Mme Claire Périlleux,
Directrice de l’unité de recherche en physiologie végétale à l’Université de Liège
Interview réalisée en novembre 2014 |
Docteure en sciences et Directrice de l’unité de recherche en physiologie végétale à l’Université de Liège.
Qu’est-ce qu’une physiologiste ?
Il s’agit d’une personne qui étudie le fonctionnement des êtres vivants, les mécanismes par lesquels ils réagissent à leur environnement, les stress qu’ils peuvent tolérer. La physiologie concerne à la fois la biologie développementale (la croissance et le développement d’un organisme) mais aussi toutes les interactions avec le milieu extérieur, vivant ou non vivant. Par exemple, on observe en physiologie végétale la réponse d’une plante à un pathogène (agent biologique qui engendre une maladie (par exemple germe, bactérie, etc.)) ou au froid, au chaud, à la sécheresse. La physiologie est une discipline qui s’étudie à divers niveaux. La physiologie classique concerne le niveau macroscopique. Dans le cas des végétaux, on va observer comment la plante se comporte et réagit en fonction des conditions environnementales, des traitements qu’on lui inflige. Cette physiologie classique a été supplantée depuis les années 90 par une approche plus génétique. La physiologie est devenue moléculaire et génétique : les chercheurs s’interrogent sur la contribution de gènes et leur régulation dans les comportements observés. C’est une science pluridisciplinaire qui mêle des approches macroscopiques, biochimiques, cellulaires, moléculaires, génétiques. L’intégration de tous ces éléments permet de comprendre de façon plus ou moins précise une partie du comportement des organismes.
Votre spécialité est la physiologie végétale, quelles sont les différences avec la physiologie animale ou humaine ?
Je ne connais pas très bien la physiologie animale et humaine mais j’imagine que les méthodes scientifiques employées sont sensiblement les mêmes. A mon sens, la physiologie végétale est plus complexe car les plantes ne bougent pas. Par conséquent, elles doivent développer des mécanismes beaucoup plus rapides pour réagir à une modification brutale de l’environnement. Une plante qui a froid ne peut pas aller mettre un pull, une plante qui se retrouve en plein soleil ne peut pas s’enduire de crème solaire ou se mettre à l’abri, etc. L’humain et l’animal peuvent plus facilement éviter des choses que la plante est obligée d’affronter. Par exemple, si une chenille arrive sur la plante alors qu’elle se trouve en plein soleil en été, la cellule végétale subit simultanément plusieurs stress. Les plantes ont aussi une spécialisation moins poussée des organes. Chaque cellule est beaucoup plus polyvalente. Il n’existe pas d’organes secrétant des hormones comme chez les animaux, chaque cellule a les capacités d’assurer ces fonctions. L’intégration de tous les stimuli extérieurs est donc plus complexe chez les plantes. Une autre différence dans l’approche expérimentale est que l’étude des plantes pose moins de problèmes éthiques. Quand on fait une ablation de cerveau sur une souris, cela pose des questions éthiques qui ne se posent pas quand on réalise une ablation sur une plante.
Quel est le sujet de vos recherches ?
Je travaille sur la floraison, qui m’a toujours fascinée depuis que j’étudie la physiologie. On peut la comparer à la métamorphose des papillons. Une plante qu’on ne remarquerait pas parce qu’elle ne fait que des feuilles se met soudain à faire quelque chose de souvent très beau, une fleur. Le passage d’un mode de fonctionnement et d’un programme de développement végétatif (la fabrication de feuilles) à un fonctionnement totalement différent fascine depuis longtemps les scientifiques.
Travaillez-vous sur un type de plantes en particulier ?
