Mr Jean-Paul Dessy,
Violoncelliste, chef d'orchestre

Interview réalisée en juillet 2008

Quel est votre parcours scolaire ?

J’ai bien évidemment un parcours scolaire où la musique a une place importante. J’ai commencé mes études musicales à l’âge de 6 ans dans une Académie. Je suivais des cours de solfège, de piano et puis de violoncelle qui est l’instrument que je voulais absolument faire mais qui n’était pas présent dans cette Académie, à savoir le Conservatoire de Huy. Ensuite, je suis allé au Conservatoire de Liège où j’ai fait l’essentiel de mes études musicales supérieures et parallèlement à cela, j’ai également suivi des études de romaniste, ce que l’on appelle à l’heure actuelle un master en langues et lettres françaises et romanes. J’ai donc suivi ces deux types d’études conjointement.

Comment êtes-vous venu à la musique ? Ou peut-être est-ce la musique qui est venue à vous ?

Il faut avant tout savoir qu’en musique, le passage à la vie professionnelle n’est peut-être pas aussi marqué que dans certains métiers où au sortir de l’école, on entre tout de suite dedans. En musique, on peut encore être étudiant et déjà faire des concerts, comme c’était le cas pour moi. La musique, et l’art en général, est un monde beaucoup plus flou. Le métier de musicien est plus qu’un métier, c’est avant tout un choix très profond qui correspond à une réelle passion. C’est la musique qui vous choisit en quelque sorte et vous répondez à un appel puissant. Je me souviens qu’à la fin de mes secondaires, dans l’école où j’étais, nous devions présenter notre choix professionnel, le justifier et l’expliquer à ses condisciples et à l’époque je m’étais déjà renseigné sur les différentes filières qui existaient dans le domaine de la musique. Cela m’a permis de contacter des gens en place dans les différents conservatoires pour asseoir un choix. Le contact avec les professionnels, avec les artistes, est très important car au-delà d’un chemin institutionnel, l’apprentissage de la musique est aussi un chemin de développement personnel particulier, plein d’embûches, de difficultés et c’est pourquoi on n’est jamais trop soutenu, jamais trop aidé.

Comment se fait le choix d’un instrument ? S’agit-il d’un coup de cœur ? D’une empreinte familiale ? D’autres influences ?

Il y a beaucoup de cas de figure. Il y a une part des musiciens pour qui c’est une véritable élection, c’est-à-dire que l’instrument correspond à un choix, à une conviction personnelle, à un désir, à une volonté ; c’est cet instrument là et pas un autre. J’ai fait partie de ceux-là : c’était le violoncelle et rien d’autre. Il y a aussi la conjoncture sociale qui intervient dans le choix d’un métier et pas seulement dans la musique. Il y a beaucoup d’influence familiale, sociale. Les professions restent liées à des espèces de castes, floues mais réellement présentes. En musique classique, cela peut être une lignée, où la musique est inscrite dans une tradition familiale. D’ailleurs, avant la mise en place des Conservatoires et donc, de l’enseignement public, il n’y avait que les enfants de musiciens ou les gens d’une certaine classe qui pouvaient prétendre se lancer dans la musique classique. Depuis, cela s’est fort démocratisé, avec l’ouverture des Académies et des Conservatoires qui offrent un enseignement de qualité à tout un chacun. Enfin, il y a également des musiciens issus d’une volonté parentale. Les parents ne sont pas forcément musiciens mais ils rêvent de la musique en tant qu’amateurs ou mélomanes et ils voudraient voir un accomplissement de ce rêve chez leurs enfants. Parfois en forçant un peu la mise, ce qui peut donner le meilleur et le pire. Cependant, je pense qu’il est très important d’essayer de se défaire d’influences qui peuvent certes être positives mais qui empêchent souvent d’être à l’écoute de soi-même et donc de se connaître et de faire ses propres choix.

D'après vous, faut-il obligatoirement passer par le Conservatoire pour faire une carrière en tant que musicien ?

Pour la musique, il y a effectivement un cursus classique qui forme des musiciens et des enseignants qui vont eux-mêmes transmettre la musique. Au-delà de cela, la formation du musicien dépasse aussi ce cadre institutionnel avec les formations d’été (les Master class), des cours de maîtrise ,etc. mais aussi tout un tas d’expériences à vivre en dehors de l’école. Cela dépasse le cadre pédagogique. Il faut savoir que ces études sont très différentes de celles du droit ou de la médecine où l’on va rarement passer ses vacances à se parfaire ailleurs, alors que pour la musique, c’est tout le contraire. La vie entière du musicien est occupée par cette passion et si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a un petit souci de réelle adéquation entre le choix et ce à quoi on est destiné. L’instrument, c’est un engagement dès le plus jeune âge jusqu’au plus tard, qui demande une abnégation, une dévotion totale. La musique demande beaucoup de temps et ne laisse pas beaucoup de répit. Le temps d’enseignement est souvent trop court et, contrairement à d’autres domaines, la musique s’apprend aussi hors du cadre institutionnel.

