Interview anonyme, Bibliothécaire
Pourquoi devenir bibliothécaire ?
Beaucoup de personnes se dirigent vers ces études à cause d'une attirance vers le livre, ou parfois par timidité, vers un métier qu'elles croient tranquille. Mais, il y a là une contradiction : c'est un des métiers où l'on demande le plus la capacité d'avoir un contact social.
L'aspect social du métier est donc très important ?
Quand l'accueil dans une bibliothèque fonctionne bien, le bouche-à-oreille fonctionne également et les gens commencent à la fréquenter. Il faut des années pour cela, c'est un travail de fond.
De plus, dans une bibliothèque comme la nôtre, nous travaillons souvent avec un public difficile. Or, quand on veut toucher une frange de la population défavorisée, le seul moyen que l'on a, c'est de travailler avec des écoles et avec le monde associatif, comme les maisons de quartier. Via les enfants, on peut espérer toucher les parents. C'est-à-dire qu'il faut pouvoir accueillir une classe et organiser la visite de la bibliothèque. Là aussi il faut un certain don pédagogique, sinon le message passe mal. Se retrouver devant une classe de trente personnes, provenant parfois d'écoles avec un public difficile, demande un important investissement personnel. Il faut donner le goût aux enfants de revenir individuellement.
En outre, nous organisons pas mal d'activités de formation à la recherche documentaire et de sensibilisation à la lecture ou au récit, comme l'heure du conte. Il faut donc, par exemple, pouvoir conter. Le métier de bibliothécaire est, quelque part, aussi un métier d'animateur. Ce n'est pas donné à tout le monde de savoir prendre la parole en public.
Un accueil est-il parfois difficile à gérer ?
Les difficultés que l'on a rencontrées à la bibliothèque étaient le résultat de la conjonction de deux éléments : l'affluence et les périodes «chaudes», comme les examens scolaires. En période d'examens la salle de lecture est remplie de jeunes, filles et garçons. On a eu l'apparition de bandes de jeunes qui venaient pour réaliser des «coups de force», suscité par le besoin de reconnaissance. Cela a parfois atteint des proportions inquiétantes, se limitant toutefois généralement à des agressions verbales. Quelques collègues ont dû, cependant, faire appel à la police. Cela a engendré énormément de stress pour le personnel. Et cela a parfois été très loin : certains rentraient chez eux en pleurant, d'autres ne voulaient plus travailler le mercredi après-midi parce qu'ils avaient peur des problèmes. Ils venaient travailler avec des pieds de plomb. C'est d'autant plus difficile que, pendant les périodes scolaires, on reçoit parfois plus de 500 personnes par après-midi. L'équipe était réellement déboussolée par rapport à cela.
Comment avez-vous réagi ?
On a pris toute une série de mesures, dont une formation pour le personnel. On a essayé de faire le point, d'en parler et d'établir une typologie des problèmes et du type de public. De mettre à plat les faits. En se disant qu'un jour, par rapport à ces problèmes, on pourrait peut-être réagir différemment.
On également modifié le règlement, dont les conditions d'accès, en fonction du public et on a essayé de mieux le lui communiquer.
On a travaillé avec les éducateurs de rue, en relation avec la maison de quartier pour essayer de clarifier, dans la tête des jeunes, ce qu'ils pouvaient trouver en nos lieux. Ils ont compris que ce n'était ni un lieu pour se défouler, ni un lieu pour draguer.
Tout cela a clarifié notre message : «nous sommes gratuitement à votre disposition mais, en échange, nous avons besoin d'un minimum de respect des règles de savoir-vivre. Tout simplement».
Pourquoi réaliser une nouvelle formation du personnel ?
La formation nous a apporté beaucoup, surtout par rapport à l'approche que l'on avait du public. Cela a créé, au sein de l'équipe, une obligation de dialogue. On a dû réfléchir sur notre travail en équipe, sur la répartition des responsabilités et des tâches.
Toutefois, cela dépend de chaque bibliothécaire, on a beau avoir des petits trucs pour aborder les gens, si on est pas en accord avec soi-même, cela ne marchera pas. Il persiste donc une différence dans l'équipe entre les gens sûrs d'eux et ceux qui sont plus timides. Quand on est un jeune bibliothécaire de 22 ans, qu'on n'a pas d'enfant ou qu'on a jamais animé de groupes de jeunes, c'est moins facile que pour quelqu'un qui a 45 ans et une solide expérience derrière lui.
C'est là que je reviens à la contradiction de départ. Il y a beaucoup de personnes qui se lancent un peu dans ces études comme dans un échappatoire. En se disant : «je vais faire des petites fiches dans mon coin» et ils se retrouvent à un comptoir de prêt face à un public parfois agressif, face à un adolescent qui nous traite de tous les noms ... Là, le choc est frontal. Dans ces situations, il faut pouvoir garder son sang-froid, bien réagir, sentir le pouls d'un public large et hétéroclite, quel qu'il soit. Malheureusement, lors des études, cet aspect-là est généralement passé sous silence.
Cette action quotidienne est-elle difficile à assumer ?
Je trouve que c'est passionnant. On est récompensé quand des personnes nous manifestent leur contentement par rapport à nos services. Ce sont des petits détails, des petits mercis. Tous les jours on reçoit des retours. Et puis il y a des gens que l'on suit depuis longtemps, avec qui on développe beaucoup de complicité. Il y a certains lecteurs avec qui on a des atomes crochus et avec lesquels on crée parfois des véritables relations d'amitié. Une autre récompense est l'augmentation de la fréquentation. Quand je suis arrivé, il y a sept ans, il y avait 600 lecteurs. Aujourd'hui, ce nombre a été multiplié par dix. On y trouve de tout : c'est un des seuls lieux où des enfants peuvent rencontrer des personnes âgées, où des personnes issues du quart-monde fréquentent des universitaires.
Pour vous, quelle est la qualité principale d'un bon bibliothécaire ?
L'envie de communiquer. Si l'on n'aime pas le contact avec les gens, cela devient vite un calvaire. Il ne faut pas seulement aimer les livres, il faut aussi aimer les gens.