Mr Lucien,
Détective privé et formateur IFAPME

Interview réalisée en septembre 2016

Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours scolaire et professionnel ?

Après l’obtention du CESS, j’ai suivi des cours en comptabilité et en assurances en Promotion Sociale avant de suivre la formation IFAPME "détective privé".

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?

Dans mon cas, j’étais gestionnaire d’assurances et j’avais espoir de devenir inspecteur au sein d’une compagnie d’assurances. Pour ce faire, il fallait simplement obtenir le diplôme de détective et surtout l’autorisation ministérielle.

Continuez-vous à vous former ? Y a-t-il des spécialisations dans le domaine des détectives ?

La licence de détective est valable dix ans mais un recyclage est obligatoire tous les cinq ans. En plus de cela, je suis des formations diverses et variées. Par exemple, j’ai participé à une formation sur la détection du mensonge et à une autre concernant la problématique des sinistres de voitures et des systèmes antivol. J’ai également suivi une formation en causes incendie.

Vous êtes également gérant d’un bureau d’investigations. Pouvez-vous me parler de votre entreprise ?

Dans mon cas, cela s’est fait très progressivement. Dans un premier temps, j’ai obtenu ma licence de détective à temps partiel. J’ai demandé à mon employeur pour travailler à mi-temps et j’ai consacré la seconde partie de mon temps à essayer de créer mon activité. L’activité s’est développée assez vite. Deux ans après, j’ai posé ma démission auprès de mon employeur principal et je me suis consacré à temps plein à mes activités de détective. Trois ans plus tard, la société était créée et j’engageais un employé. Actuellement, j’ai un employé et je fais appel à cinq détectives indépendants.

Selon vous, est-ce un métier qui a de l’avenir ? 

C’est un métier où il y a de la demande. Dans mon cas, ça fonctionne très bien. Chaque détective a des niches de clientèles particulières. Ma niche de clientèle, ce sont les assurances. Je travaille principalement pour les compagnies d’assurances, les banques et les sociétés de leasing. J’ai d’autres confrères qui travaillent pour des grosses enquêtes commerciales pour qui ça fonctionne très bien également. Je remarque que les collègues qui ont plus de difficultés sont ceux qui ont choisi de s’axer sur les particuliers où les demandes principales sont l’adultère (dans 80% des demandes), le harcèlement, les gardes d’enfants, l’escroquerie. Certains détectives ont obtenu leur licence avant de se rendre compte que cela ne correspondait pas à leurs aspirations. L’année passée, il y a peut-être cinq diplômés qui ont demandé leur licence de détective et qui l’ont obtenue. Parmi ceux-là, j’en connais deux qui se sont fait connaitre.

Comment se déroule votre travail au quotidien ? Quelles sont les différentes étapes d’une enquête ?

Ce n’est pas un quotidien aussi palpitant qu’on le voit à la télé ! Tout d’abord, on effectue l’ouverture des missions avant de créer une convention avec le client. Dans la première phase, avant même de prendre contact avec les personnes sur qui porte l’enquête, il faut écrire à des administrations multiples et variées comme l’administration du service Population, l’administration du cadastre, etc. Tout le monde n’a pas besoin d’avoir ces informations, cela dépend du type de missions à effectuer. Bien sûr, tout cela est règlementé : on ne contacte pas qui on veut quand on veut en disant : "Salut comment tu vas ? Tu ne veux pas me filer telle info ?".

Après cette première étape, ça varie d’un détective à l’autre et d’une mission à l’autre. Dans mon cas, vu que je travaille dans le milieu des assurances et des IARD (Incendies Auto et Risques Divers), je me penche sur les circonstanciels : "Que s’est-il passé ? Les garanties sont-elles acquises ?" Je prends contact avec les protagonistes de l’accident et je les auditionne, je fais des enquêtes de voisinage, je vois les lieux du sinistre et je compare les dommages. C’est très varié et il n’y a rien de secret. La personne sur qui j’enquête est au courant que je suis détective et que je travaille pour l’assurance. J’ai d’ailleurs pour principe de ne pas cacher les résultats de mon enquête et les suites du dossier. Dans cette situation, il n’y a pas besoin d’être discret. Au contraire, il faut être habillé en costume-cravate et représenter la compagnie.

Pour les missions de filatures, les personnes sur qui on enquête ne savent pas qu’on enquête sur elles. Il faudra dès lors être très discret et essayer de se faire oublier. On fait des films et des photos.

Pouvez-vous vous faire passer pour une autre personne ou endosser une autre fonction pour pouvoir obtenir des informations ?

Ce serait un délit d’usurpation d’identité. A la rigueur, on pourrait ne pas signifier notre qualité de détective. Par contre, on ne peut pas se donner de fausses qualités, en se faisant passer pour un agent commercial Proximus par exemple. A la rigueur, je peux dire que j’aimerais des renseignements sans dire qui je suis ! C’est donc fort différent de ce que l’on voit dans les films où ils font allègrement ce qu’on ne peut pas faire. La législation est même très claire. Dans tout document écrit doit apparaitre la qualité de détective privé et le numéro de l’autorisation ministérielle, que ce soit sur ma carte de visite ou lors de l’envoi d’un sms ou d’un mail.

Comment les personnes perçoivent votre profession ?

Cela soulève pas mal de fantasmes : les gens s’imaginent que je suis armé, que j’ai des contacts partout et qu’il me suffit de téléphoner à la Défense pour avoir des informations. En réalité, on est plus réglementé qu’un citoyen lambda. Ils ont une image qui ne correspond pas à la réalité. Ils trouvent les filatures sympas mais s’ils savaient comme ça peut être ennuyant !