J’ai vécu la transition entre la physiologie dite classique et la physiologie moléculaire et génétique. La discipline a subi une grande transformation quand les biologistes végétaux ont choisi leur "souris blanche" : Arabidopsis thaliana. C’est une petite plante qui a été choisie comme modèle à l’échelle mondiale. Son génome fut le premier génome végétal à être séquencé en 2000. Avant cette transition, j’étudiais une plante proche du blé dont on ne connaissait pas la génétique. Avec l’avènement d’Arabidopsis thaliana, nous avons mené une réflexion. Soit notre laboratoire conservait sa spécificité dans la connaissance de certaines plantes et l’approche classique, soit on essayait d’embrayer dans les approches moléculaires et génétiques avec Arabidopsis qui devenait incontournable. Dans les congrès, tout le monde en parlait et ne pas l’envisager nous condamnait à être marginaux. Etre marginal peut être une force car on fait des choses que les autres ne font pas, mais c’est aussi une faiblesse parce qu’on s’intègre plus difficilement dans une communauté et les résultats obtenus intéressent moins nos confrères. Au final, nous avons opté pour un compromis à la Belge : nous étudions Arabidopsis, mais en même temps nous continuons à nous intéresser à d’autres plantes qui sont des modèles physiologiques. Une troisième catégorie de plantes vient s’y ajouter, les plantes d’intérêt agronomique : tomate, maïs, chicorée industrielle. Nous avons besoin de financement pour nos recherches et souvent les financements sont liés à des applications à court ou moyen termes.
Qu’est-ce qui a déterminé le choix d’Arabidopsis thaliana comme modèle génétique au niveau mondial ?
Des chercheurs l’avaient choisie comme sujet d’étude en raison de sa petite taille. Certaines expériences génétiques demandent de réaliser des descendances avec des centaines ou des milliers d’individus. Sa taille permet de ne pas nécessiter de surface de culture énorme. Certains la cultivent sur des appuis de fenêtre dans les laboratoires car ils n’ont pas de serre. Elle se cultive en outre très facilement et a un cycle de vie très court : cela prend trois mois pour aller de la graine à la graine ce qui signifie qu’on peut obtenir 4 générations sur une année. Elle fait aussi beaucoup de graines, les plantes en produisant peu n’ont pas beaucoup d’intérêt pour les études génétiques car elles n’ont qu’un ou deux descendants. Elle est facile à mutagénéiser : c’est-à-dire qu’on peut facilement induire des mutations avec des agents mutagènes chimiques. C’est dû à sa particularité génétique : son génome comporte peu de séquences qui ne servent à rien. Dans un génome qui comprend beaucoup de séquences inutiles, quand on vient appliquer un agent mutagène, il y a des risques que cela ne produise aucun effet. D’autres organismes présentent beaucoup de redondance, de répétitions dans leurs génomes, par exemple le blé qui est un hexaploïde (chaque gène est présent au minimum en six copies). Il faut alors créer non pas une mutation mais plusieurs pour obtenir un effet. Le génome d’Arabidopsis a peu de séquences inutiles ou redondantes, les expériences de mutagénèses produisent des milliers d’effets à étudier. Les premiers chercheurs à avoir réalisé ces expériences ont été généreux : il y avait tellement de richesses à observer qu’ils ont distribué les sujets de recherche à leurs collègues et réparti le travail entre des équipes internationales. Une communauté s’est ainsi créée autour de cet organisme. Une fois les techniques de transgénèses (transformations génétiques) mises au point par des chercheurs de Gand, dont le Professeur Van Montagu, il s’est avéré qu’Arabidopsis était aussi très facile à transformer. On peut créer aisément des organismes génétiquement modifiés (OGM) à partir de cette espèce. D’autres sont plus récalcitrantes à la transformation. Toutes les techniques de laboratoire, de génétique, de clonage, de mutagénèse, de transformation, etc. se sont avérées très abordables chez cette plante. Mais nous avons aussi été récalcitrants à l’étudier car elle présente certains désavantages pour faire de la physiologie. Sa petite taille rend certains organes difficilement accessibles. Elle est tellement facile à cultiver qu’elle est difficile à contrôler, comme une mauvaise herbe. Quand nous avons voulu contrôler certaines étapes, dont la floraison, cela a nécessité des mises au point, des systèmes expérimentaux. Elle est très souple et tolérante vis-à-vis de l’environnement, ce qui peut être un inconvénient pour les physiologistes.
