Mr Baudouin Lénelle,
Directeur de télévision
Interview réalisée en juillet 2010 |
Directeur de la chaîne de télé locale Canal C.
Parlez-nous de Canal C. En quoi est-elle différente des autres chaines de télé ?
Canal C a deux caractéristiques : il s’agit d’une chaine locale et une chaine de service public. Ces deux caractéristiques la différencie des autres médias car il n’y a, en Belgique, qu’une seule chaine locale publique dans chaque région. Elle a donc forcément un caractère unique. Ce qui la différencie de l’autre chaîne publique qui est la RTBF, c’est que nous faisons du local et que le local est un métier très spécifique. Et ce qui la différencie des autres chaines, c’est le fait que ce soit une chaîne de service public. Puisque nous sommes une chaîne de service public, nous fonctionnons pour deux tiers de nos ressources avec de l’argent public.
En quoi consiste votre travail au quotidien en tant que directeur ?
Mon travail se compose de plusieurs parties.
Tout d’abord il y a la partie qui est sans doute la plus importante, c’est la gestion des ressources humaines. Nous sommes 35 ici à Canal C, ce qui représente une petite équipe et donc, comme dans toutes les petites équipes, dès qu’il y a des conflits, ça se ressent très très vite sur la production.
Il y a aussi la gestion économique et financière, y compris la partie prospective de la chaîne. Il faut assurer le bon développement de la chaîne à court, moyen et long terme.
La troisième partie est relative à la gestion du contenu. La chaine doit faire le travail qu’on attend d’elle, que le Conseil d’Administration attend d’elle, que les téléspectateurs attendent d’elle.
La dernière partie, c’est toute une série de petites choses diverses comme la représentation de la chaîne, l’aspect "relations publiques". Une chaine comme celle-ci vit notamment de son image et pour que cette image fonctionne convenablement, il faut la travailler. Il faut être présent de temps en temps dans les médias, organiser des campagnes de marketing, penser à ce qu’il faut faire pour être visible et vu dans des grands moments, des grands évènements, etc. A côté de tout cela, il y a toute une série de choses qui font la vie d’une chaîne et qui doivent être réglées au jour le jour : renégocier un contrat avec un fournisseur, décider si oui ou non on collabore avec une autre chaîne comme RTL ou RTBF pour tel ou tel événement sur Namur, avoir des contacts avec un avocat pour un projet d’émission avec des personnes en situation de handicap, etc. C’est donc un boulot extrêmement varié, comme le sont tous les boulots de coordination, de supervision et d’animation d’équipe. Ici, c’est d’autant plus varié qu’il s’agit d’une activité visible puisque la télé, ça rentre dans tous les foyers!
Vous parliez du contenu tout à l’heure, comment s’effectue la programmation des différentes émissions ?
Le cadre de travail est décidé par le Conseil d’Administration qui est composé de 23 personnes, dont 14 issues de l’associatif et 9 des partis politiques qui veillent à la bonne utilisation de l’argent public. On essaie d’avoir une grille la plus stable possible.
On a tous les jours un journal d’information de 26 ou 13 minutes (en période de vacances) et derrière, on essaie d’avoir des émissions fixes et récurrentes : l’émission sportive du dimanche ; un débat sur un thème de société ou politique le lundi ; le mercredi est plutôt consacré à l’histoire, à la science ; le jeudi on a une émission de reportages ; le vendredi on propose un talk show et le samedi on présente une émission qui résume l’actualité de la semaine. Pour le mardi, on avait une émission consacrée à l’emploi (co-financée par le Forem et le Fonds Social Européen) mais qui a été supprimée donc on cherche une émission fixe mais ce n’est pas évident. Il faut savoir que c’est très lourd de produire une émission puisque nous ne sommes que 35 et que rien que pour le journal de 26 minutes, il faut au moins 17 ou 18 personnes présentes tous les jours, toute la journée ! Alors, quand on veut proposer une deuxième émission de 26 minutes derrière, ce n’est pas facile.
