Mr Dieudonné Leclercq,
Titulaire d'un doctorat en sciences de l'éducation
Interview réalisée en janvier 2009 |
Professeur à la faculté de Psychologie et Sciences de l'Education à l'ULg.
Pouvez-vous nous présenter vos activités ?
Outre ma fonction de professeur, je suis responsable académique du STE (Service de Technologie de l’Education), du CERES (Centre d'Enseignement et de Recherche pour l'Environnement et la Santé) et de STE-Formations Informatiques. J'ai créé, avec l’administration de l’Enseignement et des Etudiants, "Guidance Etude", un service d’aide aux étudiants sur leurs méthodes de travail ainsi que le SMART (Service Méthodologique d’Aide à la Réalisation de Tests). J'ai contribué à fonder le LabSET (Laboratoire de Soutien aux Synergies Education-Technologie) et l’IFRES (Institut de Formation de Recherche en Enseignement Supérieur) qui forme à la pédagogie universitaire et délivre un master complémentaire : le diplôme Formasup. Depuis octobre 2010, je suis professeur émérite, ce qui ne m'empêche pas de garder quelques cours à Liège et à Paris et de continuer à prester des missions d’expertises en Espagne, au Chili, en Lituanie et ailleurs.
Pourquoi et comment vous êtes-vous intéressé aux sciences de l'éducation ?
Les enseignements dont j’ai bénéficié m’ont donné le plaisir d’apprendre et l’envie d’enseigner, puisque dès 14 ans je me suis inscrit en Haute-Ecole dans le but de devenir professeur. Mon professeur de pédagogie de l’époque m’a alors conseillé, ainsi qu’à mon meilleur ami, de continuer directement à l’université. Il a choisi la médecine, moi j’ai prolongé en pédagogie.
Quel a été votre parcours professionnel ?
Dès l’obtention de mon diplôme universitaire en Sciences de l'éducation, le Professeur G. de Landsheere (une sommité mondiale dans son domaine : la recherche en éducation) m’a proposé d’être chercheur dans son service (en 1968). Ce qui m’a amené, quelques mois plus tard, à décider si, dans le mouvement de contestation contre un recteur excessivement autoritaire, je me rangerais du côté de l’association du personnel scientifique, obéissant au recteur, ou de celui des étudiants occupant la salle académique et dépavant la Place du XX Août. J’ai choisi la deuxième solution et après des semaines d’affrontement, nous avons gagné (le Gouvernement a changé la loi, faisant entrer les étudiants et les personnels au Conseil d’Administration). Heureusement, car, si nous avions perdu, ma carrière universitaire se serait arrêtée là. De chercheur je suis devenu assistant de ce même professeur, puis j’ai défendu un doctorat en 1975 et je suis devenu, en 1980, professeur associé du Professeur de Landsheere. A son départ, je suis devenu le chef d’un nouveau service : le Service de Technologie de l’Education (STE). C’était en effet l’époque de l’audio-visuel triomphant (la TV) et l’introduction des ordinateurs dans les classes, opération qu’il importait de penser et d’y préparer les enseignants. J’ai eu alors l’occasion de faire deux séjours aux Etats-Unis. Le premier à l’Université de Pittsburgh, dans un département spécialisé en enseignement totalement individualisé. Le deuxième à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) dans un département spécialisé en évaluation. Ce sont les deux spécialités que j’ai creusées et enseignées non seulement à Liège, mais aussi à Luxembourg et Aoste.
Pouvez-nous nous présenter brièvement le CERES ?
En 1980, des besoins criants en éducation pour la santé ont amené la création d’un grand nombre de services et d’institutions destinées à ces fonctions. Ce qui a provoqué des besoins de formation de ces intervenants et d’évaluation de la qualité de programmes réalisés ou de projets de programmes. Avec le Professeur G. Reginster, fondatrice de l’Ecole de Santé Publique de l’ULg, nous avons voulu rencontrer ces deux besoins par une structure, le CERES, qui a compté jusque 10 personnes et qui continue à rendre des services du même type, près de 30 années plus tard. Le CERES illustre qu’on ne fait rien tout seul : l’association des forces de deux personnes est nécessaire et passionnant. Sans parler du soutien indispensable des autorités (les différents recteurs successifs).
Comment se matérialisait une de vos semaines types ?
Certaines activités (cours, conseils de faculté, de département, de diplôme) sont récurrentes et ont lieu toutes les semaines ou tous les mois. Certains cours se donnent au premier semestre, d’autres au second semestre, dont les deux premiers mois (janvier-février) étaient occupés surtout par les corrections de travaux. Certains cours (en master) consistent à introduire la matière pendant quelques séances, puis lancer les étudiants dans des projets personnels, en leur consacrant des rendez-vous périodiques sur l’avancement de leur projet, puis organiser la présentation orale (supportée par projection) des travaux de chacun à tous et enfin corriger la version écrite de ces travaux. Mes cours de déontologie, de docimologie, d’audio-visuel et de Formasup fonctionnent selon ce principe. Tout au long de l’année, des formations ponctuelles de professeurs d’université (à la pédagogie universitaire) s’intercalent, de même que de nombreuses réunions avec des étudiants en mémoire ou en doctorat. En novembre et en janvier, je passais une semaine à Paris pour y donner deux cours différents en mode "condensé" (3 jours du matin au soir).
