Christophe Delaere,
Archéologue subaquatique

Interview réalisée en octobre 2020

Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours scolaire ?

J’ai suivi des études d’archéologie pendant 5 ans. Une fois mon diplôme d’archéologue en poche, j’ai décidé de m’orienter vers l’étude des patrimoines immergés. Je me suis expatrié pendant 3 ans en France pour me former aux méthodes et techniques d’archéologie sous l’eau en milieu hyperbare[1]. Après cette expérience, à la fois théorique et pratique, j’ai réalisé une thèse sur un sujet d’archéologie maritime.

En général, il existe deux types de parcours : d’un côté, celui des plongeurs, qui s’intéressent très tôt au patrimoine immergé et se passionnent tellement qu’ils décident de faire de l’archéologie. De l’autre, celui des personnes qui, comme moi, font d’abord des études d’archéologie et décident ensuite de plonger. Je vois la plongée comme un moyen, un outil qui me permet de travailler là où je ne pourrais pas exercer autrement.

Pourquoi avoir choisi ce métier ? 

Je me suis toujours intéressé au passé, au patrimoine. J’hésitais entre suivre une formation d’historien ou d’archéologue. Je me suis rendu compte que l’histoire, on peut l’apprendre par soi-même. Mais l’archéologie, c’est l’histoire en pratique, sur le terrain. On collecte des données qui vont alimenter les historiens.

Existe-il des formations en Belgique pour accéder à cette profession?

La formation de base est celle d’archéologue. En Belgique, il n’y a pas de spécialisation en archéologie subaquatique. Mais il existe des formations dans des pays proches comme en France, à Aix-en-Provence (MoMArch - Master of Maritime and Coastal Archeology). On trouve également des formations en Scandinavie. Les Danois et les Norvégiens sont en effet très « branchés » archéologie maritime. Il y a aussi des formations très réputées en Angleterre, à Southampton, par exemple.

En général, deux parcours sont possibles pour les futurs étudiants : soit faire le master en Archéologie en Belgique (5 ans d’études) et ensuite partir à l’étranger pour suivre un master de 2 ans en Archéologie maritime, soit suivre le bachelier de transition en Archéologie en Belgique et ensuite continuer par un master en Archéologie maritime à l’étranger.

En Belgique, bien que nous n’ayons pas de master spécialisé en Archéologie maritime, nous disposons d’un chantier-école d’archéologie subaquatique. Il se déroule chaque année à Han-sur-Lesse et dure 3 semaines.

Faut-il un brevet de plongée spécifique pour exercer ce métier ?

En Belgique, il n’y a pas de législation à ce sujet. En général, les gens font ce qu’on appelle un parcours de plongée sportive comportant plusieurs niveaux (1, 2, 3, etc.). La fédération de plongée n’a pas d’importance. Nous imposons juste aux étudiants un minimum de 15-20 plongées. La législation est beaucoup plus contraignante à l’étranger. Par exemple, en France et aux Pays-Bas, il faut avoir un niveau de plongeur professionnel. Pour ma part, j’ai suivi la formation professionnelle pour pouvoir travailler à l’étranger.

Quelles ont été vos expériences professionnelles avant votre emploi actuel ?

Pendant 10 ans durant lesquels je me suis formé, j’ai travaillé dans l’Horeca pour gagner ma vie et payer mes études. En 2012, à la fin de mes formations en Belgique et à l’étranger, j’ai commencé ma thèse. A ce moment-là, j’ai perçu un salaire de chercheur par le FNRS[2]. Depuis lors, j’ai eu la chance d’obtenir des contrats année après année. Ce n’est pas toujours évident pour un chercheur qui passe parfois plus de temps à postuler qu’à faire de la recherche. Il faut constamment se battre pour obtenir une bourse, des financements, des subsides, etc.

En général, pour acquérir de l’expérience, les jeunes diplômés font beaucoup de stages non rémunérés sur des chantiers lesquels permettent ensuite de postuler pour un emploi rémunéré. Il y a des appels à candidature dès qu’un chantier s’ouvre. Mais je ne vous cache pas que les places en archéologie sont très rares, ce qui est dommage. Soit on a la chance de trouver une place au sein d’une université ou en Wallonie (ce sont les 2 grands pôles en Belgique francophone), soit on s’oriente vers la médiation culturelle ou les musées, par exemple, pour valoriser des expositions, faire des visites guidées, etc., soit, comme 98% de mes condisciples de cours, on travaille dans une banque, une compagnie d’assurance ou dans les ressources humaines. Ce n’est pas un parcours facile.