Parfois, on a aussi des propositions qui nous arrivent. On les examine en fonction de notre projet de chaine et de nos critères habituels ("Est-ce que ça rentre bien dans notre programmation? ; Est-ce que c’est quelque chose qu’on veut mettre en avant?"). On ne fera par exemple pas d’émissions de variété, de télé-réalité. On pourrait faire des émissions musicales mais on présentera alors des groupes locaux, de la région et on les fera plutôt à thème. L’année dernière, on a fait une série de dix émissions sur les groupes rock émergeants de la région mais on ne couvrira pas Miss Belgique par exemple ! Ce n’est pas du tout dans notre ligne éditoriale. C’est à chaque fois du feeling basé sur des critères les plus précis possibles.
Quel a été votre parcours scolaire, professionnel ?
J’ai fait mes secondaires en latin-math. Ensuite, j’ai fait mon bachelier en sciences-éco et puis j’ai fait un master en communication sociale. Quelques années après, à 30 ans, j’ai eu une bourse pour aller étudier un an aux USA. Je suis allé dans un centre spécialisé de recyclage pour les journalistes déjà engagés dans leur carrière professionnelle. C’était un programme en deux parties, à Washington et en Floride.
J’ai travaillé pendant une quinzaine d’année dans le groupe Vers l’Avenir où j’ai rempli différentes fonctions comme journaliste en local, dans les pages nationales et responsable d’un programme de formation. J’ai ensuite été rédacteur en chef adjoint puis rédacteur en chef. J’ai aussi travaillé à l’Agence Belga où j’étais au comité de direction en charge de tout ce qui était illustrations, infographie, etc. Puis, j’ai travaillé deux ans à l’ONU à New York. A mon retour, j’ai pris la direction du Soir Magazine à Bruxelles. J’ai alors appris qu’un poste se créait à la direction de Canal C. Je suis ici depuis plus de 10 ans maintenant.
En quoi la formation suivie vous aide-t-elle dans votre profession ?
A priori, je dirais que la formation initiale sert surtout à rentrer dans un métier en ayant des bases mais plus on augmente son expérience professionnelle, plus c’est l’expérience qui compte davantage que la formation initiale.
Par contre, ce qui sert surtout dans le métier, c’est la formation permanente. J’insiste beaucoup là-dessus car dans le journalisme, il faut se former de façon permanente sinon on est vite décrochés. En informatique, c’est bien entendu évident mais aussi d’autres domaines comme les langues. Pour ma part, je parle français, anglais, néerlandais et espagnol et même si cela ne me sert plus actuellement, ça m’a servi dans mes boulots précédents. La formation continue, c’est une des choses que j’ai lancées ici à Canal C. Je veille à ce que chacun ait l’équivalent d’une semaine de formation chaque année.
D’ailleurs, avec des collègues d’autres associations ou ONG, on s’est lancés dans l’auto-formation et on a mis en place des formations que l’on ne trouvait pas sur le marché et qui nous sont pourtant utiles au niveau de la coordination, de la gestion d’équipe. La première formation concernait la spécificité des associations, la deuxième avait pour thème la gestion des ressources humaines. Ces formations viennent bien évidemment compléter la formation initiale de façon pointue. Elles permettent de bien manipuler les clés nécessaires pour bien fonctionner.
Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce milieu ?
Je ne sais pas…Peut-être le plaisir d’apprendre, de découvrir. Je pense qu’en matière de choix professionnels, on est aussi sujets à du hasard de circonstances : certains deviennent hommes politiques parce que leurs parents sont dans la politique, d’autres deviennent médecins parce qu’ils ont un jour été impressionnés par le médecin de famille ou des coureurs cyclistes qui avaient comme jouet favori un vélo sont devenus pros, etc. Pour ma part, à douze ans, j’ai lancé mon premier journal. Quand j’étais en secondaires, j’ai lancé trois journaux : deux dans les mouvements de jeunesse dont je faisais partie et un journal clandestin à l’école (qui nous a valu trois jours de renvoi !). Les questions liées à la liberté d’expression, à la liberté de la presse m’ont toujours intéressé.