Pour les cours récurrents, voici l’horaire du premier semestre :
- Lundi matin de 8h30 à 10h30 : cours d’Introduction aux Sciences de l’éducation pour 400 étudiants du premier bloc. J’aime donner cours à de grands groupes, je donne d’ailleurs un cours au CAPAES (Certificat d’Aptitudes Pédagogiques Approprié à l’Enseignement Supérieur) sur ce sujet. J’y fais de l’enseignement-recherche car j’y entraîne les étudiants à la métacognition (le jugement, l’analyse et la gestion de sa façon de penser, d’apprendre, d’agir) par diverses méthodes, y compris l’auto-évaluation (cotée !) à chaud et à froid. Retour au Sart Tilman où je réponds aux mails (à peu près 60 par jour), certaines réponses demandant des heures de travail.
- Lundi soir, cours de Psychologie éducationnelle de 18h à 20h30 aux étudiants (350 venant de toutes les facultés) qui veulent devenir enseignants.
- Mardi après-midi : cours d’Evaluation et Docimologie.
- Jeudi cours de Déontologie.
- Dans les trous de cet horaire, animations (30 par an) de séances de formation ponctuelles. Participer à des réunions, recevoir les assistants, chercheurs, etc. Lire des articles et travaux et écrire mes articles, syllabi et livres se fait à la maison, surtout le week-end et les vacances. Au second semestre, je participe plus à des colloques.
Quelle est votre spécialisation en Sciences de l'éducation ?
Mon patron jugeait que je me "dispersais" en m’intéressant à beaucoup de sujets. Or une de mes spécialités est la "triple concordance" entre Objectifs, Méthodes et Evaluation. Il faut donc que j’approfondisse ces trois domaines qui se décomposent chacun en diverses spécialités. J’ai écrit plusieurs livres sur l’évaluation (notamment sur les QCM et sur les degrés de certitude), sur certaines méthodes (notamment l’enseignement programmé) et sur la pédagogie universitaire, où il faut traiter à la fois de ce qu’est la qualité d’une formation, du poids de l’origine socioculturelle des étudiants sur leur réussite, de la problématique de la sélection à l’entrée, de méthodes pédagogiques particulièrement développées dans l’enseignement universitaire : l’Apprentissage Par Problèmes (APP), la Pédagogie Par Projets (PPP), des simulations d’activités professionnelles, etc. J’ai aussi écrit, en français et en anglais, des dizaines d’articles dans diverses revues. Pour me tenir au courant de l’évolution des recherches et des pratiques dans mon domaine, je suis aidé dans la consultation (de plus en plus en ligne) de revues spécialisées, par l’achat de livres, par la participation à des colloques et associations internationales, et surtout par les échanges avec mes collaborateurs (chercheurs, assistants) et entre collègues, ainsi qu’avec les étudiants qui, à ce niveau, sont aussi des informateurs potentiels. Enfin, mes enseignements-recherches permettent de créer du savoir nouveau et d’apporter sa petite pierre à l’édifice commun. Je suis, comme chaque enseignant, un praticien-chercheur dont la première mission est de former des étudiants, mais la pratique de cette mission me permet de faire de la recherche pédagogique, ce que chaque enseignant peut ou pourrait faire.
Pouvez-vous nous citer quelques études éventuellement réalisées dans le domaine des sciences de l'éducation ?
La gamme est très large. Elle commence avec le préscolaire : les crèches, y compris leur aspect historique et comparatif (dans d’autres pays) et la formation pédagogique de ceux qui s’en occupent. La recherche a montré comment contribuer à cet âge précoce à l’épanouissement de l’enfant, un objectif qui ne sera jamais abandonné tout au long de la scolarité. La recherche se poursuit dans tous les autres niveaux scolaires. A la charnière "école maternelle-école primaire", citons PREDIC, le diagnostic de la maturité de chaque enfant à l’apprentissage de la lecture, avec prédiction… et actions visant (comme en médecine) à faire mentir les prédictions quand elles sont alarmantes. D’autres études portent sur l’immersion à l’école dans une autre langue que la langue maternelle, sur les effets de certaines méthodes (en mathématique, en français, en sciences, en formation des maîtres, etc.), sur l’évaluation des acquis à divers niveaux de scolarité (les études internationales PISA, l’étude MOHICAN sur ce que maîtrisent les étudiants qui entrent à l’université). Au niveau de l’enseignement supérieur (universités, Hautes-Ecoles), l’enjeu est de rendre l’apprenant de plus en plus autonome, donc autorégulateur, mais dans un contexte social, avec les complémentarités et les solidarités que cela implique.
En conclusion ?
Un enseignant et un formateur ont une grande liberté et une grande marge de manoeuvre bien utiles mais responsabilisantes car ils ont à stimuler et équiper ceux qui, formateurs à leur tour, auront à inventer l’avenir.