Mr Vincent Lannoy, Agent de brevet

Responsable des brevets ou « patent liaison manager » chez Euroscreen.

En quoi consiste votre travail ?

C'est un travail qui comporte deux aspects. D'une part, je rédige les demandes de brevets pour les recherches menées dans l'entreprise qui m'emploie, Euroscreen. Et d'autre part, je suis en charge du « in-licensing », c'est-à-dire que j'essaye de trouver, auprès d'autres labos de recherches ou sociétés de biotech, des technologies que nous pourrions exploiter, et sur lesquelles nous devrions donc prendre une licence. Ce sont les deux facettes de la propriété intellectuelle ; comme nous sommes encore une petite société, je suis seul à m'occuper des deux aspects, mais ce sont souvent des métiers différents. La licence, c'est surtout de la négociation avec les autres entreprises. Par contre, rédiger un brevet, c'est très technique ; il faut valoriser au maximum son invention.

Comment définiriez-vous un brevet ?

Un brevet, c'est en quelque sorte un pacte qu'un inventeur passe avec la société civile : il lui offre une invention qu'il a réalisée et dont il pense qu'elle peut être utile, et en échange, il a l'assurance que toute utilisation qui sera faite de cette invention dans un but lucratif lui rapportera des royalties. C'est donnant-donnant. Quand les brevets n'existaient pas, les inventions étaient souvent gardées secrètes et cela empêchait tout progrès. Maintenant, elles sont publiques, mais protégées.

Et une licence ?

La licence, cela veut dire qu'on reconnaît que quelqu’un a déposé une invention qui nous intéresse, qu'on l'utilise, et que pour cela on lui paye une licence (les royalties). C'est de l'honnêteté. Un exemple : chez Euroscreen, nous vendons des lignées cellulaires qui expriment un gène bien particulier, dont la séquence a été brevetée par quelqu’un d'autre. Donc si nous voulons utiliser cette séquence pour faire nos lignées cellulaires, et les vendre pour faire du profit, nous devons prendre une licence auprès de ceux qui ont breveté cette séquence, et leur ristourner un certain taux de royalties. Mon travail, c'est la négociation de ces contrats de licence.

Comment en êtes-vous venu à ce métier ?

Ce n'était pas mon but au départ. J'ai étudié la biologie et j'ai fait un doctorat en biologie moléculaire. Quand j'ai été engagé chez Euroscreen, j'ai d'abord fait du travail de recherche. J'ai participé au clonage de certains gènes sur lesquels nous travaillions, et c'est à cette occasion que j'ai été confronté aux questions de propriété intellectuelle, et que j'y ai pris goût ! Il y a un an, la direction m'a proposé de m'en occuper à plein temps, parce que le portefeuille de brevets de la société devenait important. J'ai donc dû lancer un nouveau département tout seul, ce qui est très motivant mais aussi très stressant.

Mais étiez-vous suffisamment formé pour cette fonction ?

Non, bien-sûr ! J'ai dû me débrouiller pour trouver une formation. J'en ai trouvé une organisée par l'Université de Strasbourg, mais qui se donne aussi en « décrochage » à Bruxelles. Je vais au cours une matinée tous les 15 jours, pendant 2 ans. Après ces deux années, il faut passer 2 à 3 ans dans un bureau de brevets, sous le parrainage d'un agent agréé, pour apprendre le métier sur le tas, et seulement alors, passer l'examen pour obtenir le diplôme "d'agent brevet" (en anglais patent attorney). Mais je n'ai pas envie de devenir agent brevet exclusivement. La formation m'intéresse parce qu'elle m'est utile pour ce boulot-ci, mais pas le diplôme. Je n'irai donc sans doute pas jusque là.

Actuellement, il existe des certificats universitaires et des formations proposés par des Universités en Belgique permettant de se former au droit de la propriété intellectuelle.

Êtes-vous nombreux à suivre cette formation ?

Nous sommes 15 personnes cette année, venant de tous les domaines : quelques chimistes, deux électromécaniciens, un horloger, entre autres. La manière d'obtenir un brevet est la même quel que soit le domaine où il s'applique. Pour être agent brevet il faut d'abord avoir une formation « technique » dans le métier, et ensuite, par des formations complémentaires telles que celle-là, on apprend le métier d'agent brevet. Par diplôme « technique », on entend « maîtrise d'un domaine qui a des applications techniques». Je suis docteur en sciences : c'est considéré comme un diplôme technique pour mon domaine. Maître chocolatier pour une firme qui fabriquerait des biscuits, c'est aussi un diplôme technique. Parce que même les biscuits font l'objet de brevets !

