Quelle formation avez-vous suivie ?

Au départ, je suis professeur d'éducation physique, puis j'ai totalement changé d'orientation. Lassée de cours qui ne m'apportaient plus grand chose, je cherchais un autre moyen de m'exprimer. Je me suis alors inscrite aux cours de stylisme au Château-Massart (IFAPME), à Liège. Comme auparavant je n'avais reçu aucune formation artistique, l'étape scolaire me semblait indispensable. Pour parfaire ma formation, j'ai aussi effectué des stages (dans un bureau de style et chez un autre styliste). Mais pourquoi me suis-je dirigée vers le stylisme plutôt que vers autre chose ? A vrai dire, je n'en sais rien.

Comment une jeune styliste comme vous se fait-elle connaître ?

A l'école, les enseignants poussent les élèves à participer à des concours. Qui dit concours, dit dossier, dit vêtement, dit défilés. Bref, il s'agit de passer par tous les stades de la création, à l'exception de celui de la vente. Il faut trouver l'idée, la matière, la forme, mais aussi les mannequins, la musique, la chorégraphie ! Des contacts se créent par ces défilés. C'est un processus lent, mais il permet tout de même d'avancer vers des concours de plus en plus importants, et donc vers des contacts de plus en plus intéressants au niveau de la presse, des possibilités de stages, des boutiques, etc. En ce qui me concerne, les concours d'Hyères en 93 et 95 ont constitué des étapes importantes. Un seul contact par défilé-concours peut suffire à considérer plusieurs mois de travail comme une réussite.

Comment voyez-vous désormais la suite de votre travail ?

J'ai encore besoin de montrer mes vêtements. Je continue aussi d'avoir besoin de mieux me cerner. Dès lors, je n'exclus pas d'encore participer à quelques concours. Cependant, d'une part, leur nombre ne cesse de diminuer ; d'autre part, je m'y attarde moins. En plus, ces festivals demandent des vêtements assez spectaculaires. Pour plaire dans ce genre de concours, il faut privilégier le show. Désormais, je tiens à faire des vêtements non pas plus commerciaux, mais en tout cas plus portables, et si possible tout aussi créatifs. Lors du dernier défilé d'Hyères, une membre du jury m'a contactée parce qu'elle était intéressée par ma collection. Elle tient la boutique Absinthe à Paris et, à côté de créateurs confirmés, elle donne une chance à des jeunes stylistes. J'ai pu mettre ma collection en dépôt et cela constitue une bonne vitrine. Dans le futur, j'aimerais également travailler pour quelqu'un, c'est-à-dire pour un autre styliste qui créerait des collections dans un esprit proche du mien.

Comment se passe la préparation d'un défilé-concours ?

Premièrement, il faut rendre un dossier en vue d'une éventuelle sélection. Une fois la sélection faite, je cherche des idées. Le travail se passe d'abord dans la tête en fonction du "senti" du moment. Le dessin ne vient qu'en deuxième lieu, à partir du moment où j'ai déjà des sensations précises quant aux matières, aux couleurs, aux formes. Pour moi, c'est un tout. J'ai l'impression que tout vient ensemble ou plutôt que tout s'enchaîne. Quant aux dessins, je dois passer par cette étape, même si je trouve que je ne dessine pas bien.

Ah bon ? N'est-ce pas nécessaire de dessiner correctement ?

Indispensable, non. Utile, oui. Dessiner de façon quelconque ne m'aide pas pour la réalisation de mes dossiers, c'est certain. Cela rend peut-être mon passage en sélection plus délicat. Heureusement, ce qu'il y a tout autour des créations compte autant que les dessins. C'est un esprit, en fait. Si un jury "ressent quelque chose" derrière mon dossier, il pourra me sélectionner même si mes dessins sont loin d'être parfaits !

Et ensuite ? Une fois le dossier sélectionné, il faudra réaliser toute la collection ?

Oui, l'étape suivante consiste à faire les patronages. Pour cela, je travaille avec une personne plus expérimentée. Ensuite, on monte des toiles pour des essais. C'est l'étape des corrections. Là, je veux plus d'ampleur. Là, je veux une pince. Là je veux tout recommencer. Le patron est ainsi corrigé jusqu'à ce que l'essayage du prototype me donne satisfaction. Au niveau de la couture, la réalisation du vêtement se fait également en équipe. Au départ, c'étaient des amies qui participaient bénévolement. Désormais, vu mon envie de commercialiser mes vêtements, ceux-ci doivent être irréprochables. Je fais dès lors appel à des ateliers spécialisés ou à des couturières privées.

Travaillez-vous encore avec d'autres personnes ? 

Oui, je montre tous mes projets à un ami. Nous discutons beaucoup et ses conseils me sont précieux. Nous travaillons ensemble sur la conception graphique des dossiers, sur le packaging. Il s'occupe également du support photo. En quelque sorte, il exerce le rôle de directeur artistique. En fait, beaucoup de gens autour de moi font partie de milieux créatifs. Plusieurs personnes sont prêtes à donner un coup de main. Les bonnes volontés sont les bienvenues et il peut être très sympa et très fructueux de travailler de cette manière.

