Karin Goraj,
Chercheur dans l'industrie (domaine médical)

Interview réalisée en juin 2009

Entrée dans l'industrie il y a 5 ans, Karin Goraj dirige à présent une équipe de recherche sur le vaccin contre la méningite B.

Pouvez-vous expliquer votre travail ?

Je travaille en Recherche & Développement chez GSK dans une division qui s'occupe des vaccins bactériens. Les maladies comme les méningites, les pneumonies, les otites, etc. sont causées par des bactéries, et nous développons des vaccins spécifiquement dirigés contre ces bactéries.

Je suis particulièrement spécialisée dans la purification, qui est une des étapes de la production d'un vaccin. Je suis responsable d'une équipe de 4 scientifiques et de leurs techniciens. Il s'agit donc d'un travail de gestion de projets et de personnes. Ce sont deux volets très intéressants.

Concrètement, comment se passe la conception d'un vaccin ?

Lorsqu'on prouve la nécessité de développer un vaccin (études épidémiologiques, études scientifiques, marketing ...), une équipe multidisciplinaire avec des biologistes moléculaires, des généticiens, des personnes responsables de la fermentation, etc. est créée pour établir la stratégie du projet, puis chacun développe sa partie dans sa propre discipline. Des réunions ont lieu régulièrement pour le suivi.

Pouvez-vous décrire une journée type ?

En arrivant le matin, je relève mes mails. Vu la taille de la société, on passe énormément de temps à gérer les informations. Ensuite, je suis en réunion à partir de 9 heures pour une bonne partie de la journée. Ce sont des réunions, soit avec les gens de mon équipe pour le suivi de leurs expériences, soit avec les équipes qui développent les nouveaux projets, où l'on discute alors des stratégies.

Une fois que l'on est responsable d'un projet, on est aussi responsable de l'analyse systématique de toutes les publications scientifiques. Cela signifie que je dois lire les articles scientifiques qui traitent d'un thème en rapport avec mon projet, et les brevets publiés. Il faut être au courant de ce qui se fait en dehors de chez nous. Ceci parce que nous sommes dans une société privée, où toute chose qui a été développée à l'extérieur et qui nous paraît intéressante doit être gardée à l'oeil pour être éventuellement achetée ou mise sous licence plus tard. On tire ainsi bénéfice de la compétence d'autres équipes ou sociétés. Les sujets de recherche les plus intéressants se situent très souvent dans le milieu universitaire, via les thèses qui sont parfois très créatives.

Toutes ces publications scientifiques sont intéressantes pour nous parce que nous faisons de la recherche mais surtout du développement. Notre objectif est de mettre un vaccin sur le marché, ce qui prend environ 10 ans. On ne peut donc pas se permettre d'explorer des pistes de recherche encore trop préliminaires ou qui n'ont pas encore montré de résultats probants. Nous nous intéressons donc aux produits qui ont déjà une certaine maturité pour garantir que leur temps de développement chez nous ne sera pas trop long. Il faut dire aussi que sur 20 antigènes développés en parallèle, on réalisera peut-être seulement un vaccin ou deux. Il y a une élimination au fur et à mesure parce que c'est trop cher ou parce que cela ne marche pas comme on l'avait supposé.

Quelle est votre formation ?

J'ai fait des humanités classiques : latin - sciences. J'ai été attirée très tôt par les sciences. J'ai eu un bon prof de chimie qui m'a motivée à faire des études scientifiques. Elle nous avait abonnés à des revues scientifiques en français, par exemple «La Recherche». C'est un magazine de vulgarisation très bien fait et qui présente correctement les concepts. Je me suis alors inscrite en candidature en biologie à l'UCL.

Mais ça ne m'a pas plu parce qu'il fallait étudier de la biologie très classique, comme les classifications des animaux et des plantes. Je voulais quelque chose de plus concret. C'était le début des années 80, en plein essor du génie génétique, on commençait à entendre parler de la possibilité de manipuler des organismes pour leur faire exprimer des protéines humaines.

On faisait produire par des bactéries de l'insuline qui, auparavant, était d'origine porcine, et on parlait de faire la même chose avec l'hormone de croissance, qu'on devait encore fabriquer à partir d'hypophyses humaines. C'était un domaine très prometteur ! J'ai appris qu'une licence en biochimie était organisée à Liège. Je m'y suis donc inscrite et j'ai réalisé mon mémoire chez Joseph Martial qui y enseignait. Il revenait des Etats-Unis et créait son propre laboratoire de "Génie Génétique". J'ai fait également ma thèse dans son laboratoire. J'y suis restée 6 ans, la durée de ma thèse et 4 ans ensuite, avec un statut d'assistante payée sur des fonds extérieurs. Puis, je suis arrivée dans l'industrie, chez GSK, il y a maintenant 5 ans.

Votre formation vous a-t-elle bien préparée ?

Je voudrais dire au préalable, qu'il ne faut pas avoir peur de se lancer dans la chimie même si on n'a pas aimé cette matière pendant les humanités, car étudier les formules chimiques et pratiquer de la recherche en laboratoire sont deux choses totalement différentes ! Mes candidatures étaient trop théoriques à mon goût, mais la licence (3 ans) en biochimie m'a bien préparée et confortée dans mon choix de faire une carrière scientifique.

