Mr Philippe Gabant,
Chercheur et Bioentrepreneur
A la fois chercheur à BioVallée et administrateur délégué de DELPHI Genetics, une spin-off de l'ULB.Quel est votre travail actuellement ?D'une part je suis administrateur délégué d'une spin-off qui s'appelle Delphi Genetics, et d'autre part, je gère une équipe de recherche en génétique, c'est-à-dire que dans un laboratoire où une dizaine de généticiens travaillent, je suis la personne qui a une vue d'ensemble : je m'occupe de collecter l'ensemble de l'information, de mettre les résultats en commun, de gérer les discussions pour que les choses fonctionnent. Mais auparavant, pendant 10 ans, j'ai fait moi-même de la recherche. J'ai un parcours académique classique de chercheur. Vous avez donc une formation de biologiste ?Oui, j'ai fait un master en biologie moléculaire à l'ULB. Ensuite, à la fin du master, j'ai fait mon travail de mémoire dans un laboratoire pendant quelques mois. C'est là que j'ai vraiment appris à faire des expériences et j'ai acquis la connaissance du métier avec des gens plus expérimentés. Ensuite, j'ai fait une thèse de doctorat pendant 5 ans. A la fin de ma thèse, j'avais envie de faire un peu autre chose, et j'ai suivi des cours du soir en management. J'ai donc aussi une licence en management. Je suis aussi allé travailler en Ecosse pendant un an pour y apprendre des technologies qui permettent de transformer génétiquement des souris de manière à étudier l'effet des gènes sur leur développement et à construire des modèles pour l'étude de maladies humaines. C'est un métier où l'on voyage relativement beaucoup par rapport à d'autres, et il est très bien vu jusqu'à 30-35 ans de diversifier ses expériences. Vos études vous ont-elles bien préparé à votre travail ?Les études à l'Université ne forment pas vraiment à un métier Elles forment des esprits qui seront capables d'étudier et de s'adapter. "Chercheur" comment ça s'apprend ? C'est comme un chef-coq ! On ne devient pas chef-coq en lisant des livres de recettes ! Le chercheur apprendra chez un autre chercheur en laboratoire, en faisant des stages, en voyageant d'un laboratoire à l'autre. Et le diplôme de doctorat montre la reconnaissance par le monde scientifique. Et maintenant vous êtes administrateur d'une nouvelle spin-off qui s'appelle Delphi Genetics ?Au cours de ma carrière scientifique, j'ai eu rapidement l'occasion, avec un collègue, de déposer un brevet sur une technologie de clonage d'ADN. Ce brevet a été licencié à une société américaine qui est maintenant le leader mondial en clonage d'ADN. Au fil du temps, travaillant chez différents employeurs, j'ai trouvé de nouvelles idées, avec des collègues, pour améliorer cette technique. On a déposé de plus en plus de brevets au nom de l'ULB. S'est posée la question de savoir si l'ULB était le meilleur réceptacle en tant qu'Université et le meilleur moyen de valoriser économiquement un savoir-faire et des brevets. Et donc, en octobre 2001, nous avons décidé avec deux autres scientifiques, de créer une société qui s'appelle Delphi Genetics, dont je suis l'administrateur délégué. Et qu'est-ce que BioVallée ?Aujourd'hui, les pouvoirs publics demandent aux universités non plus uniquement de former des étudiants et de faire de la recherche, mais de faire en sorte que cette recherche, en partie en tout cas, se transforme en activité économique par la création de sociétés, spin-off. L'ULB a choisi de créer une structure spécifique pour favoriser cela : c'est BioVallée. Ce sont donc de nouveaux laboratoires qui ont pour vocation de faire de la recherche ouvrant des débouchés économiques. Les gens de BioVallée font de la recherche appliquée, et aident à créer des entreprises en biologie moléculaire, dont Delphi Genetics est un exemple. Ce type de sociétés se crée souvent aux Etats-Unis. Les Universités américaines sont beaucoup plus habituées ce système. Quand une recherche marche bien dans une Université, et qu'il y a un intérêt du monde économique, on crée une société avec des capitaux de l'Université et les scientifiques compétents. Pouvez-vous décrire une journée actuelle de travail ?Mes journées aujourd'hui ne sont pas très typiques d'un scientifique. Ce sont plutôt les journées d'un manager. Les gens qui gèrent une société de petits pois ont à peu près les mêmes journées que moi. Ce sont des réunions par exemple pour présenter certains résultats scientifiques et les rassembler. Je suis plus éloigné du laboratoire, ce sont les gens qui travaillent avec moi, qui s'occupent du quotidien du laboratoire. Mis à part ces réunions, c'est être sur internet, répondre aux messages électroniques, (une belle invention !), mais aussi prendre des décisions, analyser des budgets, choisir les achats à faire, etc. Il y a des aspects très pratiques, par exemple la construction d'un nouveau bâtiment. Les scientifiques surveillent la construction et donnent leur avis sur l'aménagement des bâtiments. Je suis donc plus, comme je l'ai dit, un manager qui comprend la science. Le but est que j'aille à toutes les réunions pour embêter le moins possible les gens de laboratoire et leur permettre de se concentrer sur la science. Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer cette profession ?Il y a quelque chose qui s'apprend au fil du temps : rester imaginatif tout en étant très rigoureux. Cela veut dire qu'il y a un moment dans le travail, où l'on peut fonctionner avec son imagination de façon tout à fait débridée. On est proche d'un artiste à ce stade, on fait des brainstormings, on réfléchit dans tous les sens. Puis à un moment donné, il faut qu'on puisse mettre l'idée en pratique dans des expériences et là ça devient très rigoureux. Pour faire un bon chercheur en général, il faut avoir la capacité d'être très imaginatif mais de pouvoir cadrer son imagination dans des expériences. C'est à mon avis la qualité la plus importante. Quels sont les avantages et les inconvénients ?Il faut être passionné pour faire ce métier, mais il est très prenant. Il a les qualités de ses défauts et inversement. Il faut travailler énormément mais par contre, on ne s'embête jamais. La notion de vacances devient un peu étonnante. C'est un travail qui permet aussi de rencontrer énormément de gens très érudits, de voir le monde entier. En fait, il y a plusieurs manières différentes d'être scientifique ! Il y a ceux qui, comme moi, créent des sociétés. Quand on crée une société de type "spin-off", on a un conseil d'administration, où l'on est cinq ou six et où on décide de la vie de la société. C'est intéressant parce qu'on voit tous les niveaux de la société en la créant. Le côté constructif est très important. On est aussi souvent très valorisé. J'ai 37 ans, et mes collègues 34 et 28 ans. Cela représente des responsabilités importantes à un âge encore relativement jeune, mais c'est une science nouvelle. Ceux qui connaissent la génétique et qui l'ont pratiquée au niveau technologique, ce sont des jeunes. C'est un métier où l'on peut faire ses preuves relativement tôt. Je comparerais la génétique maintenant à l'informatique à la fin des années 70 début 80. On observe un peu la même chose, tout se construit, comme à cette époque. Une autre manière d'être scientifique est de travailler dans une multinationale en biologie ou en génétique. Ceux-ci sont plus les éléments d'un grand rouage et sont dans une structure très organisée avec des avantages et des inconvénients. Quels sont vos horaires ?En nombre d'heures, c'est quasi incalculable. Vous ne pouvez pas faire ce métier sans l'aimer ! J'ai travaillé quand j'étais étudiant, j'étais magasinier à l'aéroport pendant un mois par an. En fait, au bout d'une semaine, j'en avais ras-le-bol ! Ce mois me paraissait une éternité. Mieux vaut aimer ce qu'on fait et être libre ! Ma journée, je la structure moi-même. Il faut cependant être capable de se mettre chaque jour des objectifs à atteindre. Se dire par exemple : "Mon cher Philippe, as-tu fait ce que tu pensais faire ce matin?" et si ce cher Philippe répond : "Non, tu as beaucoup papoté à des réunions et tu n'y es pas arrivé", alors tu restes plus longtemps et tu termines ! Je pense que tous les gens qui dirigent ont le même problème. Il faut trouver un bon équilibre. En tout cas, il n'y a pas beaucoup de dépression chez les chercheurs ! Et quand vous étiez petit, que rêviez-vous de faire ?Camionneur ! On réfléchit souvent entre collègues pour savoir d'où vient l'origine de nos choix. Oui, on a tous voulu être pompier, astronaute, camionneur. On ne pense pas être généticien à 6 ans et même pas encore quand on arrive à l'Université. Pourquoi ai-je choisi la biologie ? Je dois dire en y réfléchissant a posteriori, que ce que j'aimais bien dans la biologie et que j'aime toujours, c'est la biotechnologie. Je crois que j'ai plus un esprit d'ingénieur par rapport à la moyenne des scientifiques : améliorer les choses, trouver de nouvelles solutions. Donc, c'est le côté "ingénieur du vivant" qui m'intéresse le plus. Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à une personne intéressée par ce domaine ?C’est un métier à multiples facettes. Ce qui est important, c’est de toujours s’adapter. Les études universitaires donnent l’occasion de se faire une idée générale d’un problème et quoi qu’on en dise, elles permettent de voir l’ensemble des choses par le petit bout de la lorgnette. Mais si on m’avait dit, il y a 10 ans, "tu seras administrateur délégué !" je ne l’aurais pas cru ! Ce sont aussi les hasards de la vie et les rencontres qui font ça. Il faut suivre ses intuitions et faire les choses sérieusement et avec passion. Cela peut faire "philosophie de vieux pépé" de dire ça mais je le pense vraiment ! C’est vrai pour les sciences du vivant comme pour le reste. Ce qui est souvent important c’est le côté humain, pouvoir rencontrer et discuter avec les gens. Et une des qualités, pour moi la plus importante, c’est l’autonomie. Être capable de faire beaucoup de choses et de le faire tout seul. Cela, on ne le ressent pas quand on a 18 ans ! Ils ne me croiront pas, mais la liberté a un prix aussi. Quand on doit décider, on est seul. Au plus on a de liberté, au plus on a de responsabilités. Cela va de pair. Est-il important de connaître les langues ?Les langues, c’est essentiel. La langue véhiculaire en science, c’est l’anglais. Sans l’anglais, on ne s’en sort pas ! Bon, il ne faut pas être une star des langues, ni lire Shakespeare ! D’où l’utilité d’aller travailler à l’étranger. Il faut savoir que les francophones ont souvent un problème avec les langues mais les anglophones, c’est pire ! Ils sont vite impressionnés quand vous parlez 2 langues et ils adorent le français. |