Mr Jean-François Marquet, Sage-femme

Y a-t-il un masculin pour "sage-femme" ?

On a souvent cherché un nom pour masculiniser le terme sage-femme comme "maïeuticien" (l'art de la maïeutique étant l'art d'accoucher) mais étant donné la nouvelle loi qui réappelle les accoucheuses "sages-femmes" en Belgique, le terme d'homme sage-femme me convient parfaitement. L´étymologie latine de sage-femme étant "sapiens feminae", sage pour les femmes, et non pas une femme sage, il n'y a aucun souci. A vrai dire, le problème du terme accoucheur en Belgique était législatif, c'est-à-dire que dans les Arrêté Royaux, quand on parle d'accoucheur, on parle du médecin obstétricien tandis que l'accoucheuse (qu'elle soit un homme ou une femme) était "l'infirmière obstétricale". Mais j'ai horreur de ce terme car notre profession de sage-femme est régie par les Arrêtés royaux de l'art de guérir (pour les médecins) et non pas l'art de soigner (les infirmières).
Nous avons des compétences médicales restreintes à la grossesse, l'accouchement et le post-partum normal. Particulièrement à domicile, je renvoie les patientes vers un médecin dès que je détecte une pathologie, ce qui est mon rôle et mon obligation de par les textes légaux.

Comment avez-vous pris la décision de devenir sage-femme ?

A 22 ans, je me suis engagé dans des études d'infirmier. Pour des raisons médicales, j'avais dû arrêter mes études de médecine deux ans plus tôt, malgré une excellente réussite de ces deux premières années.
Je m'étais entre temps engagé dans la Croix-Rouge et je désirais ardemment devenir infirmier urgentiste SIAMU (soins infirmier en aide médicale urgente). En bloc 2, les stages des études d'infirmier nous obligent à passer en maternité. Le premier jour de stage je me suis rendu compte que je n'avais jamais tenu un aussi petit bébé dans mes bras et j'ai de suite demandé à mon professeur de stage si un homme pouvait faire ce métier. Puis, lors du stage, j'ai vu mon premier accouchement, le pire qu'on puisse imaginer : un accouchement long, difficile qui s'est terminé avec des manœuvres au forceps et ventouses. Très sportif. Mais bon je n'imaginais pas du tout ce qu'était le travail en salle d'accouchement dans la réalité. Donc je me suis engagé, après avoir réussi mes études d'infirmier d'une durée de 3 ans (4 ans actuellement), dans les études de sage-femme (deux ans en plus) et là tout ce que je désirais était présent. Le degré d'urgence qui m'avait fait commencer mes études d'infirmier, un contact humain extraordinaire au sein d'une famille en devenir, une application directe du sens clinique qui m'avait fait commencer mes études de médecine (si un problème est détecté, soit vous avez les compétences pour le régler, soit vous en référez au gynécologue avec qui vous travaillez), un apprentissage de soi-même nécessaire pour aider les parents en salle d'accouchement ou en situation plus délicate comme des mort in utero ou des fausses couches.

Quelle formation avez-vous suivie ?

J'ai fait trois années de médecine, arrêtée pour des raisons de santé et ensuite secouriste à la Croix-Rouge. Puis j'ai recommencé des études pour devenir infirmier (trois ans), je désirais aller au bout de ma formation même si ce n'était pas nécessaire pour être sage-femme. Et enfin, deux années de sage-femme. La formation de sage-femme peut être suivie directement en 4 ans.

Comment se déroule une journée-type ?

A l'hôpital, selon les fonctions, il y énormément de journée-types car il y a différentes fonctions pour la sage-femme. En salle d'accouchement, nous sommes tributaires de l'évolution du travail, c'est-à-dire qu'on peut commencer sa journée par un accouchement, directement en arrivant dans le service parce que la maman a fait son travail la nuit, ou alors la prendre en charge au début du travail. La prise en charge en salle d'accouchement se fait souvent de cette manière et peut être à cheval sur plusieurs équipes (matin - après-midi - nuit).
Accueil et anamnèse : on pose des questions sur la grossesse, on met au point le dossier obstétrical avec toutes les données concernant la maman.
Réalisation d'un cardiotocographie, monitoring des bruits du cœur du bébé qui nous donne une bonne indication de son état de santé et monitorage des contractions (régularité et puissance) associé au ressenti de la future maman qui nous donne une idée d'où en est le travail de dilatation. Ensuite, un examen par un toucher vaginal/examen du col de l'utérus qui confirme les données objectives sur l'évolution du travail.
L'examen en lui-même est subtil, on examine divers critères par le ressenti au bout des doigts :

  • Ouverture
  • Epaisseur
  • Consistance
  • Souplesse
  • Présence de la poche des eaux ou poche rompue

Ce toucher sera la base de la surveillance de la bonne évolution "mécanique" du travail de de parturition (acte de donner la vie).

