Mr Didier Breyer,
Expert en biosécurité

Quel est votre parcours professionnel ?

J'ai étudié la botanique, puis j'ai fait un doctorat en sciences avec une spécialisation en biologie moléculaire. Après quoi j'ai fait de la recherche à l'Université de Liège pendant quelques années. Malheureusement, comme souvent dans le monde de la recherche, mon contrat s'est terminé et n'a pas été renouvelé.
Devant l'absence de perspectives d'emploi durable dans le milieu scientifique, en particulier universitaire, j'ai décidé de m'orienter vers une autre discipline, et je me suis inscrit à une formation en informatique chez Bull (actuellement O2i). C'est au cours de cette formation que j'ai reçu la nouvelle de mon engagement à la Belgian Biosafety Server, pour un poste auquel j'avais postulé quelques mois plus tôt. J'y suis maintenant depuis plusieurs années.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est ce service de Biosécurité ?

C'est une section de l'Institut Scientifique de Santé publique, qui est un institut scientifique de l’État. Nous fonctionnons principalement comme centre d'expertise scientifique au service de l’État fédéral et des Régions, en particulier en relation avec l'évaluation des risques liés aux activités impliquant des organismes pathogènes ou génétiquement modifiés (OGM).
Il faut savoir que toute manipulation d'OGM (recherche en laboratoire, production industrielle, thérapie génique, essais de cultures en champs, commercialisation) est subordonnée à l'introduction d'un dossier et à une autorisation par les autorités compétentes. Cette autorisation se fonde sur un avis scientifique fourni soit directement par notre service, soit par le Conseil de Biosécurité dont nous assurons le secrétariat.
Le service de Biosécurité a été mis en place à la fin des années 80, au moment de la publication des premières directives européennes relatives aux OGM.

Quel sont les critères pris en compte pour juger si un OGM présente des risques ou pas ?

La logique de l'évaluation des risques est assez standardisée. On se demande d'abord si l'organisme sur lequel on va travailler, et si le gène qu'on veut y insérer, présentent des risques intrinsèques ou pas. Puis on évalue le risque de l'organisme recombinant dans son ensemble: la manipulation va-t-elle lui conférer des propriétés nouvelles ?
Bien sûr, l'évaluation des risques va prendre en considération le fait qu'il s'agisse d'une activité en milieu confiné (laboratoire, industrie) ou en environnement extérieur.

Pour les activités en milieu confiné, le type d'utilisation a son importance: va-t-on manipuler l'OGM dans un petit tube de quelques millilitres ou dans un fermenteur de 10 m3 ? On passe ensuite à l'analyse des conditions dans lesquelles on travaille : dans quel type de labo ? avec quel équipement ? s'agit-il d'un travail sous hotte ou pas ? que fait-on des déchets ? etc. Si le confinement adopté et les pratiques de travail sont suffisants par rapport au risque biologique de l'activité envisagée, c'est OK. Si non, nous recommandons aux autorités d'imposer les conditions adéquates. Ça, c'est pour les activités de labo ou en milieu industriel.
Il existe aussi des activités médicales, comme par exemple la thérapie génique. Même si dans ce cas, les risques existent surtout pour le patient traité, il faut aussi être attentif à l'impact sur la santé humaine en général et sur l'environnement. Si par exemple on traite un patient avec un virus recombinant qui peut être évacué via les selles ou les urines, il faut en tenir compte dans l'évaluation des risques.

Mais ce qui attire l'attention du public, ce sont les essais en champs ?

Oui, à partir du moment où on relâche volontairement des organismes dans l'environnement, ça devient plus délicat. Pour les plantes transgéniques cultivées en champ, on va estimer dans quelle mesure ces plantes peuvent avoir un impact sur l'environnement et la biodiversité, par exemple via les flux de pollen, la dissémination des graines, le transfert de matériel génétique vers d'autres organismes, etc.