Un exemple concret d’expérimentation au sein de votre laboratoire ?
Dans l’étude de la floraison d’Arabidopsis, nous avons mis au point un système pour l’empêcher de fleurir afin de pouvoir par la suite lui donner un signal environnemental qui va la faire fleurir selon une séquence qui est reproductible et que l’on peut étudier heure par heure. Elle fleurit en été car les jours sont longs, elle reçoit beaucoup d’heures de lumière sur la journée. Nous avons mis au point un système expérimental où nous lui donnons des jours courts et lui faisons croire que c’est l’hiver. Quand elle atteint un certain âge "adulte" et une bonne taille, nous lui donnons un signal : un seul jour long. Dans les conditions mises au point, un jour suffit et toutes les plantes, comme des petits soldats, vont fleurir en même temps. Cela nous a permis d’observer heure par heure tout ce qui se déroule dans la plante lors du processus de floraison : dans les feuilles, dans les racines, dans les méristèmes (les cellules souches où sont formées les fleurs). Nous essayons d’aller plus en profondeur dans l’étude de cette séquence, pour connaître en détail la cascade des évènements : en quoi l’évènement qui se déroule après une heure conditionne ou régule l’évènement qui se produit deux heures plus tard, etc. Cela s’appelle une cascade de signalisation. Depuis le signal "un jour long" jusqu’à la floraison, nous essayons de déterminer le rôle des molécules que nous aurons identifiées comme importantes dans la cascade de signalisation. Par exemple, il existe une petite protéine découverte vers 2006-2007 qui joue un rôle très important : la protéine FT. Elle est fabriquée dans les feuilles puis transportée dans la sève et va provoquer la floraison. Nous essayons de comprendre comment cette protéine, une fois arrivée dans les méristèmes, va modifier leur destin. Pour résumer : un chercheur dans mon laboratoire cultive des plantes, induit la floraison et au moment qui nous intéresse dans la cascade, il prélève des morceaux de feuilles, de racines, etc. Il analyse ensuite les évènements qui s’y déroulent, au niveau cellulaire et moléculaire.
Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?
Les évènements qui ont conditionné le choix de mes études sont liés à mon histoire personnelle. Je vivais en Ardenne, issue d’une famille nombreuse. Faire des études supérieures impliquait une location de kot. Je n’ai pas eu le choix de la ville car je devais partager le kot de ma sœur à Liège. Mes aspirations personnelles étaient déchirées entre l’architecture et l’agronomie. L’agronomie s’étudie à Gembloux et pas à Liège, mon père a dit non. Il a refusé pour l’architecture également car à l’époque cette formation se donnait dans les écoles artistiques. Après avoir feuilleté les catalogues de cours de l’Université de Liège, je me suis inscrite en géographie. Cette formation me semblait fort diversifiée. Je suis allée jusqu’au bloc 1 du master avant de me rendre compte que le métier de géographe ne me correspondait pas. J’ai profité d’une passerelle vers la biologie. Quand il a fallu choisir entre la botanique et la zoologie, le choix a été évident. Les plantes m’attiraient depuis toute petite, je faisais des herbiers en vacances. Un jour, j’ai eu une sorte de révélation : je me trouvais dans le jardin de mes parents et j’ai ressenti une grande frustration en réalisant que mes professeurs de biologie de l’enseignement secondaire ne m’avaient rien dit sur le fonctionnement des plantes. Tout au plus avions-nous abordé la photosynthèse. Nous avions vu en détail tout ce qui concerne l’homme : respiration, système sanguin, etc. Quand j’ai suivi mes premiers cours de physiologie végétale, j’ai su que c’était là que j’allais m’épanouir. Mon professeur travaillait déjà sur la floraison, j’ai repris sa ligne de recherche. Ma fibre agronomique me titillait toujours. Un jour, lors d’un cours, il a expliqué qu’un épi de blé ne produisait que 40% de son potentiel de grains. Ce phénomène est lié à des mécanismes