Mr Sturbois, Directeur général

Interview réalisée en avril 2006

Directeur général d'une société internationale de confiserie, LUTTI.

Monsieur Sturbois, parlez-nous de cette entreprise et de ce qu'elle représente sur le marché internationale de la confiserie...

Lutti est membre du groupe Leaf, acteur majeur du marché européen de la confiserie. Sa capacité de production industrielle est passée de 6000 tonnes, il y a 10 ans, à 13000 tonnes par an aujourd'hui. Lutti est une société qui est le résultat d'une fusion. Dans l'industrie alimentaire de manière générale, les structures de base étaient plutôt familiales. Elles ont grandi et se sont regroupées.

Quelles furent les étapes majeures de l'évolution de votre entreprise ?

En 1980, la décision est prise de tenter de fournir avec ce que les autres ne font pas. Il s'agit notamment de proposer une grande flexibilité et d'être présent sur le marché de vente à la pièce. A cette époque, les enfants achetaient des produits dont le prix correspondait à la monnaie accessible aux enfants, le franc en l'occurrence.

Lorsque nous avons développé la production de la " bouteille de coca ", nous avons également pensé à la fabriquer sous différentes tailles afin que sa valeur en taille corresponde à la valeur usuelle en monnaie (pour exemple : un franc = une bouteille de coca).

Avec l'évolution de la grande distribution nous avons décidé de créer une société de distribution qui distribue non seulement nos confiseries mais également celles produites par d'autres sociétés non concurrentes sur la gamme de produit. Le chocolat Lindt, les bonbons Ricola, Lakeröl, entre autres, sont distribués par nous.

En confiserie, le métier "de sucre" va être influencé par des modes mais va néanmoins rester un métier de base qui dans son processus va, techniquement, évoluer lentement. Les amortissements sont à long terme. Les évolutions sont surtout marquées par l'adaptation du packaging aux modes et attitudes comportementales des clients.

Cette adaptation va t-elle inclure le goût, la couleur et la forme du produit ?

Nous restons dans une ligne de produits traditionnels, inscrits sur plusieurs générations. Prenons en exemple les consommateurs de plus de 50 ans, la première image qui vient à l'esprit à l'évocation du nom "Lutti", c'est le caramel au beurre.

Ce sont des produits de fonds, intergénérationnels. Nous produisons deux grandes catégories de produits, les huilés et les critiqués, auxquels viennent s'ajouter les aérés et les biphasés.Nous avons une technologie propre qui donne à la fois un goût acide et un effet pétillant dans la bouche. Nous produisons près de 600 produits différents.

Dans les gélifiés nous trouverons des produits qui suivent l'évolution des goûts dans la société. Nous avons été les premiers à fabriquer le cuberdon de manière industrielle. Nous avons des guimauves très tendres à l'intérieur.

Durant les années 80, au moment où beaucoup de produits ont été vendus en grande surface, notre réflexion marketing a évolué en conséquence. Notre cible directe en grande surface sont les mamans, contrairement aux petites boutiques où ce sont les enfants qui achètent eux-mêmes leurs bonbons. Il fallait donc trouver une communication qui s'adresse à la mère et réponde à la demande de l'enfant. Nous avons été les premiers à proposer de bonbons sans colorants et avec arômes naturels. Nous avons mis en place la "green line", un produit qui rassure la mère et conserve les aspects ludiques plaisants pour l'enfant.

L'ourson, que tout le monde fabrique, a comme spécificité chez Lutti, d'avoir une texture qui fait que l'enfant ne peut pas s'étouffer en l'avalant, il fond très rapidement. Nos textures sont très tendres. Nous produisons des gammes "sugar free", certes, mais il n'en reste pas moins que dans la confiserie, on doit rester vrai. Nos produits doivent rester "de plaisir" et notre matière première reste le sucre. Nous ne pourrons jamais dire que manger nos produits ne fait pas grossir, nous mettrons en évidence la consommation avec modération.

Quelle est la réglementation en vigueur dans le secteur de la confiserie ?

Il y a une réglementation d'ordre chimique, liée à la composition du produit. Tous les ingrédients doivent être maîtrisés et indiqués sur l'emballage. Nous sommes dans une politique d'identification des causes allergènes telle que le gluten par exemple. Nous devons respecter le consommateur dans les différentes législations. L'utilisation des colorants doit suivre une norme précise en dosage. Les normes ne sont pas identiques dans tous les pays, certaines choses interdites chez nous sont permises ailleurs.

Il y a la législation qui tourne autour du process. Tout fabricant belge doit respecter les normes HACCP et permettre une traçabilité complète d'un produit. Celle-ci est possible grâce à l'utilisation de l'informatique mais, également, grâce à la bonne compréhension de tous les opérateurs et de tous les intervenants afin de garantir une gestion qualité complète. Les opérateurs vont suivre une formation en norme HACCP pour comprendre où se situent leurs interventions dans le process et la raison pour laquelle cette traçabilité est essentielle. Plus on parvient à obtenir une traçabilité fine, plus on peut précisément intervenir en cas de problèmes sur la chaîne de production et perdre un minimum de produit.

La norme BRC concerne et permet l'exportation. Ce sont des règles à respecter, strictes. Ces normes sont dictées pour l'ensemble de l'industrie alimentaire mais, selon le domaine, l'attention sera ciblée sur l'un ou l'autre point.

