Beatriz Martinez de la Fuente,
Pharmacienne dans l’humanitaire auprès de l’ONG Médecins Sans Frontières

Interview réalisée en août 2020

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les missions poursuivies par Médecins Sans Frontières ?

Médecins sans Frontières est une association internationale privée. Elle est principalement composée de médecins et de personnel médical, mais aussi d’autres profils qui interviennent pour atteindre les objectifs poursuivis par l’ONG. 

MSF suit trois principes fondamentaux : impartialité (MSF traite tous ceux qui ont besoin d'une aide médicale), neutralité (MSF ne prend pas parti dans un conflit armé) et indépendance (MSF ne s’associe pas à des gouvernements, des agences de l’ONU, etc.). Cela permet d'adapter la réponse aux besoins médicaux des personnes les plus vulnérables. 

MSF intervient auprès de populations en détresse, victimes de catastrophes d'origine naturelle ou humaine, de conflits armés ou d’épidémie, sans aucune discrimination fondée sur l'origine, la religion, la philosophie ou la politique. Au total, MSF travaille dans 71 pays avec 436 projets dont la plupart se trouvent en Afrique et au Moyen-Orient.

Dans ce contexte, quel est le rôle du pharmacien lors d’une mission à l’étranger ?

Le rôle du pharmacien au sein de MSF est très polyvalent et varié. Il s’assure que les patients ont accès à des médicaments et à d’autres produits médicaux fiables pour les traiter. 

Cela inclut la gestion des niveaux de stocks pour éviter les pertes ou les ruptures dans les structures de santé soutenues par MSF, la compilation des besoins pour atteindre les objectifs et les cadrer dans un budget annuel. Le pharmacien a aussi un rôle d’appui technique auprès des équipes médicales sur le terrain (dosages, effets indésirables et pharmacovigilance[1]). Il participe au processus d’approvisionnement (régulation pour l’importation de médicaments ou évaluation du marché local pour l’achat des médicaments et des autres produits). 

Pouvez-vous donner quelques exemples de missions auxquelles vous avez participé, de pays dans lesquels vous êtes allée ?

Je travaille chez MSF depuis 4 ans et j’ai déjà participé à 5 missions : République Démocratique du Congo, République centrafricaine, Soudan du Sud, Venezuela et cela fait un mois que je suis au Pakistan.

Pendant toutes mes missions, j’ai vécu de très bons moments mais aussi parfois des difficultés qui m’ont donné l’opportunité d’apprendre. 

Généralement, combien de temps durent ces missions ?

Généralement, une mission dure entre six mois et un an, mais cela dépend de beaucoup d’éléments comme le contexte, la disponibilité personnelle, l’intérêt de la mission, etc. Parfois, on se sent déjà fatigué après six mois tandis qu’à d’autres moments, après un an, vous aimeriez rester un peu plus longtemps.

Personnellement, je trouve que la vie en équipe est un élément très important pour réussir à mener à bien une mission. Partager ces expériences avec les collègues et apprendre d’eux fait partie de mon propre apprentissage personnel.

Quels sont les autres professionnels avec lesquels vous collaborez sur place ?

Chez MSF, les pharmaciens ont beaucoup d’interactions sur le terrain avec divers professionnels de la santé : médecins, infirmiers, psychologues, épidémiologistes, sages-femmes, techniciens de laboratoire, etc. Mais aussi avec l’équipe d’approvisionnement et de logistique qui assiste l’équipe médicale pour trouver des médicaments sur place. On a aussi des collaborations avec le département des ressources humaines et le personnel du département des finances pour les budgets. 

Quelles sont les principales difficultés rencontrées sur place ?

Les difficultés sont propres à chaque mission : contexte de sécurité hors de notre contrôle et restrictions de mouvements, problèmes de langue ou d’adaptation au contexte culturel, chaleur, maladies endémiques[2], etc. Dans une situation d’urgence, on travaille parfois sous une grande pression mais il faut aussi trouver des moments pour se reposer pour le bien de l’équipe et pour soi-même. Dans tous les cas, il existe des moyens pour atténuer ces difficultés. 

On imagine que la maitrise des langues est importante…

Les langues sont très importantes. Dans la plupart des missions, on parle l’anglais ou le français, mais maitriser l’espagnol, le portugais et l’arabe est un atout.

Comment gérez-vous ces missions et vos retours en Belgique ?

Personnellement, depuis que j’ai commencé à travailler pour MSF, je suis toujours en mission mais je prends deux ou trois mois entre les missions pour me reposer, voir ma famille et mes amis, et reprendre des forces. Certains collègues font des missions plus ponctuelles, qu’ils combinent avec un travail en Belgique. 

D’après vous, quelles sont les qualités indispensables pour travailler dans l’humanitaire ?

Parmi les qualités essentielles, on peut citer l'engagement envers les principes de MSF, une conscience interculturelle développée et une certaine flexibilité comportementale. Il faut pouvoir gérer son stress, être capable d’analyser les situations rapidement, de planifier et d’organiser le travail et être orienté vers les résultats, la qualité et le service. De plus, il est nécessaire d’aimer travailler en équipe, notamment pour contribuer à la gestion et au développement de chacun.

Comment s’effectue le recrutement des pharmaciens chez Médecins Sans Frontières ? Des formations particulières sont-elles exigées ?

Lors du recrutement, les profils des pharmaciens sont soumis à certaines exigences : être en possession du diplôme de pharmacien et avoir deux années d’expérience professionnelle pertinente. Un diplôme en médecine tropicale et une expérience de travail dans le service pharmaceutique d’un hôpital ou d’une clinique constituent des atouts supplémentaires. Une bonne connaissance du français et de l’anglais est nécessaire.

Il faut adhérer aux valeurs de la charte MSF, être disposé à partir sans votre partenaire et/ou famille et à travailler dans un environnement instable.

Une fois ces conditions remplies, on postule par l'intermédiaire du bureau MSF du pays de résidence. Si on est sélectionné, on passe un entretien et un test technique. Si les résultats sont bons, on commence à faire partie du groupe de pharmaciens. En générale, avant la première mission, on participe à un cours de préparation et à des briefings.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’exercer en tant que pharmacienne dans l’humanitaire ?

Honnêtement, j’ai toujours eu cette curiosité d’avoir une expérience dans l’humanitaire. Après mes études à l’université, j’ai trouvé une petite ONG espagnole qui m’a envoyé au Tchad pour soutenir le service de pharmacie d’un hôpital très éloigné. J’ai tellement aimé cette expérience que j’ai pris la décision de poursuivre ma vie professionnelle sur ce chemin. 

MSF est l’une des plus grandes ONG et je partage pleinement ses principes. Ce sont les raisons pour lesquelles je continue à travailler avec eux. C’est parfois très dur, mais c’est un des emplois les plus valorisants. 


[1] La pharmacovigilance est l'activité qui consiste à enregistrer et à évaluer les effets secondaires résultant de l'utilisation des médicaments. 

[2] Propre à une région donnée.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.