Mr Daniel Deboouck,
Directeur d'une Unité de Ressources Génétiques
Directeur de l'Unité de Ressources Génétiques du Centre International d'Agriculture Tropicale, à Cali, en Colombie.
En quoi consiste votre métier ?
Je dirige un laboratoire de conservation de ressources génétiques végétales. Les ressources génétiques, c'est la variété des gènes des différentes espèces, et notre travail consiste à établir des collections de ces différentes variétés, à les conserver et à les mettre à la disposition d'autres institutions de recherche, d'autres laboratoires de biologie ou de génétique situés un peu partout dans le monde, et aussi à la disposition des agriculteurs.
Les principales plantes que nous conservons ici (c'est la plus grande collection au niveau mondial) sont les fourrages tropicaux (2000 graminées en provenance des savanes africaines), des légumineuses fourragères tropicales (18000 variétés), des haricots (36000 variétés) et du manioc (6000 variétés). Nous avons aussi des collections pour le riz et le sorgho.
Dans quel but les conservez-vous ?
Tous les essais d'amélioration des plantes doivent nécessairement se baser sur le recours à des ressources génétiques, pour trouver la caractéristique la plus intéressante. Il s'agit donc de pouvoir proposer une diversité la plus large possible, et cette diversité doit être dûment documentée. Si vous désirez travailler sur une résistance à une maladie, par exemple, ou sur des variétés plus résistantes à la sécheresse, ou tolérantes à des sols pauvres en phosphore, à des sols acides, etc., il faut pouvoir faire appel à des collections comme les nôtres.
Sous quelle forme ces plantes sont-elles conservées ?
La plupart sont conservées à l'état de graines. Si vous séchez des graines suffisamment, vous pouvez les conserver à -20°C pendant 30 à 40 ans. Nous faisons également des recherches pour améliorer les méthodes de conservation.
Ces améliorations de plantes se font-elles par des manipulations génétiques ?
Jusqu'à présent, ce sont principalement des améliorations par hybridation (croisements), mais de plus en plus de programmes de recherches s'engagent sur la voie des manipulations génétiques, pour exprimer des caractéristiques qui ne font pas partie de celles présentes dans la plante en question.
Mais cela ne fait pas partie de nos recherches propres. Je pense que le génie génétique est une voie intéressante, mais ce ne sera pas la solution à tous les problèmes. Il faut aussi faire rapidement des études supplémentaires pour éviter des croisements indésirables entre plantes cultivées et plantes sauvages apparentées. Nous avons affaire à une grande diversité de situations, et chaque cas doit être étudié en particulier.
Comment se présente votre travail au quotidien ?
Au quotidien, je dois me partager entre le travail de bureau, les expériences de laboratoire et les essais sur le terrain. Et puis il y a aussi des missions à l'étranger. Par exemple, je viens d'aller faire du travail de terrain au Costa Rica et une série de conférences au Mexique. Dans mon travail, j'utilise des disciplines très différentes : botanique, génétique moléculaire, droit, écologie, informatique, ce qui en fait un travail très varié.
Comme je dirige le centre, je dois aussi m'occuper du management d'une équipe d'une quarantaine de personnes, multiculturelle et multilingue, de la gestion des budgets, de la recherche de fonds, de la préparation de nouveaux projets de recherche, de la rédaction d'articles scientifiques, et aussi de la conscientisation publique. Côté horaires, c'est un travail exigeant en temps :10-12 heures par jour, et souvent les week ends. De plus, les responsabilités sont lourdes.
Recevez-vous des stagiaires venant d'Europe ?
Oui, dans un certain nombre de cas, les pays d'Europe facilitent des stages pour des étudiants ou des jeunes chercheurs dans nos labos. Moi-même, c'est ainsi que j'ai commencé ce travail, et je trouve qu'aujourd'hui, plus encore que par le passé, il est important de maintenir ces échanges. Pourtant cela devient difficile. Il faudrait notamment que les stagiaires puissent rester plus de trois mois, sans quoi les bénéfices de leur visite sont assez limités, pour eux comme pour nous.
Quelles études avez-vous faites ?
J'ai fait des études de bioingénieur à la Faculté des Sciences Agronomiques de Gembloux suivi d'un Certificat en Agronomie Tropicale et un doctorat en Sciences Agronomiques.
Vos études vous ont-elles bien préparé à votre travail actuel ?
Oui, parce qu' elles impliquaient déjà une forte synthèse entre disciplines très différentes : biologie, génétique, économie, droit, sciences de l' ingénieur. Moins bien, parce qu' elles n' étaient pas suffisamment internationales (j'ai compris qu' il y a eu des changements salutaires depuis, comme le programme Erasmus) ; elles auraient aussi pu inclure une partie plus pratique comme cela s'est fait un temps aux États-Unis ou en Allemagne.
Qu'est-ce qui vous a donné l'envie de partir sous d'autres cieux ?
J'avais envie de voir le monde, mais au départ ce n'était pas avec l'idée de m'établir ailleurs. C'était plutôt dans l'idée d'acquérir une expérience professionnelle intéressante. Il se fait que les activités dans mon domaine de ce côté-ci de l'Atlantique permettaient de faire œuvre utile, et dans une dimension internationale. Ceci ne concerne pas les seuls pays de la région, mais aussi beaucoup d'autres régions du monde. Et donc je suis resté, me sentant plus utile ici !
Quelles sont les perspectives d'avenir dans votre domaine ?
Il reste un certain nombre de défis pour la communauté internationale, notamment en ce qui concerne la diversité biologique des cultures et des espèces sauvages, ou plus généralement de la végétation des pays tropicaux et subtropicaux. La plupart de ces pays n'ont pas les ressources humaines, techniques ou financières pour s'attaquer aux problèmes importants du moment, comme la disparition des végétations naturelles ou les conséquences d'un changement climatique sur la diversité biologique. Ce sont là des problèmes pour lesquels les pays ne pourront pas faire grand chose individuellement, et où il me semble qu'il appartiendra aux agences internationales de trouver des solutions.
Mais personnellement, mon vrai défi est surtout de former une nouvelle génération de professionnels qui gardent une connaissance globale, au moment où les spécialisations se multiplient. Et aussi de maintenir une dimension internationale à l'heure des replis nationaux. L'Amérique latine devra tripler le nombre de chercheurs dans notre domaine dans le courant de cette décennie (si du moins le secteur économique commence à s'intéresser à ces défis mondiaux).
Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer votre métier ?
Disponibilité et flexibilité. Capacité d'écoute et d'initiative. Compétence et désir de rayonnement mondial. Capacité de travail. Trois langues parlées et écrites.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui voudrait se lancer dans la même direction que vous ?
De suivre son idée sur sa vie et sa profession : à l' heure de la mondialisation des échanges et du marché du travail, cela peut signifier de faire la malle avec fréquence ! Peut-être aussi d'avoir un peu de patience pour imprimer sa marque.