Mr Yves Marneffe, Ecotoxicologue

Interview réalisée en novembre 2014

Ecotoxicologue à l’ISSeP (Institut Scientifique du Service Public).

Qu’est-ce qu’un écotoxicologue ?

C’est quelqu’un qui essaye de mettre en relation les polluants, les contaminants qu’on trouve dans l’environnement, avec les effets qu’ils peuvent engendrer sur les écosystèmes et les organismes qui les constituent. Par exemple, il détermine à quelle concentration une substance ou un mélange de substances a un effet sur la reproduction, la mortalité ou encore la croissance d’un organisme. Cela permet de faire le lien entre une pollution engendrée par les activités humaines et ses effets sur l’environnement. Son rôle est aussi d’essayer de proposer des solutions aux problèmes mis en évidence par ses analyses.

Qu’est-ce que l’ISSeP (Institut Scientifique de Service Public) ?

L’ISSeP est un organisme d’intérêt public qui dépend du Gouvernement Wallon et qui œuvre dans la caractérisation de l’environnement. Nous réalisons des mesures, qu’on appelle du monitoring de l’environnement : nous collectons des données sur l’air, les sols, les eaux, les déchets. Sur base de ces données, nous évaluons les risques chroniques ou accidentels posés pour l’environnement.

Quelle est votre fonction au sein de l’ISSeP ?

Je suis responsable de la cellule Ecotoxicologie, au sein de la direction des risques chroniques. La cellule étudie notamment les effluents industriels (eaux usées provenant des usines) et leurs effets sur toute une série d’organismes aquatiques. A partir des effets des effluents sur les organismes observés en laboratoire, nous déterminons un risque pour le milieu qui reçoit ces effluents, en général des rivières. Si un risque est déterminé, nous donnons un avis ou un conseil pour le diminuer. Un autre aspect de notre travail consiste à récolter sur le terrain des organismes biologiques : poissons et invertébrés. Nous analysons leurs concentrations en polluants, notamment en mercure, par rapport à des normes de qualité dictées par l’Europe.

Des exemples concrets d’expérimentation au sein de votre laboratoire ?

Nous travaillons par exemple avec des jeunes daphnies (crustacés), issues d’un élevage. Nous établissons des groupes de daphnies âgées de moins de 24 heures et élevées dans les mêmes conditions standardisées. Nous diluons de manière successive l’effluent industriel. Une partie des organismes va être soumise à 100% de l’effluent, une autre partie à 50%, une autre à 25%, etc. Cela permet d’observer le taux d’immobilité des daphnies à chaque concentration. Un autre exemple d’expérimentation, réalisée en collaboration avec des Universités et d’autres services de l’administration wallonne : nous allons chercher des poissons, par exemple des chevaines, d’une certaine taille et d’un certain âge dans les principales rivières de Wallonie. Nous les disséquons pour doser le taux de mercure, de HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) et de toute une série de substances prioritaires pour l’Europe. Nous analysons les résultats et les comparons aux normes dictées par l’Europe. Cela permet de déterminer si une rivière est en bon ou mauvais état chimique.

Travaillez-vous exclusivement pour la Wallonie ?

Nous dépendons principalement de financements issus du SPW (Service Public Wallon) et travaillons essentiellement sur les rivières en Wallonie. Nous recevons cependant des demandes provenant du secteur privé, dans le cadre des demandes de tests d’écotoxicité. Une firme qui fabrique des détergents peut nous demander quel effet son détergent a sur les daphnies. Ces tests sont reconnus et demandés par les instances européennes.

Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?

Durant mes études secondaires, j’avais choisi des options sciences fortes, avec cinq heures de mathématiques et huit heures de langues étrangères. J’ai fait un master en sciences zoologiques suivie d’un master complémentaire en environnement. J’ai aussi passé l’AESS (agrégation de l’enseignement secondaire supérieur) et puis j’ai obtenu un doctorat en sciences. Mon sujet de thèse portait sur l’évaluation de l’impact des activités anthropiques (relatif à l'activité humaine) sur une rivière et ses lacs : la Warche et les lacs de Bütgenbach et de Robertville. Je réalisais des analyses chimiques et des tests écotoxicologiques ainsi que des prélèvements d’organismes dans les rivières et les lacs. J’ai travaillé à l’Université de Liège en tant que chercheur puis assistant de 1990 à 2003. J’ai ensuite été employé durant trois années à la Direction des Eaux de surface de la DGO3 (Direction Générale Opérationnelle de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et de l’Environnement) du SPW. Avec toute une équipe, nous mettions en œuvre la directive cadre sur l’eau, une directive européenne très importante en matière d’environnement. J’ai rejoint l’ISSeP en 2007, d’abord en tant que membre de la cellule Ecotoxicologie. En 2008, ma responsable a pris sa pension et j’ai pris sa succession.

Vos études vous-ont-elles bien préparé à exercer votre fonction ?

Oui, mais cela ne veut pas dire qu’on doit se reposer uniquement sur ses études. On continue à se former et à apprendre dans le travail. Mes études et mon expérience professionnelle sont utiles au quotidien.

Quels sont les éléments qui vous ont motivé à faire ce métier ?

Depuis l’âge de douze ans, je voulais étudier et travailler avec les animaux. Je m’orientais au départ vers le métier de vétérinaire mais je me suis de plus en plus passionné pour les animaux sauvages. La biologie et la zoologie collaient mieux avec cette aspiration. J’aimais beaucoup les oiseaux mais au fil de mon cursus, j’ai évolué vers d’autres sujets. On m’a proposé un sujet qui m’intéressait : il s’agissait d’étudier les bryozoaires qui sont des organismes qui se développent sous les tours de refroidissement des centrales nucléaires, à Tihange notamment. Mon mémoire quant à lui portait sur les transferts des PCB (composés toxiques industriellement synthétisés, ce sont des polluants persistants) au sein de la chaîne trophique (chaîne alimentaire) au niveau du plancton de la Meuse. Cela me semblait plus porteur que l’étude des oiseaux, qui est une belle passion, mais les places sont rares pour les ornithologues.