Quelles sont les qualités requises du styliste ?

D'abord être sensible : une sensibilité aiguë à tout ce qui se passe autour de soi. Il s'agit d'être réceptif. Cela me semble l'essentiel. Il faut bien sûr un esprit créatif. Ensuite, un esprit de synthèse. Il faut garder une unité dans une collection. Les pièces présentées ne peuvent pas être disparates. Il faut que tout se tienne et qu'un fil conducteur soit conservé par rapport à l'inspiration de départ. Il faut aussi de la rigueur et de l'autodiscipline. Heureusement, les concours me donnent des échéances de travail. C'est important parce qu'il n'y a personne au-dessus de moi pour me dire d'avancer dans le boulot.

Et quelles difficultés rencontrez-vous dans l'exercice de votre travail ?

L'argent ! Faire des vêtements coûte très cher : Une collection demande des investissements. Or, il n'existe pas réellement de bourses. Pour un concours tel que celui d'Hyères, je dois faire face à des frais divers. Ne fut-ce que le logement dans le sud de la France, cela coûte cher ! Je reçois des petites aides en frappant à certaines portes, des fabricants de tissu par exemple. Mais cette forme de sponsoring ne suffit pas à couvrir tous les frais. L'idéal serait de vivre de mes collections. Ce qui n'est pas le cas actuellement. Le travail rémunérateur, je le trouve quand je décroche un contrat de costumière. Ce type de travail représente des facettes professionnelles agréables et créatives. C'est proche du stylisme, mais ce n'en est pas réellement non plus !

Et à part l'argent, y a-t-il d'autres difficultés ?

Parfois, je me dis que l'idéal serait de pouvoir travailler toute seule. Si je pouvais mieux dessiner, si je pouvais mieux me débrouiller pour les patronages, si je pouvais coudre mieux, cela m'aiderait. Bien sûr. Mais je ne peux pas non plus me plaindre de difficultés majeures. Ah, si ! Le temps ! Pour un styliste, il est difficile de s'occuper à la fois de la création, de la fabrication, de la vente, de la distribution. De plus, le styliste n'a pas toujours "l'âme commerciale". Là encore, il vaut mieux déléguer cette facette du travail, ce qui coûterait aussi de l'argent. Ce qui est compliqué aussi, c'est l'aspect contact. L'aspect relations publiques. Toucher la bonne personne au téléphone, vous ne pouvez pas imaginer l'énergie que cela implique ! Heureusement, les concours permettent un contact plus direct. La rencontre se fait d'elle-même. En dehors de ces défilés, il est difficile d'obtenir un rendez-vous !

Comment considérez-vous le monde de la mode ?

C'est un univers déjà établi. Je ne peux pas le changer, mais je regrette parfois la scission des collections en deux saisons. Depuis des lustres, le système fonctionne sur le mode des deux saisons : automne/hiver et printemps/été. En fin de compte, le système laisse peu de place aux stylistes pour respirer. C'est un rythme très soutenu. Au début, j'ai aussi eu la sensation d'entrer dans un milieu peu évident. Je suis quelqu'un d'assez réservé et tout ce monde que je rencontrais dans les salons, dans les défilés, me paraissait fort peu abordable. J'ai mis du temps avant de me sentir à l'aise. Maintenant, cela va mieux. Je comprends sans doute mieux comment cet univers fonctionne. Et je m'arrête moins à une façade. Cela dit, je garde toujours une certaine distance.

Et le marché actuel, comment se porte-t-il ?

Pas trop bien, il me semble. Les gens dépensent de moins en moins d'argent pour des vêtements. Les priorités sont ailleurs. Il faut dire aussi que les vêtements "de créateur" coûtent cher. Main-d'œuvre plus matières, on en arrive vite à des sommes faramineuses ! Vous savez, je ne saurais pas m'acheter mes propres vêtements ! C'est, dommage, j'aimerais sincèrement vendre beaucoup moins cher !

A votre avis, faut-il passer par Paris pour faire du stylisme ?

En Belgique, je connais peu de boutiques susceptibles d'être intéressées par mes vêtements. Pour moi, en tout cas, le stylisme passe par Paris. Cela pourrait être une autre grande ville, mais il se fait que c'est Paris. Ici, à Liège, je pourrais ouvrir une boutique, mais je ne pense pas que la clientèle serait suffisante. Et de toute manière, ouvrir un magasin ne correspond pas à mes ambitions à court terme. 

Pour conclure, pouvez-vous expliquer ce que vous apporte le stylisme ? 

D'exprimer des émotions. C'est pourtant paradoxal que j'en sois venue à ce métier puisque, au départ, rien ne m'y prédisposait. Je n'étais pas bonne couturière. Je n'aimais pas le crochet ou le tricot. Mais j'aime les vêtements. J'aime voir des gens qui ont leur style, leur personnalité. Je n'apprécie pas le "m'as-tu vu ", mais j'aime voir des gens qui sont "bien" dans leurs vêtements. J'aime aussi le stylisme par notion d'esthétisme. Le beau m'attire. Tout en sachant que ce qui est beau pour moi ne l'est pas nécessairement pour quelqu'un d'autre. 

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.