En quoi consiste le métier de ludothérapeute au quotidien ?
La ludothérapie, c’est instaurer le jeu au centre du groupe, de la famille, du couple pour leur permettre d’interagir et de finalement mettre en avant le problème qu’il peut y avoir dans leurs interactions.
Pouvez-vous donner un exemple concret ?
J’ai des jeux thérapeutiques que j’ai appris lors de mes cours et des jeux que j’ai adapté pour des buts thérapeutiques/éducatifs.
Par exemple, pour des frères et sœurs qui se disputaient beaucoup, j’ai proposé un jeu collaboratif qui s’appelle Hanabi. Ce n’est pas un jeu thérapeutique à la base. Je l’ai adapté car je le trouve intéressant. Il y a une ouverture de triche dans le jeu et cela permet de voir comment ils vont tricher. Cela permet de voir où se placent les règles dans la famille. Je vois ce qu’ils se disent. Après je les fais discuter là-dessus. Comme on travaille sur le jeu et pas directement sur leur relation, ils se sentent moins attaqués et sont moins sur la défensive. Je les amène à méta-communiquer sur leur relation à travers le jeu.
J’utilise aussi des jeux vidéo qui ont été créés spécialement pour des buts thérapeutiques par les Universités. J’ai un jeu vidéo qui s’appelle Lou. C’est pour les enfants au comportement très difficile. Le personnage du jeu se balade au parc, à l’école ou à la maison et à un moment il fait une bêtise. L’enfant doit alors choisir une réaction à adopter : le mettre au coin, le gronder, etc. On parle de ce qui s’est passé, du comportement du personnage du jeu. L’enfant est très sévère avec les autres. Ensuite on fait le lien avec lui, avec ses propres comportements et cela le fait réfléchir.
Pour quel genre de problématiques les personnes consultent-elles ?
Principalement pour des problèmes d’éducation : des enfants difficiles, des enfants qui ont des problèmes à l’école, des enfants qui ont des troubles du comportement, des enfants hyperactifs.
Je fais aussi de la ludothérapie avec des couples qui ont, par exemple, des problèmes d’infidélité.
Il y a des résultats immédiats tels que l’amélioration des résultats scolaires, le fait de ne plus frapper son frère ou sa sœur, de mieux manger à table, etc. Au niveau de la relation parent/enfant, la ludothérapie est une discipline encore assez jeune et il n’y a pas encore d’études approfondies là-dessus. Pour cela, je m’appuie sur la psychothérapie systémique qui permet d’identifier les effets sur la dynamique familiale : les gens se parlent plus facilement, sont plus clairs, plus honnêtes, etc.
On améliore la communication, les modalités d’interactions, l’identification et l’intégration des règles. Où sont les règles ? Comment je les intègre ? On est dans une société où on parle de liberté des individus, où il faut sans cesse expliquer les règles. L’enfant perd en structure. A travers le jeu, on peut comprendre que les règles sont là pour s’amuser, pour pouvoir grandir, pour pouvoir évoluer dans le monde. Elles ne sont pas là que pour nous contraindre. Quand on joue à un jeu, c’est plus gai en respectant les règles même si on peut les changer à partir du moment où tout le monde est d’accord.
Quelle est votre formation de base ? Quelles formations complémentaires avez-vous suivies ?
J’ai un Master en psychologie et un Master en communication culturelle. Je suis également musicienne. Je fais actuellement une formation en psychothérapie systémique et j’ai suivi une formation en gestion du stress. En pure ludothérapie, je n’ai pas de formation car cela n’existe pas en Belgique. Par contre, je travaille dans le monde du jeu depuis longtemps. Je suis bénévole pour l’éditeur principal de jeux de société en Belgique. J’ai créé une asbl de jeux de société et de jeux de rôle dont j’ai été présidente pendant 3 ans. Pendant mes études, j’ai travaillé sur le jeu de société : le jeu de société comme objet culturel, le jeu de société dans le champ thérapeutique.
J’ai essayé de m’adapter en lisant beaucoup ce qui se passe, ce qui se fait. C’est une construction personnelle. La ludothérapie est quelque chose qui me parle. Lors du cours de psychologie de l’éducation, j’ai vu pas mal de jeux qui sont utilisés comme support en psychothérapie. J’avais envie de les mettre en avant. On ne fait pas que jouer, on en parle avant et après. C’est important pour moi de recentrer le jeu dans les familles.
J’ai pris le titre de ludothérapeute. Ce n’est pas simple à affirmer parce que le jeu est essentiellement un support. C’est pour cela que j’indique aussi mon orientation en tant que psychothérapeute systémique. La systémique c’est l’étude des interactions. On regarde le système dans sa globalité, pas uniquement l’enfant. Je ne travaille pas avec tout ce qui est inconscient, je laisse cela à la psychanalyse. Je travaille plus en thérapie brève sur 4 à 6 séances en général et quand il y a des grandes difficultés je vais jusqu’à 10 séances.
Quel est votre parcours professionnel ?
