Mme Diane Lévêque, Fil-de-fériste
Interview réalisée en juin 2012 |
Pourriez-vous retracer brièvement votre parcours de formation ?
J’ai suivi des études classiques en France jusqu’au lycée, ensuite je suis entrée à l’Université pour étudier les lettres modernes pendant 2 ans. Depuis que je suis petite j’ai toujours fait beaucoup de sport, de la gymnastique entre autres, et aussi du théâtre.
Lorsque j’ai découvert qu’il existait des écoles de cirque professionnelles ouvertes à tous sur concours, j’ai commencé à me préparer en même temps que je suivais mon cursus universitaire. J’ai repris la gymnastique, et je me suis préparée physiquement aux épreuves de danse, théâtre et préparation physique.
Je suis entrée à l’école de cirque Annie Fratellini en même temps que je poursuivais ma 2ème année à l’université pour participer à une formation en amateur très intensive : tous les jours de 10h à 13h, où j’ai pu suivre des cours d’acrobatie, de danse d’équilibre et de trapèze, avant d’aller prendre mes cours à l’Université. A la suite de cette année, j’ai présenté des concours dans des écoles de cirque professionnelles, pour démarrer une année de préparation aux concours des écoles supérieures de cirque (comme celle de Montréal, Bruxelles, ou de Châlons-en-Champagne). Je suis entrée à l’école du cirque de Lomme pour faire cette année préparatoire à temps plein, et j’ai arrêté l’Université. Cela a été une année de pratique physique très intensive. J’ai passé le concours de l’école de Châlons-en-Champagne à la suite de cette préparation et, arrivée au bout de la dernière épreuve, je n’ai pas été reçue. Je suis alors rentrée dans la formation professionnelle de deux ans que propose l’école du cirque de Lomme (différente de la préparation aux concours), et j’ai choisi de me spécialiser en fil. J’ai refusé de représenter des concours d’écoles supérieures. J’avais découvert le fil à l’école Fratellini, et au cours d’un stage pendant la formation préparatoire. J’ai passé ces deux années à Lomme à travailler le fil quasiment en solitaire (puisque nous n’avions pas de professeur dans cette discipline) et à présenter des recherches de numéros en public sous le chapiteau de l’école. Ensuite, partagée depuis le début entre mon goût pour le théâtre physique et le cirque, j’ai décidé de poursuivre ma formation à Bruxelles à l’école internationale de théâtre Lassaad durant deux ans. J’en suis sortie en 2006. J’ai ensuite suivi régulièrement des stages, c’est très important de continuer à se former dans ce métier.
Racontez-nous votre parcours professionnel... Qu'est-ce qui vous a donné envie de créer votre propre compagnie ?
Je suis donc sortie de l’école de théâtre Lassaad en 2006, et j’ai continué à faire du fil en m’entraînant notamment à UP Circus & performing Arts (anciennement, l’espace catastrophe) à Bruxelles. L’envie de mêler fil et jeu théâtral s’est assez vite imposée, et j’ai commencé à travailler un numéro en 2007.
En parallèle, différents projets ont vu le jour : la mise en scène d’un spectacle muet, la création d’un collectif de travail à Bruxelles et d’un spectacle de cabaret-cirque musical. J’ai persévéré avec mon numéro de fil créé autour d’un personnage : “Odile Pinson”, présenté à l’essai au cours de diverses soirées sous chapiteau.
Le numéro est devenu un spectacle pour la rue et il a commencé à tourner très sérieusement en 2008, après avoir joué dans le cadre d’un festival à Ath où j’ai été repérée. A la suite de cela, les propositions ont fusé. J’ai fait construire une structure de fil autonome pour pouvoir jouer plus facilement, je me suis acheté une camionnette et une sono, et en route pour la tournée.
De ce numéro, puis de ce spectacle est née la “compagnie Odile Pinson”. Aujourd’hui, nous travaillons en duo avec une deuxième création depuis 2011, et nous avons créé une asbl, la compagnie fait son petit bout de chemin.
Concrètement, comment s'organise votre travail ?
Mon travail consiste à exercer plusieurs métiers en même temps !