Ça vous arrive de vous faire surprendre pendant une filature ? Si oui, quelle est votre réaction ?

Oui, je réagis naturellement. Quand on me repère, je termine la filature et j’y reviendrai plus tard, tranquillement, en changeant de voiture. Une dame m’a repéré excessivement vite, dans les quinze premières minutes de la filature ! Elle a déposé plainte en faisant un descriptif très précis du véhicule et de la tenue vestimentaire. J’ai même dit au policier qui m’avait convoqué que si elle fait des études de détective, je l’engage ! Dans ce cas, j’intervenais pour une compagnie d’assurance qui me demandait de vérifier le comportement de cette dame sur la voie publique. Elle pouvait, d’après ce qu’elle décrivait, à peine marcher. Je l’ai suivi et il est vrai qu’elle ne marchait pas bien mais elle savait se déplacer. Elle savait qu’un détective pourrait être sur son cas et elle était méfiante. Par contre, ce qui est très régulier, c’est que des riverains me repèrent. Quand je dois surveiller une personne pour vérifier qu’elle ne se déplace pas, il m’arrive de rester dans ma voiture toute la journée si cette personne reste effectivement chez elle. Alors, il arrive qu’une vieille dame qui habite dans la même rue me voit dans ma voiture tout le long de la journée. Elle se pose des questions, se demande si je suis un voleur. Je ne peux pas lui en vouloir car elle a une réaction tout à fait logique. Dans mon cas, je préviens toujours les autorités en précisant que je serai en filature à telle heure, à tel endroit. Ainsi, quand les riverains appellent la police, le policier les rassure en précisant qu’ils sont au courant et qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

Y-a-t-il des missions que vous refusez de prendre en charge ?

Les missions que l’on peut accepter doivent avoir un caractère légal et légitime. Le but de la personne qui vient vers vous avec une demande n’est pas toujours celui qu’elle décrit. J’ai refusé le cas d’un jeune homme qui a pris l’avion avec une jolie jeune femme à côté de lui et qui voulait la retrouver. La légitimité y était un peu sujette à caution et la légalité, n’en parlons pas ! Autre exemple : un monsieur m’a demandé de retrouver une de ses connaissances en déprime. Il s’avère que cet homme était un proxénète et la fille qu’il recherchait était une de ses prostituées qui s’était enfuie. J’ai également refusé le cas d’un père n’aimant pas son gendre qui voulait que je prouve que celui-ci trompait sa fille. Cette demande est légale mais pas légitime : ce n’est pas au père à faire la démarche mais à la fille. Si elle accepte que son compagnon soit volage, il n’y a pas de raisons d’enquêter là-dessus.

Mes clients des sociétés de leasing me demandent régulièrement de rechercher des personnes disparues : des personnes qui ont organisé leur insolvabilité, qui s’arrangent pour ne pas avoir de domicile effectif, qui sont radiés du service Population de l’administration communale et surtout, qui ont disparues avec le véhicule non payé que la société aimerait bien récupérer. Ces enquêtes sont tout à fait légales.

Pour ces enquêtes, avez-vous des contacts avec la police ?

Non, les policiers ne peuvent rien communiquer. Au mieux, je peux obtenir d’un commissariat de police le numéro de procès-verbal. On en apprend déjà beaucoup.

Conseillerez-vous à une personne d’entamer des études de détective ?

Non, je ne le conseillerais pas. C’est mieux d’arriver avec des connaissances qui soient autres que celles du détective. Ce bagage va lui permettre de conseiller et d’orienter sa clientèle dans son activité de détective. Par une autre profession, il gagnera en maturité et en réseaux de relations pour avoir une clientèle possible. En clair, une personne qui a travaillé dans les assurances (gestionnaire d’assurances, courtier, etc.) aura plus de facilités à atteindre une clientèle d’une compagnie d’assurances puisqu’il saura de quoi on parle. Pour moi, il ne faut pas être détective en-dessous de trente ans. Maintenant, le jeune qui veut faire détective peut le faire légalement. Le seul impératif est d’avoir vingt et un ans quand il demande sa licence. Mais je ne sais pas si, en tant qu’indépendant, il aura facilement une clientèle. Il arrivera peut-être à se faire engager auprès d’un bureau de détectives mais le jeune doit apporter une valeur ajoutée. Il faudra encore tout lui apprendre donc il va coûter du temps.

Quels sont les aspects positifs et négatifs de votre profession ?

Pour les aspects positifs, ce ceux liés au statut d’indépendant comme être son propre chef. Il s’agit également d’un travail varié et on en vit bien. Du côté négatif, il y a les horaires qui peuvent être contraignants. On peut très vite être dans l’excès. Un équilibre est à obtenir entre vie privée et professionnelle. C’est à envisager avec le/la conjoint(e) car il/elle peut être inquiet/inquiète quand on part sur une enquête d’un dossier épineux et qu’on ne donne pas de nouvelles. De plus, il y a une assez mauvaise perception du détective dans le milieu judiciaire.

Voyez-vous une augmentation de femmes se présentant à la formation et qui deviennent détective par la suite ?

Oui. Dans les formations récentes, je vois davantage de femmes qui demandent leur autorisation ministérielle et qui travaillent comme détective (exemple : détective au sein d’un cabinet d’expertise). Elles ont leur légitimité. Personne ne s’inquiète de voir une dame dans sa voiture toute la journée par exemple ! Mon instinct protecteur dirait que je ne conseillerais pas à une femme d’effectuer certaines missions où la personne à surveiller est réputée violente et dangereuse. Je n’y envoie même pas mes hommes. J’y vais moi-même. J’ai peut-être tort vu qu’il existe des femmes policières qui savent gérer la violence.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.