Mr Didier Stuckens,
Infirmier urgentiste

Interview réalisée en janvier 2005

Infirmier urgentiste au Service Mobile d'Urgence (SMUR) du Centre Hospitalier Régional de Namur.

En quoi consiste votre métier, quelles activités essentielles devez-vous effectuer ?

Mon métier consiste à soigner des malades et des blessés qui appellent le service 100 et dont l'état de santé préoccupant nécessite l'intervention d'une équipe médicale d'urgence hospitalière. Je conduis un véhicule puissant et équipé qui apporte personnel et matériel médical au chevet du patient. Il est généralement admis que le but premier d'un SMUR est d'amener vivant le patient blessé ou malade à l'hôpital sans s'y substituer.

Parmi tous les appels, nous devons identifier les urgences réelles, les patients dont la vie est en danger. Dans 7 cas sur 10, la situation ne relève pas de l'urgence mais plutôt du ressenti inconfortable du patient ou d'une appréciation incorrecte du premier appelant.

C'est la même chose au service des urgences. Lorsque les patients se présentent, un tri doit d'abord être effectué avec le médecin. Certaines personnes sont réellement en situation d'urgence, elles présentent un arrêt cardiaque ou elles sont en détresse respiratoire alors que d'autres ressentent leur situation comme urgente mais ce n'est pas nécessairement le cas médicalement. D'autres encore se présentent quelques semaines après un accident, c'est dans ce cas une situation d'urgence dite différée. La douleur est le premier motif de consultation. Le patient a mal mais cette douleur peut présenter des caractéristiques différentes, physiques, voire psychologiques.

On effectue une prise en charge globale du patient en lui appliquant les soins d'urgence que nécessite son état. Nous travaillons en interdisciplinarité. Le médecin est toujours responsable des soins, y compris ceux qu'il délègue à l'infirmier. Chacun doit être bien à sa place. Les aspects humains sont très importants. Les patients sont pressés, ils souffrent, ils expriment dans certains cas des détresses très profondes voire même suicidaires. Il faut donc être à l'écoute afin de détecter cela et de les guider vers les services les plus adéquats. Le SMUR, comme le service des urgences, ne résout pas tous les problèmes.

Le travail en SMUR se distingue du service des urgences par le caractère environnemental qui le caractérise. A pathologies égales, la prise en charge pré-hospitalière demande une gestion de l'environnement et une capacité à adapter les pratiques en dehors de l'hôpital. Cela justifie la présence de l'infirmier à chaque départ du SMUR car il est alors impossible de déterminer la nature des soins qui seront prodigués sur place.
Le cadre de travail est très différent de celui de l'hôpital. On doit donc s'adapter pour poser les actes de soins dans les contextes rencontrés.

Une partie du travail est plus administrative. Il faut rédiger des dossiers sur les patients. On doit aussi veiller à la gestion du véhicule, des stocks de matériel et de médicaments.

J'essaye de faire profiter mon expérience au plus grand nombre, je participe ainsi à des recherches scientifiques pour améliorer l'aide médicale urgente. J'encadre régulièrement des stagiaires, je leur transmets mon expérience, mes connaissances.

Au niveau technique, quels actes devez-vous être capable de poser dans l'urgence ?

Mon travail d'infirmier du SMUR se singularise par les lieux où il s'applique, éloignés du sécurisant "monde hospitalier" connu depuis les premiers stages d'étudiant. Le paysage de l'urgence du terrain est multiforme et peu prévisible : il demande certaines facultés d'adaptation où les connaissances de base, l'expérience, l'imagination et la créativité contrôlée se complètent et sont toujours au rendez-vous.

On doit pouvoir restaurer ou stabiliser les fonctions vitales en intubant la personne, en l'oxygénant, en dégageant ses voies respiratoires ou en la réanimant au mieux de ce que propose la médecine aujourd'hui.

L'infirmier administre les médicaments qui sont prescrits par le médecin ?

Il doit aussi être capable de poser des perfusions et d'organiser le monitorage du patient : placer des électrodes, réaliser un électrocardiogramme, mesurer des paramètres vitaux (tension artérielle, pulsations, température, saturation en oxygène, etc.). On doit pouvoir utiliser les différents appareils, le matériel de surveillance sans pour autant être technicien. On teste aussi régulièrement de nouveaux appareils plus perfectionnés, plus compacts et plus légers.

Avec les ambulanciers, on applique également des techniques d'immobilisation du patient, de relève et de transport par ambulance. A cette fin, selon les cas, on pose tantôt une minerve, tantôt une attelle ou on utilise des civières spéciales.

Nous devons aussi prévenir la transmission de maladies infectieuses en portant des gants.

Nous devons être aptes à appliquer, adapter tous les actes précités dans des situations extrahospitalières, des contextes particuliers et variables. En intervention SMUR, on ne bénéficie pas du confort de l'hôpital, il n'y a pas toujours d'éclairage, de chauffage et de calme.

Quelles formations avez-vous suivies pour travailler dans ce domaine ?