Qu’est-ce que vous appréciez le plus dans votre travail ?
La variété ! Et le fait de continuer à apprendre tous les jours.
Le moins?
Par moment, je dirais la lourdeur, les contraintes liées à la gestion d’une boîte, à l’appartenance et à la codification d’un secteur, etc.
Quelles sont les difficultés rencontrées dans la gestion d’une chaine de télévision locale ?
Je dirais que la première difficulté, c’est le financement. Les budgets sont extrêmement difficiles à gérer, très serrés et cela demande souvent de l’ingéniosité. C’est particulièrement vrai depuis plusieurs années puisque la crise économique a des répercussions à retardement. On observe notamment une diminution des commandes venant des pouvoirs publics. L’autre partie de notre chiffre d’affaire vient des publicités (7 à 8%). Là aussi, on sent très concrètement les effets de la crise.La deuxième est aussi permanente puisque c’est faire fonctionner des équipes avec toutes les subtilités que cela comprend, les conflits que ça peut susciter.
Selon vous, quelles sont les qualités requises pour exercer ce métier ?
La première, c’est la capacité d’écoute. Il faut aussi faire preuve d’attention, de disponibilité envers l’équipe. Il faut également de la polyvalence, être capable de gérer plusieurs dossiers de front (régie publicitaire, fin de contrats de collaborateurs, rentrer des dossiers de candidatures, répondre à des appels d’offre, etc.). Il y a aussi la résistance au stress, la faculté d’adaptation, de compréhension.
Parlez-nous de l’évolution technologique qui touche votre secteur actuellement… Comment voyez-vous l’avenir de la télévision ?
A Canal C, nous sommes en plein cœur de cette évolution puisque nous changeons complètement tout le matériel de production. On a changé les caméras, on a mis en place un nouveau système de diffusion en abandonnant les cassettes pour passer au tout numérique, etc. Tout cela ne va pas sans de grosses difficultés puisque des collaborateurs ici à Canal C ont pensé qu’ils n’auraient jamais besoin de l’informatique ! D’où l’importance de se former.
Pour moi, c’est évident que la télé va encore aller plus loin dans les années à venir. Le traitement de l’image sur ordinateur va prendre de plus en plus d’importance. Je crois que les caméras vont aussi évoluer dans le sens où elles se rapprocheront plus des ordinateurs. Je pense aussi que l’évolution technologique va aller vers le consommateur.
En effet, aujourd’hui, la télé est distribuée par câble ou par ligne téléphonique mais elle est aussi distribuée via les téléphones mobiles au moyen desquels le consommateur choisit ce qu’il veut voir et quand il veut le voir. C’est très différent de la télé qu’on reçoit de manière passive chez soi. Et puis, la 3D est en train de faire une percée fantastique. Donc, tout va changer. Que ce soit au niveau de la façon de consommer la télé que de la faire. Nous n’en sommes qu’au début.
Quels sont les conseils que vous pourriez donner à une personne qui souhaite se lancer dans le métier ?
Elle doit faire ce qu’elle aime avec passion. Dans toutes ces professions que l’on dit "bouchées", moi je constate que pour ceux qui sont bons, il y a toujours de la place. Ils trouvent toujours. Ils ne trouveront peut-être pas directement le boulot dont ils auraient rêvé et pas directement à la sortie des études mais ceux qui sont faits pour ça, ils trouveront toujours. Par ailleurs, j’en connais beaucoup qui ont quitté la profession parce qu’ils étaient dégoutés, parce que les conditions n’étaient plus réunies pour faire du journalisme de qualité, comme ils avaient envie de le faire. Lorsque les jeunes me demandent s’ils doivent continuer leurs études ou travailler déjà dans le milieu, je réponds toujours qu’un employeur qui est intéressé par eux le sera encore plus s’ils sont formés.