Ensuite, après cette première prise en charge, on suit et on accompagne tant psychologiquement que physiquement les futures mamans.

Le travail est différent sans péridurale ou avec péridurale, la maman demandant plus de soutien. Nous assistons l'anesthésiste pour la mise en place de la péridurale. Nous exécutons les ordres du gynécologue avec une certaine souplesse et autonomie dans un esprit de collaboration : nous rendons compte souvent par téléphone des observations et des événements du travail, il se décide alors de mettre une perfusion pour aider les contractions ou donner des médicaments pour favoriser le travail.

Régulièrement le monitoring tourne afin d'évaluer que le bébé va bien ou que nos interventions ne perturbent pas trop la santé du bébé et son état général.
Ensuite, vient le temps de l'accouchement proprement dit et, selon les maternités, les sages-femmes réalisent l'acte elles-mêmes où elles assistent le gynécologue. Personnellement, j'ai la chance de travailler dans une maternité où la sage-femme preste beaucoup d'accouchements elle-même. C'est un vrai plaisir d'accoucher et donne une solide expérience de manœuvres simples à effectuer quand ça "coince un peu".

La sage-femme de toute façon s'occupe des soins au bébé, après la naissance, prélèvement bactériologique, mettre la pince à cordon, mesurer le poids et la taille, habiller le bébé et surtout faire la mise au sein précoce si la maman allaite. Celle-ci est importante pour la réussite de l'allaitement.
Il y a bien sûr tout le travail minute par minute d'accompagnement de l'accouchement, d'éducation des parents, de soutien moral et physique quand les douleurs sont fortes.

A la maison cela se passe un peu différemment. C'est-à-dire que l'on dépend de la relation établie avec les parents pendant la grossesse. Moi, je ne fais aucun accouchement à la maison si je ne connais pas les parents selon certains critères.
En fait, je parle souvent des conditions pour lesquelles l'accouchement n'aura pas lieu à la maison durant la préparation et la grossesse. En effet, je mets la sécurité mère-enfant au-dessus de tout et ne fais aucune exception. C'est pourquoi je me dois de connaitre les gens, sinon je ne saurais jamais détecter si quelque chose ne va pas et que la maman me le cache. La surveillance est la même qu'à l'hôpital mais pas aussi technicisée. J´écoute les bruits du cœur avec un stéthoscope, et c'est mon palper, associé au ressenti de la maman, qui me donne une idée de la puissance des contractions. Le toucher vaginal est le même bien sûr.
Ce qui est relativement rassurant, c'est que même si un problème grave est détecté chez le bébé, les bébés ont encore 20 minutes avant d'aller mal, ce qui est suffisant pour effectuer un transfert en ambulance. Mais ce genre de problèmes a été détecté, la plupart du temps, pendant la grossesse et ils sont traités obligatoirement à l'hôpital. Les problèmes de "dernière minute" sont tout à fait traitables à la maison et/ou par un transfert.
Sinon, à n'importe quelle heure, on peut m'appeler et, en fonction des infos données par téléphone, je me rends "vite" ou "pas vite" chez les parents. En effet, comme je les connais, ils savent aussi très bien se prendre en charge et ne nécessitent pas nécessairement ma présence dans l'immédiat. Parfois, je repars parce que le travail suit son cours mais qu'il n'en est qu'au début.

