Mr Arnaud Termoria,
Chercheur en biotechnologie

Quelles études avez-vous faites ?

A la fin de mes secondaires option latin-sciences, j'ai hésité entre les études de médecine, d'ingénieur, ou d'agronomie. Finalement, j'ai choisi l'agronomie parce que cela me semblait le plus multidisciplinaire comme études. Je dois aussi dire que je suis conscient d'avoir eu la chance de vivre dans un milieu où le choix d'un métier n'est pas conditionné par des aspects financiers, mais uniquement par l'intérêt personnel. C'est une chance que tout le monde n'a pas. J'ai donc étudié l'agronomie à l'ULB, et j'ai fait mon mémoire en chimie, sur les mécanismes d'action des pesticides.

Avez-vous trouvé du travail tout de suite ?

Oui. A la fin de mon mémoire, je souhaitais découvrir autre chose que l'unif, et j'ai voulu essayer le privé. J'ai travaillé deux ans dans une PME où l'on caractérisait par spectrométrie de masse des polluants organiques dans des matrices aussi diverses que du chocolat, des ailes d'avion ou de l'eau de boisson. C'était passionnant parce que j'avais des problèmes concrets à résoudre, et une technologie très sophistiquée à ma disposition pour y arriver. Mais au bout de deux ans, j'ai eu envie de faire une thèse de doctorat. J'ai postulé auprès d'un fonds de recherche public (FRIA) avec un projet sur la communication chimique chez les insectes, et j'ai été sélectionné !

Donc, retour à l'université ?

Ce furent quatre années superbes ! Mon promoteur de thèse me donnait carte blanche, sur un sujet que j'avais choisi, et que je pouvais développer à ma guise ! Je collaborais avec des chercheurs venus d'autres disciplines, des chimistes, des biologistes, des paléontologistes. Je pouvais étendre mon champ d'investigations le plus loin possible autour de mon sujet d'intérêt. C'était fabuleux ! Et tout ça sans devoir tout le temps chercher de l'argent pour financer la suite ! Enfin, je devais tout de même rendre un rapport chaque année au FRIA, et après deux ans, repasser devant un jury pour justifier la poursuite de mon travail. 

Et une fois la thèse réussie, qu'avez-vous fait ?

Après avoir défendu ma thèse, je me suis posé la question de savoir si je voulais m'engager dans une carrière à l'Université. En règle générale, si vous optez pour la carrière universitaire, il est conseillé de faire un post-doc à l'étranger. J'ai donc visité plusieurs universités en Europe et en Amérique du Sud, et j'ai sérieusement envisagé de partir. Mais il s'est avéré que cette vie de chercheur bohémien était incompatible avec mes projets familiaux.

A ce titre, je trouve dommage que le post-doctorat à l'étranger soit souvent imposé comme condition sine qua non pour un parcours académique. A ce niveau-là, il faut vraiment que le chercheur fasse passer sa carrière avant tout le reste. Moi je trouve que la science, c'est passionnant, mais pas à n'importe quel prix. Donc je suis resté en Belgique. Avec la perspective de devoir chercher du travail. C'est à ce moment-là que l'ULB a pris la décision de créer à Gosselies, grâce à des fonds européens, une structure pour accompagner la création de spin-offs (des jeunes sociétés qui gravitent autour du monde universitaire). C'est ce qu'on appelle un incubateur d'entreprises.

J'ai eu la chance d'être disponible au bon moment, et j'ai été engagé pour diriger des activités scientifiques dans cette structure, qui s'appelle BioVallée. Pour moi, c'est une solution idéale, parce que je reste au contact de la recherche fondamentale, et que d'autre part, je suis en prise directe sur l'industrie. J'aime la recherche fondamentale, mais j'aime aussi l'idée de trouver des débouchés appliqués découlant de ces recherches.

En quoi consiste votre travail actuellement ?

Très concrètement, à l'aide d'une équipe de chercheurs et de techniciens, nous mettons au point des méthodes performantes qui permettent d'identifier des organismes vivants sur base de leur information génétique. Nous établissons en quelque sorte leur carte d'identité génétique. Les perspectives d'application sont énormes, comme par exemple dans le domaine des tests de parenté, ou encore la traçabilité dans l'industrie agro-alimentaire.