Jeune ambulancier, j'ai réorienté mon choix professionnel et j'ai tout d'abord réussi un bachelier en soins infirmiers. Je me suis ensuite spécialisé dans le domaine de l'urgence et accessoirement dans celui des grands brûlés grâce à mon service militaire.

Pendant un an, j'ai été infirmier-chef d'un service d'urgence que j'ai ouvert et créé de toutes pièces dans un hôpital namurois avant de le quitter pour gagner le SMUR du CHR de Namur.

Par la suite, j'ai suivi des formations particulières en médecine de catastrophe, en réanimation spécialisée. L'hôpital permet notre formation en conduite de véhicules prioritaires et en initiation au sauvetage en milieu périlleux pour apprendre à sécuriser notre intervention en s'attachant correctement sur des camions élévateurs ou des terrains difficiles. Pour approfondir mes compétences pédagogiques, j'ai obtenu un master en Sciences de l'éducation ainsi qu’une agrégation pour pouvoir enseigner dans le secondaire supérieur.

Continuez-vous toujours à vous former ?

Il y a la formation permanente obligatoire de 15 heures par an indispensable pour la conservation du titre professionnel particulier délivré par le SPF de la Santé publique. J'apprends aussi par moi-même en me documentant énormément pour me tenir au courant des nouveautés. On doit connaître de tout sur tout mais ce serait impossible de tout savoir en profondeur. Il n'est pas possible d'être spécialiste dans tous les domaines de la médecine. On doit avoir des connaissances en ophtalmologie pour soigner une personne qui a une poussière dans l'oeil par exemple mais on n'est pas ophtalmologue pour autant. Certaines fois en mission, il nous arrive de téléphoner aux collègues à l'hôpital pour obtenir des renseignements supplémentaires sur une pathologie ou un trouble particulier, comme en toxicologie par exemple. On passe parfois immédiatement d'un problème obstétrical à une détresse respiratoire !

On doit également acquérir des connaissances dans beaucoup de domaines autres que les soins infirmiers et médicaux pour intervenir dans des situations en dehors de l'hôpital.

On doit connaître les activités principales des pompiers ou des policiers. Si on intervient en première équipe à un endroit où il y a eu un échappement de gaz ou un écoulement de produits dangereux, on doit évaluer la situation pour savoir si on doit éventuellement s'éloigner des lieux et se mettre en sécurité.

La connaissance des règles de sécurité pour les interventions sur les chemins de fer ou en prison est indispensable si on doit y intervenir. La violence de certaines personnes appelle à des connaissances sommaires d'autodéfense et de psychologie de crise. Il n'est pas permis, par exemple, d'embarquer un patient contre sa volonté.

Certaines notions de médecine légale sont parfois nécessaires. Avec le médecin, nous protégeons le site d'un délit ou d'un meurtre en attendant les forces de l'ordre. Rien ne peut être touché ni manipulé. Un suicide apparent peut se révéler être un meurtre. Nous devons être très prudents quand nous intervenons dans un domicile fermé où la personne ne répond plus.

Suite à un décès, on doit pouvoir expliquer aux proches les démarches administratives immédiates à entreprendre. On doit aussi connaître la manière d'aborder le décès dans différentes religions.

Il y a aussi les urgences psychosociales : comment intervenir auprès d'une personne qui a consommé de la drogue, des médicaments, de l'alcool, qui vit malade dans la solitude ou est maltraitée ? Beaucoup de personnes démunies nous appellent car elles ne peuvent pas payer immédiatement un médecin de famille.

On doit disposer de bonnes connaissances en matière de sécurité routière, de cinétique et de biomécanique des accidents. La biomécanique concerne l'observation des effets d'un accident (choc, décélération, collision) sur un corps. On doit évaluer la vitesse et les dégâts médicaux correspondants.

Dans certains cas, le SMUR fait appel à un hélicoptère pour transporter rapidement le patient vers un centre hyperspécialisé. On doit savoir baliser un terrain, guider un hélicoptère et appliquer des règles de sécurité en sa présence.

Il est impossible de faire le tour ici de toutes les situations possibles tant elles sont nombreuses et variées.

Quels sont vos horaires et votre rythme de travail ?

Pour le SMUR, je preste 7 à 8 gardes de 24 heures par mois, ce qui représente un temps plein. C'est un système unique lié à l'histoire des urgences du CHR de Namur. On travaille avec les pompiers de Namur depuis le début et on a ainsi calqué nos horaires sur les leurs. Le rythme de travail est mouvant. On a des moments d’activités intenses et d’autres où il ne se passe rien. L'activité est souvent liée à différents facteurs comme la météo, les activités humaines sociales (match de foot) et les conditions socio-économiques du moment. 

Les horaires permettent des temps libres pour d’autres activités et pour la famille. En parallèle, j’enseigne à des infirmiers en spécialisation SIAMU depuis 1988 et je suis responsable pédagogique du Centre de Formation et de Perfectionnement pour Secouristes-Ambulanciers de la Province de Namur. Afin de promouvoir la profession, je suis président de l’Association Francophone des Infirmiers d’Urgence (AFIU) depuis 5 ans. L’enseignement me permet de transmettre à d’autres ce que j’ai appris avec l’expérience ou par la théorie. Cela me permet aussi de préparer l’avenir pour le cas où j’aurais un accident qui ne me permettrait plus d’exercer mon métier d’infirmier urgentiste. 

