L’IA et l'architecture : Une collaboration créative ou une révolution en cours ?

Posté le 16/10/2024  —  Actualité précédente / suivante

L'intelligence artificielle (IA) touche désormais tous les secteurs et l'architecture ne fait pas exception. Bien que les technologies émergentes bouleversent le domaine, la conception architecturale reste avant tout une affaire de créativité humaine. Alors que certains professionnels craignent une standardisation des créations, d'autres voient en l'IA un outil prometteur pour enrichir leur pratique. Loin de remplacer les architectes, l'IA pourrait bien les aider à repousser les limites de leur art.

Imaginez pouvoir décrire en quelques mots une maison idéale : 4 façades minimalistes, un design inspiré du Japon, fenêtres ouvertes sur la forêt et voir apparaître une esquisse réaliste en quelques secondes. Cette capacité de générer des concepts en réponse à une simple requête textuelle est désormais possible grâce à des systèmes comme « ChatGPT » ou « Midjourney ». Mais, malgré l'impressionnante précision de ces images, l'IA n'a pas encore les moyens de remplacer la vision globale et la cohérence qu'exigent les véritables projets architecturaux.

Des architectes belges tels que Philippe Samyn, pionnier dans l'usage de l'informatique dans le domaine, voient l’IA comme la continuité naturelle de l'ordinateur. « L'IA n'est qu'une évolution de l'informatisation », explique-t-il. « Nous utilisons déjà l'IA pour analyser l'impact des bâtiments ou pour simuler des flux d'air, mais c’est toujours notre vision humaine qui guide les choix finaux. »

Un soutien précieux pour l’analyse et la durabilité

Pour certains experts, l'IA est surtout un outil d'analyse puissant. David Lo Buglio, professeur d'architecture, utilise l’IA pour ses recherches sur le patrimoine et la restauration de monuments historiques. Elle permet de traiter des volumes de données considérables, comme lors de la restauration de Notre-Dame de Paris après l'incendie. En analysant des millions de points de données, l’IA a contribué à reconstituer des parties complexes de la cathédrale.

D'autres architectes utilisent l’IA pour intégrer des critères environnementaux dans leurs projets. Louis Roobaert, professeur à l’UCLouvain, illustre comment l’IA aide à optimiser la position des bâtiments pour maximiser l’apport en lumière naturelle ou exploiter les vents dominants. Selon lui, ces ajustements peuvent améliorer le confort thermique et réduire l'impact énergétique, ce qui est devenu essentiel avec l'introduction des normes écologiques plus strictes de l'Union Européenne.

Un outil qui stimule la créativité, mais qui soulève des craintes

Les craintes de certains architectes sont compréhensibles : une IA qui dessinerait seule des bâtiments pourrait entraîner une uniformisation des constructions. Toutefois, Michaël Flohimont, associé chez ARCHI2000, voit l’IA comme un stimulant créatif. Son bureau utilise des outils d’intelligence générative pour susciter des discussions et explorer des pistes inattendues. « L’IA peut libérer du temps sur les tâches répétitives et nous permettre de nous concentrer sur la phase finale de création, là où la valeur ajoutée humaine est la plus forte », précise-t-il.

L’IA est également utilisée pour inspirer les étudiants en architecture. Lors d’ateliers, Roobaert les incite à utiliser l’IA pour dépasser leurs idées préconçues, les aidant ainsi à sortir de leur zone de confort et à explorer des perspectives inédites.

Malgré ses avantages, l’IA n’est pas sans défauts. Philippe Samyn souligne que, tout comme les voitures ont nécessité un code de la route, l'IA exige un cadre de régulation. Sans une compréhension critique des résultats générés par les algorithmes, il existe un risque de dérive esthétique, avec des constructions purement séduisantes mais dénuées de profondeur architecturale. Pascal Simoens, enseignant à l'université, insiste sur le fait que l'usage intelligent de l'IA peut enrichir la création, mais que son emploi passif pourrait mener à une uniformisation stérile.

Quant à la question des droits d'auteur, Åsa Decorte de Samyn & Associés rappelle que l’inspiration architecturale a toujours existé. L’IA ne fait que prolonger cette pratique d’emprunt, que ce soit par la récupération de formes dans des bases de données numériques ou par le découpage de magazines papier.

Vers une architecture augmentée

Il semble donc clair que l’IA ne remplacera pas les architectes. La machine, aussi performante soit-elle, manque de ce que Samyn appelle « l’âme et la vision du monde ». Roobaert ajoute que, pour répondre aux défis complexes de l'urbanisme et de la durabilité, seule une collaboration entre l'humain et l’IA permettra de trouver des solutions pertinentes. L’IA ne doit pas concevoir seule, mais plutôt dialoguer avec ses utilisateurs pour enrichir la réflexion et affiner les projets.

L’architecture de demain ne sera donc pas seulement numérique, mais hybride : une symbiose entre l'intuition humaine et la puissance des algorithmes. La technologie devient alors une alliée, permettant de construire des espaces plus écologiques, esthétiques et en harmonie avec les aspirations humaines. L'enjeu reste de taille : savoir s'adapter à ces outils, sans perdre de vue l’essence même de l’art de bâtir.

Le Vif, 16 octobre 2024


Publier un commentaire

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.