Quelles sont vos perspectives d'avenir ?

Wouaouh. Je n'ai encore jamais fait de plans de carrière ! Je ne sais pas ce que je ferai, ni où je serai dans cinq ans. Si j'avais fait un plan de carrière à la sortie de l'unif, je serais sans doute plus riche que maintenant mais je ne me serais peut-être pas autant amusé. Si mon travail est toujours aussi passionnant, je serai sans doute encore ici. Sinon, j'aurai mis les bouts pour m'enthousiasmer ailleurs.

Quel regard portez-vous sur le monde de la recherche fondamentale?

C'est un monde très agréable, un monde privilégié, voire protégé, mais il faut bien reconnaître que c'est aussi un monde très dur, où la compétition est rude. Pour avoir été dans le monde industriel aussi, je peux vous dire que le monde académique n'est pas moins compétitif ! Il faut toujours être le premier à publier, et si possible dans les revues les plus prestigieuses. Si vous travaillez sur des sujets à la mode, vous avez plus de chances d'y arriver. Il faut dire qu'on se prend facilement au jeu : faire la couverture d'un grand magazine international vous donne un élan fabuleux pendant plusieurs mois ! Je pense que cette course entre équipes est un frein à la découverte.

L'idée actuellement en vogue de créer des centres d'excellence me semble intéressante. Il faut favoriser les synergies. Au prix que coûte la recherche aujourd'hui, on ne peut pas se permettre du gaspillage ; quand on travaille sur un même sujet, on devrait unir ses forces au lieu de se mettre en compétition. Un inconvénient majeur de la recherche académique aujourd'hui, c'est l'instabilité financière perpétuelle (excepté pendant la thèse durant laquelle j'ai reçu une bourse continue de 4 ans). On n'est jamais sûr du lendemain ! A la longue, je peux comprendre qu'au lieu de dynamiser, ça use et ça émousse l'enthousiasme.

Que rêviez-vous de devenir quand vous étiez petit ?

Je voulais être pilote de ligne, pour pouvoir aller partout ! Mais surtout, il paraît que j'étais très curieux de tout, et que je mettais souvent mes parents dans l'embarras avec mes questions saugrenues. Je voulais savoir pourquoi le ciel était bleu par exemple. Et je me souviens que c'était très gai de se rendre compte que les adultes n'avaient pas réponse à tout. On se dit : "Tiens, il y a là derrière un nouveau monde intéressant à explorer !". Et finalement j'ai découvert qu'il ne faut pas nécessairement parcourir le monde entier pour découvrir de nouveaux horizons ; c'est sans doute la raison pour laquelle que je me suis orienté vers les sciences !

Que pensez-vous de la désaffection actuelle pour les sciences ?

Je pense que les sciences sont plus difficiles à enseigner que le français, l'histoire, les maths ou le latin, où il y a toujours une réponse à chaque question. Les sciences, elles, n'apportent pas nécessairement une réponse, et c'est inconfortable pour le prof. Mais s'il n'arrive pas à faire découvrir à ses élèves ce que ces questions sans réponses ont de stimulant, il passe à côté du but !

Et comme, en plus, les sciences sont relativement complexes et parfois contre-intuitives, les jeunes sont démotivés. Il faut arriver à leur donner une âme d'explorateurs, leur montrer qu'ils touchent aux limites des connaissances et qu'il y a toujours moyen d'aller plus loin. C'est un peu la faute aux médias aussi : on ne dit jamais qu'on ne sait pas ; on présente le monde comme un monde de certitudes.

On ne dit jamais : "ceci est encore inconnu, chouette, allons-y !". De plus, il y a une tendance à vouloir imputer aux scientifiques, à coups de "scoops" superficiels, toutes les catastrophes possibles et imaginables. Ainsi, la chimie est devenue "sale", la physique "polluante", l'agronomie "dangereuse", la biotechnologie "menaçante".

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.