de régulation complexes internes à la plante. Il avait alors dit : "imaginez si à la place de 40%, on parvenait à monter le pourcentage à 41% ?! Cela n’a l’air de rien, mais au niveau mondial, les retombées seraient énormes". Je lui ai proposé de faire mon travail de fin d’étude sur ce sujet. Malheureusement, le blé est une plante très compliquée à étudier pour les physiologistes et il ne souhaitait pas s’engager sur ce sujet de recherche. Le blé est une plante très tolérante aux conditions environnementales et sa grande tolérance la rend impossible à contrôler pour les physiologistes. Il m’a proposé de travailler sur une plante plus facile à étudier, mais qui apporterait des informations qu’on pourrait transposer au blé : le Lolium temulentum. J’étudiais le nombre de grain qu’elle formait. A la fin de mes études, j’ai obtenu une bourse de doctorat pour étudier les mécanismes plus précoces de cette même plante : l’induction de la floraison. Au bout d’un an de doctorat, on m’a proposé un poste d’assistante, ce qui a allongé la durée de ma thèse et m’a mise sur les rails de l’enseignement. Pour mon post-doctorat, je suis partie dans un laboratoire en Angleterre qui travaillait sur Arabidopsis. A mon retour en Belgique, mon cœur avait viré de bord mais je me sentais différente de ceux qui ne font que de la génétique, avec mon bagage de physiologiste. A l’Université de Liège, nous avons donc choisi d’étudier Arabidopsis d’un point de vue de physiologistes. J’ai eu une carrière académique classique et aujourd’hui, je dirige l’unité de recherche et je suis professeure. J’ai repris la succession de l’homme qui m’a passionnée pour la floraison. La recherche reste ma première passion. Elle demande beaucoup de patience, les résultats sont parfois lents et ne tombent pas comme on le souhaiterait. Nous sommes aussi soumis à la pression de publier nos résultats. Mais la passion pour la question qu’ils se posent est la grande source de motivation de tous les chercheurs.
Dans quel(s) lieu(x) exercez-vous votre profession ? Etes-vous régulièrement amenée à vous déplacer ?
Personnellement, je ne bouge plus beaucoup. Les fonctions d’enseignement cadenassent un peu mon agenda. Cependant, j’incite les doctorants et chercheurs de mon laboratoire à voyager le plus possible. On ne réinvente pas la roue à la maison. Développer des collaborations internationales, prendre des contacts avec d’autres laboratoires est nécessaire. J’avoue que la plupart de mes contacts sont en Europe. J’ai des contacts avec des laboratoires allemands, anglais, hollandais, français, etc. Les collaborations et rencontres se créent également lors de congrès en Europe, je connais mieux la communauté scientifique européenne qu’américaine. Mes recherches se font exclusivement au laboratoire de l’Institut de Botanique à Liège, qui est particulier car équipé de phytotrons. Il s’agit d’enceintes aveugles à l’intérieur desquelles tout est contrôlé : intensité et durée de lumière, température, cycles jours/nuits, humidité de l’air, teneur en CO2. Cela nous permet de réaliser des expériences de floraison toute l’année et toujours dans des conditions identiques, sans variable environnementale non souhaitée. Nous pouvons bien sûr introduire des variables environnementales voulues, ce que nous avons fait lors d’un projet de recherche sur l’impact des changements climatiques sur la floraison. Nous avons reproduit dans nos enceintes ce que serait le climat en 2050 : deux fois plus de CO2, une température moyenne supérieure de 3 degrés, etc. C’est la grande spécificité de notre laboratoire : nos phytotrons sont les équipements les plus pointus pour la culture de plantes. La physiologie végétale étant pluridisciplinaires, le laboratoire se divise en plusieurs locaux, un par discipline : local d’extractions génétiques et moléculaires, local d’analyses biochimiques (protéines, hormones, etc.) et enfin un local de préparation et observations microscopiques.
De combien de personnes se compose votre équipe ?