Nous avons des normes davantage liées aux comportements humains. Tout ce qui concerne le développement bactérien est bloqué par le sucre, nous n'avons donc rien à craindre de ce côté. Par contre, nous allons être très attentifs aux voies de contamination physique. En usine, il n'est pas question, par exemple, de se balader avec un bic dont un morceau pourrait se détacher et se perdre dans la production. Nous allons, en terme de comportements, éliminer tout ce qui pourrait contaminer la production. Nous avons des détecteurs de métaux sur toute la chaîne qui vont identifier les moindres risques de présence. Toutes nos machines sont métalliques et par conséquent un détachement même minime de matière représente un danger. Les frottements de pièces peuvent provoquer des détachements de limaille. La réglementation nous impose une attitude stricte. Le label et le contrôle qualité c'est le respect des normes process, des normes ingrédients et des attitudes comportementales.

Quelle est l'autorité qui chapeaute ces réglementations ?

En cas de problème majeur, l'autorité est représentée par l'AFSCA - l'Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire. Cette agence peut contrôler la bonne application des normes HACCP. Actuellement, il y a une réglementation qui dit que la maîtrise du process doit être totale, nous sommes ISO 14000.

Il y a bien d'autres autorités auxquelles nous sommes soumis, ce sont des autorités classiques comme l'inspection du travail, l'inspection sociale, l'ancien service d'hygiène, les services médicaux et tout ce qui fait le contrôle général de l'entreprise.

En terme de personnel, quelles sont les catégories et les compétences que vous ciblez ?

En terme d'opérateur on peut relever trois profils. Nous avons les conducteurs de ligne qui ont reçu une formation interne. Ces personnes sont en possession, soit d'un bachelier soit, d'un diplôme de secondaire à orientation techniques. Les opérateurs de ligne sont liés au process, nous y rencontrons des caristes, des assistants conducteurs et des manutentionnaires. Il est clair, que depuis le démarrage de cette entreprise, il y a 30 ans, ces catégories ont changé suite aux automations et la disparition d'un certain nombre de métiers qui n'étaient qu'à vocations manuelles.

La mixité est totale, de l'ordre de 50/50. A côté des manutentions et du fait de l'application de ces normes, nous demandons un minimum de compétences intellectuelles. Dans les années 80, il nous est arrivé d'organiser des cours d'alphabétisation pour permettre la compréhension de certaines notions écrites.

Parmi les manutentionnaires, nous rencontrons des personnes qui n'ont pas obtenu de qualification particulière mais qui présentent néanmoins un intérêt pour le produit.

Dans notre entreprise, les promotions internes sont encore possibles. Certains manutentionnaires sont devenus opérateurs de ligne sans avoir pour autant un diplôme d'études supérieures. L'expérience dans notre domaine est déterminante. Un manutentionnaire qui a de l'expérience va pouvoir, lors de contrôle visuel ou tactile, déterminer très rapidement la qualité du produit.

Nous avons des séances de dégustation des produits qui utilisent, comme en œnologie, des observations et un vocabulaire très spécifique. Ainsi nous parlerons de rapidité à l'attaque, de pénétration et de mesure de pénétration de la texture qui dépendent de paramètres de cuisson. Notre métier consiste également à observer et jouer de paramètres tels que des situations atmosphériques. Ce métier exige un savoir faire identifiable pour tous les postes.

Certains cadres sont orientés vers la recherche et le développement. Ce sont essentiellement des bio-ingénieurs. Nous avons une école pourvoyeuse de ce type de compétences à Gembloux. Nous sommes à la fois dans des process qui doivent rester simples mais dont les facteurs d'influence sont relativement complexes. La cellule R&D fait de la recherche appliquée en partenariat avec nos fournisseurs de matières premières. Elle travaille également avec des fournisseurs de machines puisqu'il ne suffit pas de créer des recettes, il faut pouvoir les produire.

Le troisième axe sera d'être très proche du service marketing. En terme de confiserie nous avons d'une part nos produits stables mais d'autre part des produits qui sont liés à des licences (des figurines rappelant des personnages de dessins animés par exemple). Leur durée de vie est par conséquent plus limitée. Ils répondent à des besoins "de mode" ou saisonniers. Halloween est venu élargir les moments clés de la production.

Nous essayons de développer chaque année un nouveau concept (texture, forme, etc.) et trois nouveaux produits ceci pour être en évolution et adaptation permanente. Le choix du moment de la sortie doit être fait de manière judicieuse, un produit ne doit pas sortir trop tôt. C'est une adéquation, la plus fine possible, entre la demande du consommateur et ce que nous proposons dans notre production. Une particularité de la confiserie est qu'il n'y a pas de marque déposée. Tous les produits peuvent être copiés.

Comment devient-on directeur général d'une entreprise telle que celle-ci ?

J'ai suivi une formation à orientation économique. Ma première fonction dans l'entreprise concernait les ressources humaines. Cela fait 8 ans que je suis directeur général. C'est une opportunité d'emploi qui correspondait bien à mes aspirations qui a motivé mon choix pour cette entreprise. Travailler dans une société où sont présentes les valeurs humaines et l'inscription dans une région qui nécessite un soutien à l'emploi sont, pour moi, des valeurs et des challenges que je défends. Les résultats sont, bien entendu, essentiels mais ce qui reste passionnant dans ce métier c'est que, quelque soit la position de la personne qui travaille dans cette société, elle n' est pas un pion mais un point de rouage d'un vaste process.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.