Dans quel(s) lieu(x) exercez-vous votre profession ?

La plupart du temps nous sommes au laboratoire. Nous nous déplaçons pour assister à des réunions avec l’administration de la Région Wallonne, avec d’autres organismes de recherches (CRAW – Centre Wallon de Recherches Agronomiques, Universités, etc.). Nous nous rendons également à des réunions internationales et des colloques scientifiques pour partager nos résultats et développer des possibilités de collaborations.

Collaborez-vous avec les entreprises ?

Oui, nous devons aller en entreprise pour leur expliquer le but des études menées, car nous sommes amenés à prélever des échantillons dans leurs rejets. Nous installons des échantillonneurs automatiques sur leurs zones de rejet, ce qui nous demande de rester en contact avec toutes les entreprises concernées.

Pouvez-vous nous présenter votre équipe ?

Nous sommes une équipe d’une dizaine de personnes au sein de la cellule Ecotoxicologie : quatre biologistes et six techniciens de laboratoire. Les techniciens (titulaires de bacheliers en agronomie ou en biochimie) sont chargés de mener à bien les essais. Les universitaires, deux titulaires de masters et deux docteurs, gèrent des projets de recherche. Pour l’ensemble de l’ISSeP, nous sommes 240 équivalents temps-plein sur le site de Liège et une trentaine sur le site de Colfontaine.

Quelle part prennent les tâches administratives dans votre travail ?

Elles sont importantes, car en tant que responsable je m’occupe de la préparation des projets et arrêtés de subvention, du budget et de son suivi, de l’assurance qualité. Nous sommes accrédités aux normes qualité ISO 17025 et sommes audités chaque année par Belac (Organisme belge d’accréditation). Cela prend énormément de temps. Je passe beaucoup de temps en réunion, en rédaction et relecture de rapports de mes collaborateurs. En tant que responsable de la cellule, je fais moins de recherche à proprement parler.

Quels sont vos horaires de travail ?

C’est un système de pointage, avec 38 heures par semaine. Il y a des plages fixes obligatoires : de 7h30 à 12 heures et de 14 à 16 heures. Le reste peut être organisé librement, tant que nous respectons la moyenne de 7h36 de travail par jour. Nous pouvons travailler plus longtemps certains jours et le récupérer à d’autres moments, mais si nous dépassons neuf heures de travail sur une journée, ce qui dépasse n’est pas comptabilisé. Cependant, il m’arrive d’avoir des journées de plus de neuf heures, ce n’est pas quelque chose qui m’arrête. Je travaille parfois le week-end, mais il n’y a aucune obligation. J’ai 28 jours de congé par an.

Quels sont les aspects positifs de votre métier ?

C’est un métier varié, on rencontre beaucoup de gens, il n’y a pas trop de routine. Notre institut est multidisciplinaire, nous avons beaucoup de contacts avec les autres laboratoires de chimie, c’est enrichissant de côtoyer des personnes qui ont des spécialités différentes. Les contacts avec l’extérieur sont également riches. C’est valorisant de travailler pour l’environnement, c’est ce que j’ai toujours voulu faire. L’ambiance au sein de notre équipe est bonne. Les déplacements à l’étranger sont un autre avantage. J’ai la chance de travailler dans le domaine de mes études, ce qui n’est pas le cas de tous les biologistes. Et, enfin, j’ai une certaine autonomie.

Et les aspects les plus négatifs ?

Ma fonction est peut-être un peu trop administrative, l’assurance qualité prend une part un peu lourde. Je regrette de ne plus avoir assez de temps pour continuer à me former, lire des publications scientifiques, etc. Gérer l’humain n’est pas toujours facile, les personnalités sont différentes et il faut apprendre à composer. Je n’ai pas à me plaindre de mon équipe mais ma formation ne m’a pas préparé à gérer du personnel. J’ai appris sur le tas.

Quelles qualités faut-il posséder pour exercer ce métier ?

De la rigueur, de l’honnêteté scientifique et intellectuelle, de bonnes capacités rédactionnelles, de l’organisation, être capable de toucher à des domaines vastes et variés. Et, pour les responsables, des capacités de management.

Quel conseil donneriez-vous à une personne qui souhaite se lancer dans ce métier ?

Je lui conseillerais de choisir des études dans le domaine de la biologie, de la biochimie ou de la bioingénierie. Il n’y a pas que la biologie pure qui peut mener au métier d’écotoxicologue. Pour développer son esprit scientifique, elle peut s’intéresser à des lectures portant sur l’écologie.

Comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?

Je ne saurais vous dire si je terminerai ma carrière ici. J’essaye de chercher la diversité au sein du poste que j’occupe actuellement, je ne cherche pas à changer d’emploi. Cependant, je ne suis pas fermé à d’éventuelles opportunités qui se présenteraient à moi. J’ai toujours aimé l’écologie et plus particulièrement l’hydro-écologie. Un poste dans ce domaine pourrait m’intéresser.

Le mot de la fin ?

La biologie peut mener vers des carrières très différentes. Et même au sein de la toxicologie, on peut s’intéresser à des domaines variés : un toxicologue va plus étudier les problèmes de santé humaine, là où l’écotoxicologue s’intéresse à l’environnement et les écosystèmes.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.