Actuellement, deux post-doctorants, cinq doctorants, une technicienne de laboratoire et deux techniciens chargés de la culture des plantes. Nous recevons également des étudiants mémorants ou stagiaires, de passage pour quelques mois. Le travail d’équipe est essentiel dans la recherche. Plusieurs personnes avancent plus vite qu’un chercheur isolé, et c’est une source de motivation. La physiologie étant pluridisciplinaire, il est difficile d’être spécialiste de toutes les techniques. Nous essayons de créer une équipe où les disciplines se complètent, selon les spécialités et les préférences de chacun. Par exemple, j’ai une étudiante passionnée par les observations microscopiques, un autre qui s’intéresse à la bioinformatique, etc. Ils se renforcent et s’entraident mutuellement et quand nous publions, nous sommes presque tous cités car tout le monde a contribué.
Collaborez-vous avec d’autres chercheurs de l’Université ?
Oui, j’ai un collègue spécialiste de photosynthèse à qui nous nous référons régulièrement dès qu’une question de photosynthèse intervient dans le processus de développement. Nous collaborons aussi beaucoup avec des chercheurs de l’UCL, de l’ULB, etc. Nous nous connaissons tous en Belgique car il n’y a pas beaucoup de spécialistes de physiologie végétale. Nous avons créé à l’ULg une CARE (Cellule d’Appui à la Recherche et à l’Enseignement) qui associe toutes les personnes de l’Institut de Botanique ayant besoin de cultiver des plantes ou des algues. Cette cellule appelée PhytoSYSTEMS a permis de rationaliser les besoins en chambres de cultures et appareillages mais aussi de créer une dynamique interne. Nous nous réunissons régulièrement, partageons nos problématiques et rédigeons des dossiers communs pour trouver des financements.
Collaborez-vous avec le monde de l’entreprise et la recherche appliquée ?
Oui, il y a de plus en plus de collaboration en ce sens. Beaucoup de projets de recherches au niveau européen, mais également au niveau de la Wallonie, exigent un soutien en entreprise, témoignant que la recherche est utile au développement d’activités économiques. Par exemple, j’ai travaillé pendant plusieurs années sur un projet subsidié portant sur la chicorée industrielle. Un des partenaires du projet était une société produisant des semences de chicorée située à Warcoing, dans le Hainaut.
Y-a-t-il une journée type au laboratoire ?
Non, pas vraiment. Les manipulations sont différentes en fonction du cycle de développement : jour de la récolte, jour des extractions, etc. L’expérimentation se déroule en plusieurs jours, plusieurs semaines voire plusieurs mois. C’est comme une recette de cuisine : il y a un début et une fin. Il n’y a pas de routine et très peu de tâches répétitives, en dehors de la logistique et de l’entretien : corvées vaisselle, tri des déchets chimiques, autoclavage (traitement stérilisant par vapeur sous pression), etc. Nous avons aussi quelques tâches plus administratives : commandes de matériel, gestions des factures. Une grande part du travail administratif d’un chercheur est occupée par la recherche de fonds : rédiger des projets de recherche et les soumettre à des organismes financeurs. Le taux de réussite étant loin des 100%, il faut en soumettre de plus en plus et être en veille des appels ouverts.
Avez-vous des horaires fixes ?
Absolument pas, les plantes poussent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. On ne sait pas toujours tout contrôler et tout maîtriser. Il faut parfois venir travailler le week-end ou la nuit. Nous pouvons aussi nous accorder une journée ou une demi-journée de télétravail pour les rédactions et relectures. Nous avons beaucoup de souplesse dans les horaires, les équipes fonctionnent à la confiance. Ce sont la recherche et la biologie qui nous imposent nos horaires.
Quels sont les aspects positifs de votre métier ?
Il n’y a aucune monotonie, ni dans les horaires ni dans les activités. Nous sommes en ébullition cérébrale permanente. Nous nous remettons en question, évoluons et apprenons tout le temps. Nous rencontrons beaucoup de gens et pouvons nous permettre de la créativité et de la liberté de penser.