Par ailleurs, c’est un métier complexe mais surtout dangereux. Le premier rôle d’un chef d’opérations sur un chantier d’archéologie sous-marine est de garantir la sécurité des plongeurs. Cette dernière est assurée par l’expérience. Il faut avant tout pratiquer !

En quoi consiste votre travail ? 

Un archéologue peut faire de l’archéologie programmée ou de l’archéologie préventive.

En tant que chercheur rattaché à une université, je fais de l’archéologie programmée. Je mets en œuvre des chantiers. Je décide du site sur lequel on va se rendre. Pendant un mois, avec une équipe, on réalise des fouilles, on enregistre les objets trouvés, etc. Puis, on fait de la recherche à domicile ou au laboratoire pour analyser le fruit de notre travail sur le terrain.

Un archéologue rattaché à une région (par exemple, la Wallonie) fait des fouilles préventives. Imaginons que la ville d’Anvers décide de couler du béton dans l’estuaire pour construire une digue. Avant de commencer les travaux, l’état, la région ou la province enverra ses archéologues-plongeurs pour vérifier qu’il n’y a pas de magnifiques épaves sous l’eau. Si, lors du sondage, un vestige est découvert, il faut l’enregistrer car il sera peut-être détruit.

La particularité de l’archéologue, c’est que, par la fouille, il détruit l’objet de son étude. D’où l’intérêt de bien enregistrer tout ce qu’il découvre sous l’eau, grâce à des photos, des coupes, des dessins, etc.

Comment votre travail s’organise-t-il ?

Il faut évidemment briser le mythe de l’archéologue, du type Indiana Jones, avec son chapeau et son fouet. Nous sommes des gestionnaires, des administrateurs, des fonctionnaires de l’archéologie. Au moins 50% de notre travail consiste en de la gestion administrative : rédiger des rapports, des contrats, etc. Le reste du temps est consacré à la recherche (fouilles programmées ou préventives). 10% de celle-ci s’effectue sur le terrain et 90% ont lieu avant et après la phase de travail sur le terrain : préparation du chantier, analyse des vestiges trouvés, rédaction de rapports, d’articles, de chapitres de livres, etc. Personnellement, sur une année, je travaille 6 à 8 semaines sous l’eau. Le reste du temps, je traite des données et j’enseigne à l’université.

Quelles sont les techniques utilisées ?

Cela dépend du contexte : rivière, lac ou mer. Comme on travaille sur l’eau, on a souvent besoin d’une embarcation. En rivière, on plonge près des rives. Un petit kayak peut donc faire l’affaire. Quand on part en haute mer, la situation est différente. Le chantier nécessite une gestion de l’espace nautique.

Je dois briser un autre mythe : sur un chantier d’archéologie sous-marine, 20% du travail se fait sous l’eau et 80% en dehors. Certains archéologues maritimes ne plongent pas, mais font partie de la chaine opératoire que l’on trouve autour d’un chantier. Je travaille avec beaucoup de profils différents : des conservateurs, des spécialistes du conditionnement, des spécialistes des monnaies et des céramiques, des géologues, des géochimistes, des médecins spécialisés en oxygénothérapie hyperbare, etc.

Dans l’archéologie terrestre, on creuse avec une truelle, une pelle, un bulldozer, etc. L’idée est de travailler dans le sous-sol. Sous l’eau, on fait la même chose, sauf que l’on utilise un gros aspirateur à sédiments. Il permet de retirer la matrice sédimentaire (par exemple, le sable) déposée sur les vestiges. Une fois les objets dégagés, on fouille, on enregistre, on prend des photos, on réalise des plans, des dessins, etc. Toute une équipe est mobilisée en surface. L’eau et les sédiments aspirés sont rejetés dans de grands tamis pour s’assurer qu’aucun élément n’ait été oublié par le plongeur.

Quels sont les aspects positifs et négatifs de votre profession ?