Justement, que peut-on breveter ?

Pour être brevetable, une invention doit répondre à trois critères : elle doit être nouvelle, inventive et susceptible d'avoir une utilisation industrielle. 

- Nouvelle : elle ne doit jamais avoir été divulguée auparavant, et notamment jamais publiée dans une revue scientifique. 

- Inventive : il faut faire la preuve qu'on a inventé quelque chose, et pas seulement découvert quelque chose qui existait déjà.  

- Exploiter l'invention dans une application industrielle. C'est-à-dire qu' un brevet ne permet pas à l'inventeur de s'asseoir dessus et de ne rien faire. Une invention brevetée doit faire avancer le progrès et il faut faire la preuve de ce progrès. C'est en cela que c'est un contrat avec la société.

Sur le plan éthique, trouvez-vous normal de breveter des gènes, alors qu'ils appartiennent à tout le monde ?

Il y a eu d'énormes discussions sur ce sujet. La solution qu'on a trouvée est une entourloupe : on ne peut pas breveter un gène tel qu'il existe à l'état naturel, par contre on peut breveter une molécule d'ADN recombinante qui est une copie conforme du gène naturel, gardant toutes ses propriétés biologiques. C'est évidemment très hypocrite ! Mais avec des enjeux financiers aussi phénoménaux, il est difficile de faire autrement. Les européens étaient assez réticents à laisser breveter les gènes, mais ils ont réfléchi au fait que s'ils ne réagissaient pas, les autres, et notamment les américains, allaient prendre les brevets à leur place ! Cela aurait handicapé toutes les sociétés de recherche européennes. L'Europe est d'ailleurs à la traîne dans ce domaine ; l'immense majorité des brevets de biotechnologie sont américains.

Faut-il être soi-même scientifique pour rédiger des brevets scientifiques ?

Absolument ! Un juriste, même spécialisé en propriété intellectuelle, ne peut pas comprendre une invention en biologie moléculaire ; c'est tellement pointu et le domaine est tellement complexe ! Ce qui est difficile c'est de bien faire valoir son invention et de bien la revendiquer. Les scientifiques sont souvent trop timides sur ce plan ; les arguments de propriété intellectuelle n'ont rien à voir avec les arguments scientifiques. Or il faut que les « revendications » du brevet soient les plus larges possibles, pour protéger l'invention de la façon la plus étendue. Il y en a toujours qui vont essayer de passer entre les mailles du filet et trouver une faille dans le brevet pour l'exploiter sans devoir s'acquitter de la licence. C'est d'autant plus difficile pour les agents indépendants qui ne sont pas des spécialistes de notre discipline et avec qui on a souvent des problèmes de compréhension.

Quelles sont les perspectives pour un scientifique qui obtient le diplôme d'agent brevet ?

Une première possibilité est d'être engagé dans le département légal d'une multinationale (pharmaceutique, par exemple). Ce sont généralement des équipes de 5 ou 6 personnes. Leur rôle est alors de transformer tout l'aspect scientifique des inventions faites par les chercheurs de la société en termes légaux, sans perdre la finalité et la profondeur de la donnée scientifique. Deuxième possibilité : travailler pour une agence regroupant plusieurs agents brevets qui sont consultants pour des petites et moyennes sociétés comme la nôtre. Troisième possibilité : être engagé dans l'un des Offices de Brevets internationaux, organismes qui délivrent les brevets. Il y a dans le monde 5 offices de brevets : l'office européen situé à Munich et à La Haye, l'USPTO (United States Patent and Trademark office), le canadien, l'australien et le japonais. Ce sont eux qui décident si une invention est brevetable, dans n'importe quel domaine. Et dans chaque office il y a des spécialistes pour absolument toutes les disciplines ! Quant à moi, je suis dans une situation un peu différente. Comme je n'ai pas le diplôme d'agent brevet, je sers d'intermédiaire entre les scientifiques d'Euroscreen et les agents brevets d'un bureau de consultants qui travaillent pour nous.

Un brevet, coûte-t-il cher ?