L'apprentissage de la gestion d'équipes, où l'avez-vous fait ?

Quand je suis entrée chez GSK, j'ai été engagée au département des ressources humaines. A l'époque, il n'y avait pas de scientifiques dans ce département. J'ai donc travaillé comme expert scientifique dans le but de mieux cibler le recrutement. J'ai occupé ce poste pendant 18 mois, puis une opportunité s'est présentée en recherche. La gestion, ça s'apprend sur le terrain. GSK a triplé en quelques années, nous sommes aujourd'hui plus de 3000. Il y a un réel soutien des jeunes ; on organise beaucoup de formations internes pour eux. Il y a évidemment une part d'inné qui joue aussi : certains sont plus enclins à travailler en équipe et d'autres sont plus individualistes et experts mais l'esprit d'équipe est indispensable pour l'aboutissement de nos projets.

Et la question de la hiérarchie dans une société comme GSK, comment la vivez-vous ?

Chez GSK, comme dans toute multinationale, il est vrai que l'aspect hiérarchique est important. Tout le monde ne peut pas s'adapter à ce contexte. Je connais des gens qui ont la même formation que moi et qui ont créé leur propre société de biotechnologie, car ils ne pouvaient pas travailler dans une grande structure.

Je ne voudrais pas que les jeunes croient qu'être scientifique, c'est automatiquement être engagé dans une grande boîte. Pas du tout ! Il existe des petites PME. C'est une vie d'indépendant, difficile, mais c'est la passion qui guide. Par contre, ce que j'essaie aussi de rappeler aux jeunes qui viennent travailler ici, c'est que nous avons des conditions de travail très luxueuses, avec des équipes et des installations magnifiques, etc. . Ce n'est pas comme ça partout ! Et malgré tout, GSK conserve un visage humain. Lorsqu'on a un problème ou besoin d'un conseil, on parvient presque toujours à trouver quelqu'un de plus expérimenté qui pourra nous aider.

Quelles sont les qualités d'un chercheur ?

Ce que je crois important est évidemment un amour de la science, dans le sens "d'essayer de comprendre le pourquoi des choses". Pour ma part, c'était l'aspect de l'exploitation du vivant à usage thérapeutique. Ensuite le sens critique, c'est-à-dire, la capacité à faire face à des données qui ne sont pas toujours celles qu'on attend et arriver à les critiquer, à se remettre en question. Puis, il faut être rigoureux, motivé et tenace.

En mathématique personne n'a encore démontré le contraire de 1+1= 2 , mais en biologie par exemple, si je prends telle molécule en présence de sel, elle se comportera de telle façon et le lendemain contre toute attente, elle se comportera autrement. Le vivant, c'est ça ! C'est quelque chose qui ne se laisse pas apprivoiser et c'est ce qui le rend passionnant ! C'est pour cette raison aussi que dans les vaccins, on doit mener plusieurs projets de front, pour pouvoir aboutir au moins à un projet finalisé. On a toujours des surprises et il faut être prêt à rebondir sur un autre projet si le premier échoue.

Comment voyez-vous l'avenir de GSK ?

La société continue de croître, on devrait approcher les 5000 personnes en 2004. Il y a aussi les sites internationaux de plus en plus nombreux : Allemagne, Chine, Russie, Inde, Hongrie, France. Il faut rappeler que GSK est une multinationale pharmaceutique, mais que la division « biologicals » est la seule à faire des vaccins. Tous les vaccins GSK vendus dans le monde sont faits en Belgique.

Quelles sont vos perspectives personnelles ?

Je me plais très bien en R&D. Ma fonction est très variée du fait que différentes équipes sont créées fréquemment, ce qui me donne l'occasion de travailler sur de nouveaux sujets. Chez GSK, il y a aussi une grande mobilité de personnes à l'intérieur des départements de la société. C'est d'ailleurs vivement encouragé! 

Quel conseil donneriez-vous à un jeune ? 

Ne pas toujours écouter les recommandations de ses parents ! S'écouter soi-même ! S'il sent qu'il a envie de faire des sciences, qu'il creuse cette piste-là : qu'il prenne des contacts avec des gens dont c'est le métier, qu'il visite des laboratoires, des écoles,...

Par exemple, j'ai travaillé comme étudiante dans une industrie qui faisait de l'agroalimentaire et j'ai vu concrètement comment se passait ce métier au quotidien. Je crois très fort à la passion, ce qui est évidemment valable pour tous les métiers ! Mon père était installateur de chauffage et ma mère n'avait pas fait d'études donc on ne peut pas dire que j'ai baigné dans un univers de scientifiques, c'était donc bien ma volonté qui a joué, renforcée par les rencontres.

J. Martial était quelqu’un qui avait de bonnes idées et qui laissait beaucoup de libertés à ses doctorants ou assistants. J’ai eu beaucoup de chance de travailler dans un laboratoire dynamique et avec un entourage très motivé. En sciences, il faut aussi éliminer les préjugés. Par exemple, travailler en laboratoire ne signifie pas systématiquement manipuler des souris ! Il faut éviter ce genre de raccourci. Et je terminerai par l'importance de l’anglais qui est indispensable pour une carrière scientifique.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.