisons d'édition. Il est très important de se rendre compte des réalités avant de commencer. Ensuite, de posséder de bonnes compétences de gestion. Si, au départ, vous faites cela pour l'amour du livre, les contraintes économiques vous rattrapent vite. Les montages financiers sont essentiels : emprunts, mécènes, etc.

Il est également très important d'avoir des bonnes compétences de communication et de relations publiques : il est très important de se faire connaître de la presse et des journalistes. Il faut aussi pouvoir s'adjoindre des gens de qualité : des graphistes compétents, par exemple, sont très importants pour donner une présentation attrayante à un livre. Il ne faut pas oublier que c'est avant tout un objet qui doit être agréable à la vue.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.