Vous êtes à la fois musicien, compositeur et chef d’orchestre, pouvez-vous nous parler de ces différentes fonctions ?

Il faut savoir que ce sont des fonctions qui se sont spécialisées au cours du 20ème siècle, qui est un siècle au cours duquel on a de plus en plus spécialisé les "agir" humains. Ces trois métiers se sont donc séparés alors que si on se reporte au passé de la musique, il s’agissait de fonctions unies. Certains compositeurs comme Brahms ou Beethoven étaient également des interprètes et des chefs ! Au départ, le chef d’orchestre faisait partie de l’orchestre et quand ce dernier s’est mis à grandir, cette fonction est devenue de plus en plus exclusive. Mon chemin est d’abord celui d’interprète, de praticien, d’instrumentiste, c’est-à-dire quelqu’un qui sait jouer d’un instrument. Dans un parcours classique, c’est primordial d’aller très loin dans la maîtrise d’un instrument. C’est pourquoi, l’immense partie des entrants au Conservatoire sont des instrumentistes qui cherchent à pousser la maîtrise de leur instrument au plus loin. Ceci dit, il y a quand même certains compositeurs et chefs d’orchestre qui ne jouent pas, plus ou très peu d’un instrument. La plupart des musiciens cherchent ensuite à entrer dans des orchestres pour lesquels le niveau demandé est de plus en plus exigeant car la qualité de maîtrise instrumentale a considérablement évolué. Enfin, il ne faut pas se leurrer sur le fait que les perspectives de carrière ne sont pas nombreuses pour les musiciens classiques alors que leur nombre ne cesse d’augmenter, même si l’enseignement reste un grand pourvoyeur d’emplois. 

Dans la musique, il faut commencer tôt et l’évolution se fait vraiment très tard. A l’âge où les sportifs partent à la retraite, les musiciens commencent à devenir matures ! Souvent, ils sont désespérés lorsqu’ils ont 30 ans et qu’ils ne sont arrivés nulle part par rapport à leurs condisciples d’humanités par exemple. Il faut faire preuve de beaucoup de force de caractère et de patience pour faire une carrière dans ce domaine. Il y a une véritable évolution qui se fait entre le moment où un musicien sort du Conservatoire et le moment où il se développe réellement. En ce qui concerne la carrière d’un compositeur, elle est encore plus lente que celle d’un instrumentiste. Quant aux chefs d’orchestre, les emplois sont très rares. Très peu de chefs sont chefs à plein temps avant 40 ans. En général, il y a une superposition d’enjeux professionnels de métiers, dans le domaine de la musique. 

Comment s’organise votre travail ? 

Tout est possible. C’est encore plus diffus et flou que pour le métier d’instrumentiste qui est un métier social. On joue avec et pour des gens, rarement seul ! Or, le compositeur est un solitaire. Il s’agit d’un travail monacal. On travaille chez soi ou ailleurs mais toujours dans la solitude. Dans ma vie personnelle, j’ai besoin des deux, j’ai besoin de solitude et j’ai besoin de partage social. Il faut que je sois sur les deux terrains et que cela s’équilibre. Mais il y a des compositeurs qui, très tôt, entrent dans cette vie de retraite presque permanente qui est celle du compositeur. Beaucoup de compositeurs font un chemin où leurs journées sont organisées en fonction de ce travail en solitaire. Il faut donc aimer cette solitude, il faut savoir l’enrichir. Quand il a un minimum de notoriété, on lui demande des œuvres mais avant cela, il faut qu’il parvienne à ce qu’on les lui demande ! Pour ce qui est du travail de chef d’orchestre, mon expérience personnelle est essentiellement de diriger de la musique contemporaine, de création avec l’ensemble dont je suis le directeur artistique depuis longtemps. Il s’agit donc d’un travail et d’une relation avec ces musiciens qui n’est pas la même que dans un orchestre symphonique. Dans un grand orchestre, le chef est une entité opposable, très différenciée du reste de l’orchestre. Une bonne partie des chefs présents pour une saison dans un orchestre viennent ponctuellement. Il y a un chef permanent mais qui est là pour 6, 12 ou 20 semaines maximum. Dans mon cas, il s’agit plutôt d’un partenariat, d’un travail fusionnel avec les musiciens de l’ensemble car il s’agit d’un ensemble qui ne dépasse pas 25 musiciens ce qui rend la relation très différente. C’est donc un intermédiaire entre le groupe pop-rock et l’orchestre, ce qui correspond très bien à mon parcours musical.

Quelles sont les qualités requises pour pouvoir exercer ces métiers ?

