Quelle fut votre formation ?

Au départ, j'ai fait des études classiques en arts et métiers. J'y ai appris l'orfèvrerie bien sûr ; mais aussi la joaillerie et même la céramique qui, pourtant, n'a rien à voir avec ce que je crée maintenant.

Qu'est-ce qui vous a poussé à devenir orfèvre ?

Eh bien, pour tout vous avouer, jusqu'à mes 20 ans, je n'avais pas d'idée précise sur la question. Mes parents voulaient plutôt m'orienter vers une profession libérale, et moi, je me pressentais une vocation artistique sans que celle-ci ne se détermine sur un point précis. C'est pourquoi, à mes débuts, j'ai beaucoup navigué entre différentes sortes de créations manuelles. Un grand orfèvre allemand est ensuite passé à Charleroi pour présenter une de ses collections. J'ai eu la chance de le rencontrer et... l'audace de lui demander de me prendre comme stagiaire dans son atelier. A ma grande surprise, il a accepté. Je suis parti louer une petite chambre près de Nuremberg. Pendant deux ans, j'y ai mis de ma poche, mais je ne le regrette pas. J'ai beaucoup écouté ; j'ai beaucoup appris. Ce stage m'a ouvert de nouveaux horizons. Il m'a aussi permis de me rendre compte que l'orfèvrerie constituait vraiment la voie que je désirais suivre.

Comment s'est ensuite opéré votre démarrage personnel ? 

Je suis venu m'installer dans ma région natale. J'y bénéficiais d'un avantage de "fils à papa" puisque mes parents étaient disposés à m'aider financièrement avant que je ne parvienne réellement à vivre de l'orfèvrerie. Lors des débuts toujours difficiles, j'avais donc la chance de ne pas devoir gagner ma vie. Heureusement, cette situation n'a pas trop duré puisque j'ai rapidement pu présenter quelques expositions. Tout heureux de pouvoir écrire cela sur mon C. V., j'ai eu quelques contrats avec des industries. Entre autres choses, j'ai réalisé des vases, des services à thé, des chandeliers. A ce niveau, je n'ai jamais accepté d'engagement définitif. Je préférais les commandes temporaires qui m'autorisaient à continuer mes créations personnelles.

Et maintenant, travaillez-vous toujours avec les industries ?

De moins en moins, pour la simple et bonne raison que je suis allé m'installer à Paris. C'est une opportunité inouïe qui m'a été offerte grâce à d'anciennes collaborations avec un joaillier parisien. Celui-ci m'a averti qu'un site désaffecté de la SNCF allait être rénové en galerie exclusivement réservée à des artistes et artisans de toutes disciplines. La galerie s'est ouverte durant l'été 95 et je trouve en effet qu'il s'agit d'une formidable initiative. Je pourrai créer mes pièces devant le public, il y aura un contact direct avec des clients qui sera, j'en suis sûr, porteur de magie.

Les expositions ont beaucoup d'importance pour votre travail ?

Oui, bien entendu. J'aime exposer. J'en retire sans doute des sensations similaires au comédien qui monte sur les planches. C'est grâce aux expositions que naît la critique porteuse des futurs progrès. C'est grâce aux expositions que l'artiste peut faire partager ses coups de cœur. Malheureusement, il existe peu de possibilités d'expos en orfèvrerie. Ou alors elles sont couplées avec d'autres disciplines.

S'exiler en France, est-ce nécessaire pour vivre de l'orfèvrerie ?

Non, pas du tout ! A Charleroi ou à Bruxelles, je parvenais à vivre correctement de mon métier. Je ne considère d'ailleurs pas ce départ comme un exil. Je garderai toujours des attaches avec la Belgique, comme j'en ai gardées, jadis, avec l'Allemagne. Mais partir à Paris représente sans doute un rêve de gosse. Cette ville m'a toujours fasciné. Vu que je peux partir dans de bonnes conditions, je ne vois pas pourquoi j'aurais hésité.

Qu'est-ce que pour vous la création de pièces d'orfèvrerie ?

C'est très compliqué à expliquer parce que les corporations de métier en vigueur au XVIIIème siècle ont influencé les créateurs jusqu'à nos jours. Pour ma part, je pratique l'orfèvrerie selon les règles de l'art édictées par la corporation de Nuremberg, celle-là même qui fut longtemps célèbre grâce au fameux poinçon N. Cela implique le respect absolu d'un taux d'alliage de l'or et de l'argent avec le cuivre. Cela implique également des techniques très précises quant à la gravure et à la ciselure du métal. Par exemple, j'utilise toujours un burin en acier trempé à lame très aiguisée. Je précise aussi que je ne délègue aucune des opérations créatives, puisque je réalise tous les stades de la création : de la feuille de métal jusqu'à l'objet ciselé et gravé. J'étais évidemment moins pointilleux pour mes créations destinées à l'industrie. Si je crée un modèle qui sera finalement mis sur le marché en série, je suis forcé d'accepter l'utilisation des machines. Mais il n'y a pas de secret. Un objet d'argenterie créé selon les procédés traditionnels aura toujours plus de texture qu'une pièce fabriquée mécaniquement.

Quelles sont les principales qualités de l'orfèvre ?

L'orfèvre doit avant tout être une personne très précautionneuse. On ne travaille pas l'or ou l'argent comme on travaillerait une sculpture en terre. Il ne faut pas oublier que notre matière première coûte cher. Ensuite, il s'agit d'avoir des capacités d'habileté manuelle, de précision et de patience. Une parfaite connaissance technique fera le reste.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans l'exercice de l'orfèvrerie ?

Une seule difficulté, à mon sens. Elle est d'ordre psychologique. Je regrette infiniment le peu de considération qui entoure l'art de l'orfèvrerie. Un orfèvre n'est pas un simple ouvrier du métal. On a tendance à croire que l'or et l'argent sont des belles matières en soi. C'est vrai, mais l'orfèvre a tâche d'en faire des œuvres d'art. Mais peut-être l'orfèvrerie doit-elle simplement rattraper son retard par rapport à d'autres disciplines.

Que voulez-vous dire par là ?

Jusqu'au début du siècle dernier, les créations d'orfèvrerie n'avaient pas de valeur en soi. Les riches les conservaient comme une simple réserve. Ils faisaient fondre leurs assiettes ou leurs vases s'ils avaient besoin de monnaie. Les premiers collectionneurs de pièces rares sont apparus dans le courant du siècle dernier. Avant, de nombreuses collections ont été fondues. Heureusement, il en reste, et notamment des œuvres faites à Nuremberg ou à Augsbourg, ou encore des pièces du fameux Benvenuto Cellini.

Quels conseils donneriez-vous aux futurs orfèvres ?

D'apprendre le métier deux fois plutôt qu'une. Je veux dire par là que l'école donne une bonne base, mais que rien ne remplace un stage auprès d'un maître-orfèvre. En fonction de mon parcours personnel, je crois aussi qu'il faut accepter de travailler pour des entreprises fabriquant des pièces destinées au service de la table. Il faut aller frapper à toutes les portes.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.