Le côté positif est que mon métier est à la fois un gagne-pain et une passion. Par ailleurs, l’archéologie sous l’eau est assez récente. L’homme peut plonger depuis les années 50, mais les techniques de fouilles sous l’eau ne se sont vraiment développées que ces 30 dernières années. Aujourd’hui, elles nous permettent d’accéder à des zones entières « inexplorées ». Par exemple, l’UNESCO[3] a estimé que plus de 2 millions d’épaves en mer n’étaient pas localisées.

Evidemment, l’archéologie sous l’eau n’est pas uniquement associée aux épaves. Je travaille principalement en lac et en rivière sur des sites d’occupation qui en fonction des changements climatiques, se retrouvent noyés sous l’eau. Je peux ainsi découvrir des maisons, des sculptures, des offrandes, etc. C’est un très beau métier. On explore le passé, on s’interroge sur nos origines.

L’archéologie, c’est de l’anthropologie culturelle. Cela signifie que l’on étudie l’homme, au sein d’une société qui n’existe plus, à travers l’étude de la culture matérielle.

L’aspect négatif est que, même si on est passionné, compétent, ce n’est pas pour autant que l’on pourra exercer et gagner sa vie.

Quelles sont les qualités requises pour exercer ce métier ?

Il faut avant tout avoir l’esprit d’équipe. C’est un travail collectif. Nous veillons les uns sur les autres. Il faut aussi un très grand pouvoir d’adaptation et faire preuve de résilience car ce sont des conditions de travail difficiles. Plonger pendant 6 semaines nécessite beaucoup d’énergie.

Il y a les personnes qui aiment l’idée d’être archéologue et celles qui aiment faire de l’archéologie. Les meilleurs archéologues sont les plus fascinés et passionnés, même s’ils travaillent sur un bout de bois isolé qui ne ressemble pas à grand-chose… On n’est pas des chercheurs de trésors. Souvent, quand on travaille, on n’obtient pas de résultat. Mais si l’on découvre un vestige, nous devons l’enregistrer, le protéger et le valoriser en partageant l’information avec la société. Les bons archéologues sont des archéologues qui sont investis.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui a envie de se lancer dans ce métier ?

Quand on veut, on peut. Il faut persévérer. Comme il y a peu de places, c’est important d’avoir une bonne formation et d’être compétent. Je connais des archéologues qui ont changé leur fusil d’épaule car ils se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas vivre de leur métier. Par exemple, un archéologue qui a monté sa société de chape et carrelage travaille 1 à 2 mois par an avec moi pour faire de l’archéologie. Il a donc réussi à développer son propre métier tout en gardant un pied dans l’archéologie. A Han-sur-Lesse, on travaille en milieu associatif, avec des passionnés (pilote d’avion, militaire retraité, etc.). Ce n’est pas parce que ces personnes ne sont pas archéologues de formation qu’elles ne sont pas compétentes. Au contraire !

Avez-vous une anecdote ?

Le patrimoine, c’est une question d’identité. On travaille sur des objets qui ont appartenu à nos ancêtres. Par exemple, j’ai fait des fouilles en Bolivie. Les descendants des personnes qui ont produit les objets que nous avons trouvés existent toujours. Même si j’ai un doctorat et 10 ans d’expérience en archéologie, il y avait un objet que je ne parvenais pas à identifier sur ce chantier. Un jour, les gens du village sont arrivés à mon bureau et m’ont expliqué en 5 minutes à quoi servait l’objet en question. Moi, je cherchais son utilité depuis 1 an ! On est donc un peu le trait d’union entre le passé et le présent, entre les populations qui ont disparu et les populations actuelles.

Une autre anecdote s’est produite sous l’eau. J’étais en plongée, très concentré sur la tâche que j’effectuais. Tout à coup, je me suis rendu compte que quelque chose n’allait pas, mais je n’arrivais pas à savoir quoi. J’ai vérifié l’air de mes bouteilles, ma combinaison, mon masque, sans rien remarquer. Jusqu’au moment où je me suis rendu compte que mon détendeur qui me permettait de respirer, n’était plus dans ma bouche ! Depuis 30 secondes, j’étais tellement focalisé sur mon travail que je n’avais pas réalisé que je ne respirais plus ! Je l’ai évidemment vite repris pour pouvoir respirer à nouveau !

[1] Milieu dans lequel les travailleurs peuvent intervenir à une pression relative supérieure à la pression ambiante.

[2] Fonds de la Recherche Scientifique.

[3] Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.