Je surveille tous les paramètres, en laissant la maman et le papa dans leur "bulle" au maximum car les gens qui accouchent à domicile sont des gens qui veulent vivre leur accouchement d'une manière différente et plus centrée sur leur univers à eux. Il y a parfois énormément de mise en scène dans "le nid".
L’accouchement réalisé, je surveille les pertes sanguines puis je reviens quelques heures plus tard pour mettre en place l'allaitement, les soins au bébé, le bain, surveiller la maman et ses paramètres. Et ce plusieurs jours d'affilée.
A la maternité ce travail est assuré par les trois équipes : soins d'hygiène vulvaires, éducation à l'allaitement, gros morceau qui prends parfois du temps dans les allaitements difficiles : donner le biberon, donner le bain, apprendre à donner le bain. Il y a un énorme travail d'éducation des parents à faire, surtout à notre époque où les familles sont moins "soutenantes" qu'avant, on ne vit plus avec la tante, la sœur qui vient d'avoir un bébé.

Quelles sont les qualités requises pour devenir sage-femme ? Savoir-être ? Savoir-faire ?

En termes de savoir-être, je pense qu'il faut avant tout se connaître soi-même et être empathique. C'est-à-dire accompagner sans totalement se mettre à la place des gens. Savoir écouter, observer, penser, réfléchir. Etre humain et compatissant, sans verser dans l'excès. Il faut respecter la Femme dans sa nature profonde, surtout pour un homme sage-femme qui ne sera jamais une Femme et ne vivra jamais ce que ses patientes ressentent.

Savoir-faire : il faut être agile, rapide mais organisé, soigneux et rigoureux dans ses gestes et actes. Délicat et précis pour les bébés.

Est-ce que, en tant qu'homme, vous êtes exclu de certaines tâches ou, au contraire, dévolu à d'autres particulières ?

Dans la maternité où je travaillais, je ne pouvais pas m'occuper des femmes de religion musulmane, ce qui posait de gros problèmes organisationnels parfois.

Certaines personnes vous font-elles particulièrement ressentir que vous êtes un homme dans un milieu et une profession pratiquement exclusivement réservée aux femmes ?

Les gynécologues, dont le souci était que les femmes enceintes puissent toujours choisir de refuser d’être prise en charge par un homme.

Mes collègues qui, tous les jours, me rappelaient leur soucis de régime, leurs papotages et leur persiflages parfois, même si j'avoue être aussi "papoteur" qu'elles.

Les patientes qui me demandaient toujours si ce n'était pas trop dur de ne travailler qu'avec des femmes et qui, de manière quasi unanimes, trouvaient incroyablement particulier pour elles que leur accouchement soit réalisé par un homme sage-femme, ce qui faisait de notre rencontre et de leur accouchement quelque chose d'exceptionnel.

Comment a réagi votre entourage ?

D'abord surpris, puis inquiet que je ne trouve jamais du travail puis soutenu à fond quand ils ont vu mon épanouissement.

Comment voyez-vous le futur ?

Je développe vraiment mon activité de sage-femme à domicile. 

Connaissez-vous d'autres hommes qui exercent cette profession ?

Oui, dont un qui est un de mes amis proches.

Quelle est la situation la plus marquante que vous ayez vécue depuis que vous exercez cette profession ?

J’ai des dizaines de choses qui m'ont marqué en quelques années de profession mais la plus marquante reste cette maman que j'ai mis à quatre pattes avec une péridurale pour décoincer le bébé et ce bébé qui a tourné en trois contractions. C’était la nuit de Noël, je savais que c'était la chose à faire et je n'osais pas car je me disais qu'avec une péridurale j'allais me faire enguirlander. J’en ai discuté honnêtement avec la maman et nous l'avons fait en collaboration. Si nous ne l'avions pas fait, l'accouchement aurait duré encore quelques heures très douloureuses. Le sourire de la maman et ses remerciements par la suite m'ont fait chaud au cœur.

Pensez-vous qu'il y ait des choses à changer pour davantage intéresser les hommes à ce métier ?

Le simple fait de dire que c'est permis et possible pour un homme. C’est un métier où les compétences masculines sont indispensables lorsqu'elles sont associées à une certaine sensibilité et feeling que d'ordinaire on attribue aux femmes. Mais le métier convient très bien aux hommes en recherche de satisfactions intellectuelles et de stress positif.

Avez-vous déjà entendu de jeunes garçons qui vous ont dit qu'ils voulaient faire comme vous plus tard ?

Oui un seul, et je lui expliqué comment il devait faire pour y arriver.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.