J’ai fait du bénévolat en ludothèque, en animation de jeu, en événementiel de jeu, en accrochage scolaire. L’année passée, j’ai géré une école de devoirs en remplacement d’une femme enceinte.
Quand j’ai fini mes études, je me cherchais. Ce sont les cours et principalement le cours de psychologie de l’éducation qui m’ont amenée à la thérapie familiale. J’ai fort accroché au cours de systémique aussi. J’avais envie d’aider les gens, je trouvais que j’avais les qualités nécessaires pour pouvoir le faire.
J’ai essayé de trouver un poste de salarié mais comme thérapeute c’était assez rare. J’en ai parlé autour de moi. Le jeu fait partie de ma vie depuis que je suis née. J’avais l’asbl de jeu à Louvain-la-Neuve. Je faisais pas mal d’animations. Je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose qui se jouait là-dessus. J’ai constaté que la ludothérapie existait en France et aux Etats-Unis. Il n’y avait pas de formation en Belgique et donc je me suis formée moi-même. J’ai fait des fiches sur les jeux que je pouvais utiliser, sur les diverses problématiques, pour les idées qui me venaient, etc. Et je me suis lancée !
Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer ce métier ?
Je pense que la plus grande qualité est d’avoir foi en l’humanité et de croire que tout le monde est bon. Même si cela peut paraître un peu naïf, je crois que tout le monde a un bon fond. Si je pars de ce principe-là, je ne juge personne. Les gens font comme ils peuvent avec ce qu’ils ont reçu, ce qu’ils ont vécu et ce n’est pas toujours évident. La première qualité est de ne pas juger.
Une autre qualité importante est la créativité dans le sens d’une ouverture d’esprit. La créativité pour pouvoir ouvrir les possibilités aux autres. Si on est trop fermé sur sa manière de voir ou sur sa manière de faire, on ne peut pas aider les autres à voir autrement car on va tenter de les formater à penser comme nous. Chacun trouve ses réponses et ce ne sont pas forcément les miennes. En thérapie, une personne va trouver des manières d’éduquer son enfant qui ne sera pas forcément la manière dont j’aurai envie d’éduquer les miens.
Je dirais aussi d’être empathique. Sans l’être trop pour ne pas se faire absorber.
Il faut être honnête intellectuellement, pouvoir reconnaître ses limites, déléguer et se faire aider surtout quand on commence. On travaille avec l’humain, ce n’est pas une science exacte. Il faut faire attention car c’est la vie des gens.
Quel est votre horaire de travail ?
Je travaille à Gembloux le lundi et le vendredi et le mercredi à Boitsfort. Et le reste du temps je partage le cabinet de ma mère et mes horaires se font en fonction des demandes. En général, les gens veulent venir tôt le matin ou tard le soir et donc en journée, j’ai des creux.
Comment percevez-vous l’avenir de la ludothérapie ?
En plus des consultations privées, j’aimerais faire des ateliers de ludothérapie dans les écoles. C’est déjà reconnu que le jeu est important au niveau de l’éducation mais je voudrais apporter une petite contribution supplémentaire. Un jour, je voudrais donner des formations de ludothérapie. J’attends d’avoir terminé ma formation en thérapie systémique ainsi que d’avoir davantage de pratique et de vécu personnel pour pouvoir donner des éléments concrets aux gens.
Il y a peu de ludothérapeutes actuellement en Belgique et je voudrais essayer de faire vivre la ludothérapie en tant que telle. J’espère que plus tard beaucoup de jeunes se présenteront et s’affirmeront en tant que ludothérapeutes.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui souhaitent se lancer dans cette voie ?
Accrochez-vous, soyez forts et ayez confiance en vous ! Quand on fait quelque chose qui est un peu en décalage, comme la ludothérapie actuellement, le regard des scientifiques est assez dur. Je crois que toutes les thérapies parallèles sont intéressantes à partir du moment où on se base sur un des courants de la psychologie. Pour moi, si on est là pour aider les gens, si on le fait honnêtement avec de bonnes bases théoriques, si on a une structure de travail, on peut inventer un autre type de thérapie ! Si c’est ce que vous aimez et que c’est ce que vous sentez, faites-le ! Et soyez courageux !
Quels contacts avez-vous au quotidien ?
Il y a bien sûr les patients mais on ne s’en fait pas des amis. Les contacts restent dans le cadre de la thérapie. On n’a pas énormément de contacts avec des collègues. C’est assez solitaire et dès lors c’est important de se mettre dans des groupes de travail. Je suis dans un groupe au centre médical de Gembloux, par exemple. J’ai des interactions avec une autre équipe avec laquelle je travaille sur la prévention du burn-out. Il faut trouver des équipes de thérapeutes qui font la même chose que nous pour pouvoir partager, échanger et progresser.
Au niveau des contacts, il y a donc les patients, les collègues via les groupes et la supervision ainsi que les rencontres lors des formations.
Si je rencontre une histoire lourde en thérapie, je n’ai pas de collègues pour en parler dans l’immédiat. Je pense qu’il faut avoir plein de hobbies et faire la fête pour se vider la tête.