Interview anonyme, Editeur bruxellois
Comment peut-on imposer une maison d'édition en Belgique, alors que le marché est plutôt restreint ?
Pour moi, il n'existe pas d'éditeur “littéraire“ en Belgique. Je veux dire par là qu'il n'y a pas d'éditeur qui soit capable de promouvoir l'oeuvre d'un auteur belge à l'étranger. On édite en français mais la francophonie n'est pas seulement la Belgique. C'est aussi la France, la Suisse, le Canada et toute l'Afrique francophone. Faire de l'édition c'est pouvoir déborder de son cadre local. En Belgique, ce n'est pas rentable puisqu'il n'y a pas assez de lecteurs effectifs : il y a quatre millions et demi de francophones et environ une trentaine de librairies que je qualifierais de “culturelles“. Si je dépose deux exemplaires de mes livres dans chacune de ces librairies, cela fait soixante exemplaires. Imaginez le manque de rentabilité ! Alors que je devrais multiplier mes ventes et mes recettes par dix pour que ce soit rentable, il faut donc que 90% de ma production soit exportée.
Faut-il de gros investissements pour se lancer dans l'édition ?
Il faut élargir son rayon d'action petit à petit. Evidemment, cela demande un investissement important mais c'est le problème de tout éditeur qui débute : se constituer un catalogue. C'est à partir de là que l'on commence à fonctionner normalement, mais, il faut cinq ans minimum pour se constituer un fonds de trente livres.
Pensez-vous qu'une formation soit nécessaire pour se lancer dans le métier ?
Je pense que c'est utile mais que ce n'est pas assez. Le métier d'éditeur s'apprend surtout sur le tas. C'est la personnalité de l'éditeur qui détermine sa politique et qui donne le souffle à l'édition. Il n'y a pas de cours prévus pour cela. En ce qui me concerne, j'essaie de publier des choses qui me plaisent sans nécessairement tenir compte des critères économiques. Néanmoins, des cours de gestion sont indispensables et une bonne formation générale, permettant d'apprécier une oeuvre littéraire, me semble nécessaire.
L'aspect littéraire est effectivement important. Mais peut-on pour autant négliger l'aspect économique et commercial de ce métier ?
Ce sont deux choses qui paraissent, à première vue, incompatibles mais qui vont de pair. Tout le monde sait qu'à partir de mille exemplaires, on amortit son livre, on reconstitue son capital mais on ne fait pas de bénéfices. C'est seulement à partir de deux milles exemplaires que cela devient rentable, si tout a été vendu. Ce sont des critères universels : le prix de revient d'un livre est bas quand on tire beaucoup. Avec un minimum de bon sens, au bout de quelques mois, on a compris tous les mécanismes. Je crois que c'est essentiellement un métier de communication : l'éditeur se trouve au centre d'un certain nombre d'opérations à réaliser et il doit orchestrer le tout. Et si l'une de ces choses se trouve en déséquilibre, l'ensemble ne peut pas fonctionner. Il y a la relation auteur-éditeur, la relation éditeur-imprimeur, éditeur-média, éditeur-libraire, éditeur-lecteur. Toutes ces opérations doivent être bien faites et simultanément. Pour pouvoir éditer des livres littéraires, il est utile d'établir un programme éditorial dans lequel on trouve au moins deux titres qui touchent le public le plus large. En édition, il ne faut rien négliger, tout est important. Il s'agit d'un travail porteur, mais à long terme.