Ici aussi, en fonction de l'évaluation des risques, les autorités peuvent imposer des mesures de gestion des risques, par exemple des distances d'isolement entre les parcelles OGM et les parcelles non-transgéniques. On crée aussi des zones-refuges, c'est-à-dire des zones situées autour de la parcelle transgénique, où l'on sème la même plante non-transgénique pour limiter la diffusion du pollen. Et puis si les OGM sont destinés à l'alimentation humaine ou animale, il faut aussi évaluer les risques pour la santé, ce qui implique de prendre en compte les données toxicologiques, allergologiques, etc.

C'est un domaine très "sensible" pour le moment. Ce genre de décisions n'est-il pas parfois difficile à prendre ?

En ce qui concerne l'évaluation des risques, les critères scientifiques sont très précis et unanimement acceptés dans le monde de la biosécurité, donc on ne devrait pas avoir d'états d'âme, en théorie. Mais la frontière entre le scientifique et le non-scientifique est parfois un peu floue, et c'est à ce niveau-là que notre position est parfois inconfortable. Il faut ajouter qu'il y a une volonté de la part de certains de prendre en compte, en plus des critères scientifiques, des facteurs éthiques et socio-économiques dans l'évaluation des dossiers.
Ceci dit, les décisions sont du ressort des autorités. Évidemment, il y a toujours une part d'incertitude liée à la limite des connaissances scientifiques du moment ; on ne peut pas tout prévoir. C'est là qu'intervient le fameux principe de précaution, qui n'est pas un principe d'évaluation des risques mais un principe de gestion au niveau de la décision politique.

Ce travail s'inscrit-il dans une dimension européenne ?

Oui, les réglementations nationales dans le domaine des OGM émanent des directives européennes. Tous les pays européens sont donc censés évaluer les risques selon les mêmes critères. Nous devons évidemment nous tenir au courant de l'évolution des législations européennes, et nous participons aux réunions organisées par la Commission européenne, le Conseil de l'Union européenne.

Quelles sont les qualités nécessaires pour faire ce travail ?

Il faut un background scientifique, parce que l'on est amené à lire énormément de dossiers parfois très complexes. Au service de biosécurité, chaque expert a son domaine de spécialité : il y a ici des spécialistes en virologie, en bactériologie, en plantes transgéniques, en écologie. En ce qui me concerne, je me suis surtout occupé des microorganismes à mon arrivée dans la section.
Il faut être capable de lire un texte de loi et même de travailler à sa rédaction, comme par exemple pour la transposition dans la loi belge des directives européennes. Nous ne sommes pas juristes mais nous avons dû en assimiler quelques notions !
Il faut avoir aussi de bonnes capacités d'analyse et de rédaction (avis, publications scientifiques).
Il ne faut pas avoir peur du travail administratif. Rats de laboratoires s'abstenir ! Il faut idéalement être trilingue français anglais néerlandais. Et enfin, il faut être à l'aise dans les contacts avec les gens.

Quelle est votre journée-type ?

D'une façon générale, je suis assez libre en termes de gestion de mon emploi du temps, mais il faut souvent faire face à des imprévus, et donc il est difficile de prévoir comment une journée va se dérouler.

Une partie du temps se passe en réunions : conseil de biosécurité, instances européennes, congrès scientifiques. Toutes ces réunions doivent être préparées. Elles donnent généralement lieu à des rapports, qu'il faut évidemment rédiger.

Il y a aussi la rédaction d'avis, soit dans le cadre des dossiers de biosécurité, soit en réponse à des demandes des autorités. Et puis il y a le suivi de la littérature scientifique et juridique. C'est un poste où il y a énormément de contacts avec des gens de tous horizons, chercheurs, gens de l'industrie, experts en biosécurité d'autres pays, administrations, monde politique. Ça ouvre l'esprit.
J'ai eu l'occasion de participer à des négociations pour la rédaction d'un traité international sur les OGM, le protocole de Carthagène ; c'est très valorisant et très passionnant ! Tout ça est très différent de ce que j'avais connu au laboratoire, où j'étais enfermé dans ma petite bulle, focalisé sur mon sujet, et où je ne savais pas ce qui se passait au-dehors.

