Mme Mathilde Troussard,
Photographe de mode

Interview réalisée en août 2014

Quel est votre parcours ?

J’ai tout d’abord étudié 5 ans aux Beaux-Arts en France où j’ai obtenu un DNSEP (Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique). Puis, désireuse d’enrichir mon bagage technique et artistique je suis rentrée à l’école nationale supérieure des arts visuels de La Cambre, à Bruxelles. J’ai obtenu un master 1 en Art environnemental, puis une agrégation en arts visuels.

Parallèlement à mes études, j’ai effectué de nombreux stages et formations (cours de coupe et couture, formation en maquillage, stage en scénographie à l’Opéra de Rennes, costumière sur un tournage de film, photographe sur des festivals de danse contemporaine, plus des formations plus techniques sur les logiciels de traitement et retouches d’images ainsi que de création de site web).

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous diriger vers la photographie de mode plus particulièrement ?

J’ai toujours aimé la mode et le stylisme, depuis mon plus jeune âge. Dans mes études aux Beaux-Arts, que cela soit en photographie, en sculpture ou dans mes installations vidéos, le corps et le vêtement étaient toujours au cœur de mes recherches artistiques. La mise en scène a toujours aussi été présente. J’ai beaucoup appris en photographiant des spectacles de danse, et je crois que c’est ce qui m’a donné envie de réaliser mes propres mises en scène, écrire des scénarii, choisir des lieux, des modèles et le stylisme pour réaliser des fictions empruntées au réel.

Pour qui travaillez-vous principalement ? Quelle est votre clientèle ?

Une partie de mes commandes s’adresse aux magazines. Soit il s’agit de shootings mode, soit il s’agit d’illustration de visuels pour des articles. Depuis quelques temps, je collabore avec Psychologies magazine Belgique. J’illustre des articles de psychologie sur la femme et le couple. Même si ce ne sont pas des "photographies de mode" visant à vendre des vêtements, j’effectue moi-même le stylisme et traite mes images comme des photographies de mode.  

Une autre partie de mes commandes s’oriente vers les stylistes de mode qui veulent présenter leur collection et qui veulent des photographies artistiques qui valorisent leurs vêtements.

Je réalise également beaucoup de portraits, avec fond et éclairages, soit pour des entreprises soit pour des particuliers. J’ai aussi des commandes de book pour des comédiens ou des mannequins. Je complète mes missions par des photographies de décoration intérieure.

Comment s’organise un shooting mode ? Quelles sont les différentes étapes ?

La première étape est la proposition d’un thème. Pour ma part, le thème venait toujours de moi. Après, il faut imaginer des scénarii car dans un shooting on devra réaliser 6 ou 7 photos différentes, et parfois l’une d’elle servira à la couverture du magazine. Il faut donc trouver un lieu qui permettra de réaliser une série assez riche en termes d’arrière-plans. Je collabore  donc beaucoup avec les hôtels ou les musées pour essayer de trouver des lieux.

Puis vient le choix du mannequin, de la styliste et de la hair/make-up. J’effectue toujours des dossiers de recherche, avec des photos tests du lieu, que j’envoie à la styliste et à la maquilleuse/coiffeuse pour leur expliquer dans quelle direction je pars. Je leur propose des couleurs, des styles qui iront bien avec l’univers du lieu. Le jour du shooting, la styliste arrive avec plusieurs propositions et on choisit ensemble. La préparation est une étape fondamentale d’un shooting : plus celui-ci est organisé plus le shooting se passe bien.

Quels sont vos outils de travail ?

L’équipement d’un photographe est très important et il faut savoir que le matériel est très onéreux. Je possède un réflex numérique et différents objectifs, ainsi qu’un kit d’éclairage en lumière continue que j’utilise pour mes portraits. J’ai également des fonds noir et blanc ainsi que toute une collection de rouleaux de tapisserie rétro. J’ai bien évidemment un ordinateur portable que j’amène parfois sur les shootings pour décharger directement les photos et les voir en plein écran. J’utilise également des logiciels pour visionner et organiser mes images (ajout de métadonnées) et les retoucher en post-production.

A quels aspects faites-vous particulièrement attention lorsque vous réalisez des photos pour des magazines ? Répondez-vous à des critères bien définis ou pouvez-vous imposer votre touche personnelle ?

La première contrainte est le format des images. Il faut penser à proposer plusieurs photographies pour la couverture donc, dans toutes mes mises en scène, j’effectue les deux cadrages (vertical et horizontal). Pour les photos horizontales qui sont imprimées sur deux pages, il faut penser à la reliure qui va mordre dans la photo, donc il faut l’anticiper dans sa composition.

Pour la touche personnelle, j’ai toujours réalisé des photographies qui correspondaient à mon univers artistique. Après, tout dépend du magazine pour lequel vous travaillez. Moi j’ai toujours travaillé avec des magazines qui aimaient mon univers et qui me laissaient de la liberté. Mais celle-ci peut parfois être à double tranchant. Il y a toujours un peu de stress au moment de l’envoi des photos, on n’est jamais sûr que le résultat va plaire. Pour ma part, mes photos ont toujours été publiées, mais cela arrive fréquemment que des magazines refusent la publication de photographies après un shooting et dans ce cas-là, le photographe n’est pas rémunéré.

Quelles sont, selon vous, les compétences et qualités requises pour exercer ce métier ?

Du talent, de la motivation et les contacts. De plus, travailler en freelance (dans mon cas j’ai une micro-activité au sein de la Smart) nécessite beaucoup d’énergie dans le démarchage pour obtenir des contrats, une bonne utilisation des réseaux sociaux et sites web pour montrer son travail artistique et une bonne gestion administrative (effectuer des devis, gérer sa comptabilité, encoder ses bons de commande, etc.).

Quels sont les aspects positifs et négatifs de votre métier ?

Le côté positif est la reconnaissance de son travail artistique. C’est très agréable de voir ses photographies publiées dans des magazines. De plus, très indépendante, j’aime travailler en free- lance car je gère mon emploi du temps comme je le souhaite.

Le négatif est que le secteur de l’édition (magazine papier) a été fortement touché par la crise ; il  n’y a plus le même budget pour les images qu’autrefois. Certains magazines considèrent que c’est un honneur d’être publié et ne rémunèrent pas les photographes. Il faut multiplier les petits contrats pour arriver à un salaire minimum.

Vous enseignez également la photo. Est-ce important pour vous de transmettre votre passion ?

Oui, j’adore enseigner. J’ai donné cours pendant plusieurs années à temps plein, notamment à l’INRACI dans le secondaire et le supérieur, mais j’ai arrêté pour avoir plus de temps pour mes projets personnels. C’est important pour être un bon professeur d’être actif dans le milieu professionnel. Exercer le métier qu’on enseigne permet de former les étudiants le mieux possible et de les préparer à leur sortie de l’école. A l’avenir, je m’oriente plus vers des interventions ponctuelles sous la forme de workshops dans des écoles de photographie, de mode ou ou de hair/make-up. Travailler avec des jeunes permet aussi de rester jeune.

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui voudrait se lancer ?

Je ne veux surtout pas décourager les autres, mais la conjoncture est très difficile actuellement. Il n’est pas impossible de vivre de ce métier mais il ne faut peut-être pas tout miser sur la photographie de mode et ouvrir son champ de compétences à d’autres secteurs (portraits, décoration, reportage, etc.), ou avoir un temps partiel à côté pour assurer ses arrières financièrement.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.