Et les aspects les plus négatifs ?
C’est extrêmement absorbant. C’est parfois difficile de fermer tous les tiroirs avant de rentrer à la maison. Il n’est pas toujours simple de combiner ce métier avec une vie de famille, aussi bien dans les horaires que dans la disponibilité mentale. Il faut aussi savoir que ce n’est pas un métier où l'on reçoit rapidement une gratification. On peut chercher des mois, des années, sans que ne se dégage aucun résultat significatif. Il y a des moments de doute, de découragement et de démotivation. L’enseignement permet de combler cet aspect car en donnant cours et en intéressant les étudiants, on obtient un retour plus rapide que dans la recherche.
Quelles qualités faut-il posséder pour exercer ce métier ?
La patience, la curiosité intellectuelle, la capacité de se remettre en question, l’ouverture d’esprit et l’ouverture sur le monde scientifique, la rigueur, la créativité et la passion.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu'un qui souhaite se lancer dans ce métier ?
Il n’aura guère le choix des études qu’il entreprendra : des études universitaires en biologie ou en agronomie. Je l’inciterais à voyager le plus possible entre des laboratoires différents et à ne pas être sédentaire dans sa recherche. Je l’encouragerais également à devenir parfait bilingue français/anglais, le plus rapidement possible.
Comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?
J’ai la chance de ne pas avoir à me poser la question, je suis nommée jusqu’à ma pension. Je ne vous cache pas que si je n’avais pas d’enfants, je prendrais une année sabbatique ou deux pour repartir à l’étranger, me ré-immerger dans un laboratoire de haut niveau. Mon travail aujourd’hui a pour principal objectif de motiver les jeunes, de transmettre ma passion et de faire en sorte que ceux qui m’ont fait l’honneur de me suivre conservent la leur. Ils sont comme des oiseaux que j’aide à s’envoler du nid, mais il leur faut un bon bagage pour qu’ils puissent réaliser leur passion dans les meilleures conditions possibles. Je dois veiller à leurs productions scientifiques, à leur mobilité, etc. Le pire pour moi serait qu’un chercheur dise de moi que je l’ai démotivé !
Le mot de la fin ?
Quand vous êtes passionné par le sujet que vous étudiez, vous avez du mal à comprendre que les autres ne le soient pas. Je suis intimement convaincue que la physiologie végétale est la plus importante des sciences. J’ai du mal à comprendre que les plantes suscitent peu d’intérêt auprès du public. On peut imaginer un monde sans zèbres, sans félins ou sans baleine. On ne peut pas imaginer un monde sans plantes : notre alimentation et notre oxygène en dépendent. Les plantes sont des organismes tellement passifs qu’on ne remet pas en question le fait qu’elles seront toujours là. Il y a pourtant de quoi se poser des questions, elles doivent s’adapter à de nombreuses nouveautés et sont soumises à des pressions de sélection énormes. Beaucoup de personnes pensent que cela pousse tout simplement avec un peu de soleil et d’eau et se disent : "à quoi bon les étudier ?". Il y autant de raisons de chercher à comprendre ces plantes qu’à sauver l’homme des nombreuses maladies. Elles sont à la base de la vie sur terre. On les retrouve aussi dans la fabrication de nos maisons, de nos vêtements. Leur omniprésence dans notre vie quotidienne devrait leur valoir une plus grande place dans la recherche. Je déplore que la société et les bailleurs de fonds y attribuent peu d’importance. On fait des collectes de fonds pour la recherche médicale, je ne sais pas si on pourrait récolter de l’argent pour les plantes. Le grand public a peur des organismes génétique modifiés (OGM) et y assimile toute recherche sur les plantes. J’ai l’impression de travailler sur quelque chose de vital pour la société et je me sens un peu frustrée que cela ne soit pas mieux compris. Si un jour, le blé ne fleurissait plus, il n’y aurait plus de grain et donc plus de pain. Peut-être qu’à l’avenir, avec les changements climatiques, les gens comprendront à quel point c’est vital et essentiel.