Il y a bien sûr le travail physique, l’entraînement, les répétitions, mais aussi l’écriture et la mise en scène. Et puis il y a une grosse part de travail administratif : l’écriture de dossiers pour obtenir des subsides pour créer des projets, la comptabilité, la gestion, la communication (aidée par un infographiste, webmaster) et puis il y a l’énorme travail de diffusion pour trouver les dates, réaliser les contrats et les fiches de paie (je l’ai fait pendant 3 ans c’est maintenant notre chargée de diffusion qui s’en charge).
D'après vous, quelles sont les qualités requises pour exercer le métier de fil-de-fériste ?
Je pense qu’il ne faut pas être quelqu’un de trop angoissé parce c’est un métier très instable, ou le rythme est très irrégulier. Il faut aussi être très indépendant et entreprenant. Il faut sans cesse créer son travail, se renouveler, aimer la débrouille. Se fixer soi-même ses horaires, ne pas paniquer durant les périodes creuses avec moins d’activités, et ménager son énergie pendant les périodes très intenses de tournée. Et puis, il faut avoir le goût des rencontres, de l’effort physique, du dépassement de soi et bien sûr être créatif.
Est-ce un travail d'équipe ?
En général oui, surtout dans des compagnies avec beaucoup de membres.
Quels sont les autres professionnels avec qui vous collaborez ? Quelles sont leurs missions ?
Nous collaborons avec une costumière, un constructeur de décors, une chargée de diffusion, une webmaster. Et aussi avec tous les professionnels qui programment notre spectacle, les équipes techniques sur place etc.
Quelles sont vos conditions de travail, vos horaires ?
Je travaille au cachet, pour des contrats artistiques de courte durée, je donne aussi occasionnellement des stages de cirque, de fil, ou de théâtre ou des ateliers plus réguliers. Mon lieu de travail, c’est une salle d’entraînement à Tournai, qui m’est gracieusement mise à disposition, puis c’est à la maison dans le bureau. C’est un mélange entre des périodes de travail très intenses, voire démentielles, et puis le calme plat, ou il faut en profiter pour continuer de se former.
Quels sont les publics que vous touchez particulièrement ?
Nous jouons dans la rue au cours de festivals, c’est donc un public très large en général assez familial. J’ai déjà donné des représentations en milieu scolaire, ou réalisé des stages pour des enfants et aussi dans une école d’enseignement spécialisé.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées dans votre métier ?
La capacité à créer son propre rythme de travail au quotidien, à se remettre en question sans cesse pour élaborer de nouveaux projets. Trouver un espace de travail ou de stockage de décors. Se créer un réseau.
Quels sont les conseils que vous donneriez à une personne qui a envie de se lancer dans le milieu ?
Se former dans une école pour avoir une formation solide avant de devoir faire face à une réalité difficile et surtout faire partie d’un réseau grâce à cette école : pour démarrer c’est très important.
Qu'est-ce qui vous a attirée dans ce secteur ?
La liberté avant tout, le goût du voyage, je dirais presque le goût du nomadisme. Ma passion pour le spectacle. C’est parce que j’ai été spectatrice de spectacles qui m’ont émerveillée que j’ai contracté le virus, c’est aussi en rencontrant des artistes.
Quels sont vos projets en cours, futurs ?
Alors pour les projets : construire une forme de spectacle pour la salle, puisque pour le moment j’ai surtout joué en extérieur. Poursuivre l’apprentissage de la musique (le saxophone) pour pouvoir l’intégrer en duo avec mon partenaire.
Nous réfléchissons également à une troisième création pour la rue. J’aimerais aussi faire construire une nouvelle structure de fil à une nouvelle hauteur. Continuer de me former par des stages, apprendre, découvrir, voyager !
Avez-vous une anecdote à partager ?
Le jour de la centième représentation du premier spectacle “Odile Pinson fait son cirque !”, nous devions jouer à Nevers sur les bords de Loire. En arrivant avec la camionnette pour décharger le matériel et le fil, nous n’avons pas fait attention au fait qu’il y avait du sable et nous avons roulé directement jusqu’à l’espace de jeu sur une espèce de passerelle en bois à même le sol... mais très vite sous le poids du véhicule les pilotis de bois ont cédé et nous nous sommes embourbés dans le sable.
L’organisateur est arrivé en trombe très énervé ! Il a fallu nous sortir de là en nous remorquant avec un 4X4 pendant près d’une heure. La passerelle en bois était complètement défoncée... Nous en avons gardé un morceau en souvenir et après le spectacle nous avons offert un apéro général à toute l’équipe et aux spectateurs.