Vous vous occupez aussi du site internet de votre service ?

Effectivement, je suis également responsable du site internet du service, étant donné mes antécédents en informatique. Pour le moment, c'est surtout un site à caractère "officiel", mais nous avons le projet de développer un volet pour le grand public. Il y a une forte demande d'information à propos des OGM, qui soit objective et impartiale, et accessible à tous. Entre les infos partisanes émanant des ONG ou de l'industrie, il manque souvent le juste milieu.

Je vais régulièrement à des débats sur les OGM et je reviens souvent déçu parce qu’il n’y a pas moyen que les interlocuteurs quittent leurs positions dogmatiques ou de principe pour aborder la problématique de manière globale. Chacun reste sur ses positions pour ou contre, et aucun débat ouvert ne s’engage. 

Pourquoi avez-vous choisi des études scientifiques ? 

J’ai toujours été attiré par les sciences. Avant de choisir la biologie, j’ai un peu hésité avec la géologie. J’ai assez rapidement accroché avec la biologie moléculaire. Je n’avais pas de raison précise ; c’est plutôt une intuition que j’ai suivie. 

Vos études vous ont-elles bien préparé à ce que vous faites ? 

Il n’y a pas d’études qui prédisposent vraiment à ce type d’emploi. Il y a ici une dizaine de personnes ; toutes ont un profil différent, quoique toujours scientifique à la base. Ce qu’il faut, c’est une volonté de continuer à se former sur le tas. Mais, mes études m’ont certainement donné la base nécessaire. 

Ceci dit, à posteriori je dois bien reconnaître que ma formation en biologie n'a pas été facile à valoriser sur le marché de l'emploi. Les biologistes n’ont pas de statut. Ils doivent faire face à la concurrence d’une série d’autres formations comme celle de bio-ingénieur. Ces gens ont une formation plus pratique, et qui est souvent mieux adaptée au travail en industrie. Au biologiste, il ne reste donc quasiment que la recherche universitaire. Et on sait à quel point elle est peu soutenue dans notre pays. 

C'est évidemment une analyse influencée par mon vécu personnel, et par la situation existant il y a 10-15 ans. Je crois que les choses ont évolué dans le bon sens ces dernières années, mais cela reste difficile. 

Regrettez-vous d’avoir choisi ces études-là ? 

Finalement non, parce que j’ai trouvé ce qui me convient : un travail mi-scientifique, mi-administratif, bref, ce qu’il me faut ! Mais je pense que 60 à 70% de ceux qui sont sortis la même année de l'Université ne sont plus dans le monde scientifique, soit qu’ils soient allés dans l’enseignement, soit qu’ils fassent carrément autre chose. Il y en a très peu qui ont pu rester dans la recherche ou dans l’industrie. 

Est-ce une bonne sécurité d’emploi ? 

C’est une sécurité relative. J’ai un contrat à durée indéterminée. Certains de mes collègues sont nommés, d’autres fonctionnent avec des contrats d’un an renouvelables. Mais par rapport à ce que j’ai connu avant dans la recherche, ceci est très sécurisant. 

Quelles sont vos perspectives d’avenir ? 

Elles sont bonnes en principe, même si cela reste difficile à prévoir à long terme. Le genre d'activité que l'on exerce dans notre service est conditionné en partie par des éléments extérieurs que nous ne maîtrisons pas. 

Le cas échéant, je pense que l’expérience que j’ai acquise pourrait me servir dans d'autres milieux. Mais pour le moment je n’ai pas encore envisagé cette question ! Par contre, je ne pense pas qu’il me soit possible de revenir à la recherche plus tard ; les techniques ont beaucoup évolué, et, si j’ai acquis une très vaste culture générale, je me suis en quelque sorte "déspécialisé".

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.