Il faut savoir qu'un brevet n'est pas illimité dans le temps. En Europe, il a d'une durée de 20 ans, à partir de la date du dépôt de la demande. Après ce délai, il tombe dans le domaine public et tout le monde peut l'utiliser. Chaque année couverte par le brevet, il faut payer des taxes pour chaque pays où il est déposé. Donc ça coûte très très cher ! Il ne faut pas prendre des brevets à tort et à travers ; c'est mieux d'en avoir quelques bons, que d'en avoir trop qui ne rapportent rien. Ceci dit, c'est un investissement rentable, parce que c'est sur base du portefeuille de brevets qu'on estime la valeur d'une société. Je vous cite l'exemple de deux firmes qui sont dans le même secteur d'activités, qui emploient le même nombre de personnes, qui font le même chiffre d'affaires. L'une a un portefeuille avec des brevets porteurs, l'autre un portefeuille peu intéressant. Ces deux firmes ont été rachetées, mais la première l'a été à un prix 10 fois supérieur à l'autre !

A qui reviennent les royalties ?

Dans une grosse société, cet argent est réinvesti dans la recherche et le développement. C’est un cycle : si on valorise bien son invention, on gagne de l’argent pour refaire d’autres inventions ! Dans une petite société comme la nôtre, qui est une spin-off issue d’un laboratoire universitaire, il y a un certain pourcentage qui revient au laboratoire pour sa recherche. Quant à l’inventeur, hélas ! Il ne reçoit rien ! Dans son contrat d'emploi, le chercheur renonce généralement à tous les droits sur la propriété industrielle de ses travaux. Enfin, quand le brevet est pris par un laboratoire universitaire, c'est généralement la règle des 3/3 qui est appliquée: 1/3 pour l'université, 1/3 pour le service et 1/3 pour le(s) chercheur(s).

Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer ce travail ?

Il faut savoir "shifter" (passer) d’un sujet à l’autre tout le temps. Il faut être très flexible sur ce point. Il faut beaucoup travailler, surtout quand on en est au début et qu’on apprend en même temps. Il faut bien maîtriser l’anglais car tout se fait dans cette langue.

Quels avantages trouvez-vous à ce poste ?

Cette position m’a permis d’avoir des contacts plus proches avec la direction et d’être tout de suite mis au courant de ce qui se faisait dans la société. En d’autres termes, ça m’a permis de travailler à un autre niveau hiérarchique. Bien-sûr, je ne fais plus de recherches au labo, mais je reste tout de même en lien étroit. Pas de regrets. C’est toujours un boulot scientifique ; on se sert toujours de ses bases techniques.

Il y a-t-il des inconvénients ?

(...silence....) La charge de travail ! C’est un boulot très exigeant qui m’amène parfois à négliger ma vie de famille...

Quel était votre rêve d’avenir quand vous étiez enfant ?

Depuis l’âge de 14 ans je voulais faire la biologie. Je ne crois pas qu’il y ait eu un déclic, ça s’est plutôt construit année après année. J’ai toujours été attiré par la nature, l’ornithologie notamment. Mais la biologie que j’ai étudiée n’avait finalement rien à voir avec les petits oiseaux ! Quand je suis entré à l’unif, j’étais très motivé. Il y en a beaucoup qui y vont « pour essayer » et qui ne veulent pas vraiment faire quelque chose de précis. Moi, je savais où je voulais aller, même si ça a évolué en cours de route, et je crois que ça aide à réussir ses études. Directement après la 1ère année de bachelier, j’ai su que la biologie moléculaire m’intéressait plus que le reste, et j’ai pris mes cours à option en fonction de cet intérêt. A partir de là, j’avais un but bien précis.

Vos études vous ont-elles bien préparé à votre travail actuel ?

Mon master et mon doctorat m’ont très bien préparé à mon premier travail qui était donc chercheur chez Euroscreen. 

Est-ce un secteur où les perspectives d’avenir sont bonnes ?

Les perspectives pour la propriété intellectuelle sont immenses ! Les prises de brevets en biotechnologies ont triplé et augmenteront encore puisqu’on découvrira de plus en plus de fonctions pour les gènes et que les gens, sur ces brevets, vendront des droits pour pouvoir les utiliser ou les licencier à prix d’or. D’ailleurs, les agents brevets ne suivent plus : ils sont débordés ! Je connais un bureau qui a ouvert il y a 4 ans, ils sont déjà une quarantaine, tous scientifiques !

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.