Il y a, mystérieusement, ce que l’on appelle le talent. En musique, il y a une espèce d’injustice sociale terrible : sur une population donnée d’élèves qui commencent à jouer d’un instrument, il y en a pour qui cela semble s’inscrire facilement dans leur développement, l’apprentissage va vite et bien. Le talent est indispensable mais insuffisant. Il doit être là et lorsque cela n’est pas le cas, il ne faut peut-être pas trop s’acharner. Il faut avoir la chance d’avoir autour de soi des maîtres qui ont la générosité de vous conseiller judicieusement ! On peut très bien faire de la musique avec beaucoup de bonheur sans viser pour autant le professionnalisme ! Par contre, lorsque le talent est là, il faut s’interroger pour savoir si on a le courage de sacrifier beaucoup de sa vie pour cela. La vie d’étudiant dans la musique est très différente de celle d’un autre étudiant, il faut accepter de se consacrer entièrement à la musique.

Vous ne faites pas que du classique, vous êtes également tourné vers le jazz, la chanson française, etc. Est-ce important d’être ouvert à d’autres styles ?

En général, même si cela a plutôt tendance à évoluer, on reste quand même dans un secteur musical. La plupart des jazzmen œuvrent dans le monde professionnel du jazz et font rarement des incursions ailleurs, tout comme la plupart des musiciens classiques ou des autres musiciens. Cependant, même si ma famille est celle de la musique classique, cela ne m’a pas empêché de faire du rock et de continuer à en faire car c’est une volonté personnelle. Je tente des passerelles entre les deux mondes car pour moi, c’est très important, très vivifiant mais ce n’est pas du tout obligatoire ! D’un côté notre monde tend vers une ultra-spécialisation et de l’autre, on cherche à donner une plus-value au métissage, c’est assez paradoxal. Cependant, je pense que le pluralisme est une valeur importante dans la musique.

Vous avez enregistré plusieurs albums, comment se passe le travail en studio ?

Cela dépend des genres musicaux. En classique, en général, on passe peu de temps en studio. On enregistre une œuvre qui est écrite et déjà mûrie par l’interprète. On fait la prise de son la meilleure possible dans une acoustique la meilleure possible. C’est presque comme un concert mais avec du montage, etc. En pop, c’est plutôt l’inverse. On fait un travail de studio fastidieux, long, on enregistre instrument par instrument, on mixe, on traite, on refait, etc. On est dans une logique artistique et technologique très différente. Les stratégies d’enregistrement sont multiples, d’autant plus que maintenant, en musique non classique, une bonne partie de l’enregistrement se fait à domicile, en home studio et puis, quand on en a les moyens, on passe dans les plus gros studios pour mixer ou pour réenregistrer une partie. Moi je suis un peu entre les deux, j’utilise les deux techniques. Je fais moi-même un certain travail de préparation, de montage chez moi.

Qu’est ce que vous appréciez dans votre travail ? Qu’est-ce qui vous déplaît ?

Avec les années maintenant, j’apprécie tout car il le faut ! Une fois qu’on a posé des choix, il faut en accepter toutes les conséquences. Heureuses ou malheureuses, elles font partie de notre accomplissement. Evidemment, au début de ma carrière, je me suis retrouvé de nombreuses fois dans le doute le plus total. Je me demandais pourquoi j’avais fait ce choix ! Jusqu’à environ 30 ans, je voyais que les choses allaient tellement lentement que ça me décourageait ! Mais il faut savoir résister à tout cela. A présent, je ne regrette pas du tout d’avoir suivi ce chemin-là avec des moments clés comme les concerts qui permettent de se dépasser soi-même, de communier et de partager avec un public. Ces moments sont rares car ils donnent du sens à notre existence !

Vous avez certainement demandé conseil à un professionnel dans votre parcours, quels seraient les conseils que vous donneriez à votre tour à une personne intéressée par ce domaine ?

Aller aux concerts, rencontrer des musiciens, vivre le plus d’expériences possibles dans le domaine de la musique, se projeter dans ce que sera une vie de musicien avant de se lancer car la vie de musicien ne ressemble pas à une autre carrière professionnelle avec ses balises et pour laquelle il est plus facile de se projeter dans l’avenir de façon rationnelle. Se faire soi-même son itinéraire avec beaucoup d’opiniâtreté, devenir son propre entrepreneur, sa propre agence de promotion, son propre manager. Il y a un côté indépendant, il faut aller frapper à beaucoup de portes, etc. Etre curieux, avoir le désir de connaître ce qu’on ne connaît pas, aller vers l’inconnu, le difficile. Il faut aussi et surtout avoir confiance en soi, avoir de la patience, accepter de travailler dans une autre temporalité que celle de l’immédiateté. Il faut travailler longuement, tous les jours car le progrès est très lent. Il faut des années pour sortir un son correct d’un violon ! Et puis aussi, avoir le grand amour de l’art, voir au-delà des choses !

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.