D’après vous, en terme de caractère, quels doivent être les points forts d’un bon infirmier d’urgence ? 

Tout infirmier n'est pas fait pour cette branche particulière. Il doit s’adapter rapidement à des situations variées et faire face au stress rencontré pour intervenir efficacement. Il doit donc bien gérer son stress, perdre au minimum la maîtrise des situations. 

Quand on intervient en extrahospitalier, on n’a pas l’occasion de s’éloigner ou d'appeler de l'aide. A l’hôpital, si une situation est trop difficile, on peut quitter la pièce et demander à un collègue de nous remplacer un peu. A l’extérieur, on doit tout assumer, canaliser nos sentiments pour ne pas perdre nos moyens face à ceux qui ont besoin de notre aide. Le fait d’exprimer ensuite son stress professionnel peut aider et est normal. 

Il doit aussi être indifférent à la gravité apparente d'une lésion, sans s'évanouir. On s’habitue progressivement à l’aspect physique des traumatismes mais on ne s'habitue jamais aux aspects sociaux et humains des situations dramatiques parfois rencontrées. 

Il doit aussi se remettre en question pour améliorer son travail, aimer apprendre. La médecine d’urgence est un domaine qui évolue beaucoup et sans arrêt. 

Un infirmier urgentiste bien formé réorganise son travail en fonction des situations. Il improvise, étant donné que ça change tout le temps. Il est difficile de planifier son travail à l’avance. Quand il arrive le matin de sa garde, il ne sait pas de quoi elle sera faite : de situations étonnantes, sordides, marrantes, de beaucoup ou peu d’interventions. 

Il est à l’écoute des gens, attentif à leurs souffrances, sensible aux autres. Il garde une certaine distance quand les problèmes de la personne ne sont pas de son ressort tout en y étant vigilant afin de mobiliser les services spécialisés adéquats. 

L’infirmier doit aussi être particulièrement conscient de ses limites légales, professionnelles et déontologiques. L’infirmier d’urgence travaille en équipe interdisciplinaire, il doit donc aimer collaborer même si comme dans toute équipe, il y a parfois des conflits et des avis divergents. 

Enfin, il doit être rigoureux pour gérer le véhicule, les équipements et les dossiers. 

Quels sont les avantages de votre profession ? 

Tout d’abord, c'est le côté inattendu. Nous rencontrons une variété inimaginable de situations bien réelles et différentes de celles de la télévision. Ce métier n’est pas monotone et répétitif. Nul ne sait de quoi la minute suivante va être faite. 

Le fait d’avoir un horaire irrégulier me plaît aussi. J’ai ainsi l’occasion d'exploiter beaucoup d’autres activités en parallèle. Je ne suis par exemple pas bloqué pendant les heures ouvrables comme un enseignant. En travaillant la nuit, on rencontre d’autres personnes, d’autres ambiances. 

Ce travail donne aussi l’occasion d’apprendre tous les jours de nouvelles choses dans des domaines vastes et variés. 

Pour finir, ce métier est reconnu par la population, valorisé indirectement par les médias. Cela contribue en partie à gérer le stress. 

A l’inverse, quels sont les inconvénients de ce métier ? 

Avec l’âge, ça devient physiquement plus difficile. Le rythme de travail n’étant pas constant, il y a des variations brutales, ce qui est difficile et fatiguant physiquement. 

Moralement, pour certains, c’est dur aussi. Le stress est important mais je pense que j’arrive à bien le gérer notamment en rapportant par écrit un résumé critique de toutes les situations rencontrées. Je fais un bilan après chaque mission et cela m'aide à évacuer ce stress. 

Les équipages des SMUR sont souvent vus comme des sauvages de la route qui prennent des tas de risques inutiles. Le moindre accrochage est monté en épingle. Cependant, c'est la détresse physique, l'espoir des gens qui nous attendent et leur reconnaissance, trop rare, qui sont importants à nos yeux. 

En matière d'urgence, on dispose trop rarement des informations sur le devenir des personnes prises en charge. On n’a pas le temps de "s’habituer" aux patients, voire de créer des liens. 

Indirectement et heureusement, la Direction reconnaît notre travail en mettant à notre disposition des outils de travail adaptés, performants et fatalement coûteux. 

Que diriez-vous à quelqu’un qui est intéressé par ce métier ? 

"Viens, on t'attend, il y a une certitude d'emploi au terme de tes études". L’aspect technique attire souvent les candidats mais on en a vite fait le tour. Ils doivent être bien conscients des dimensions humaines et sociales du métier qui s'acquièrent progressivement. On voit rapidement si on est fait ou non pour ce métier. 

Je conseillerais à ceux que la technique rebute ou qui préfèrent des contacts stables à plus long terme de travailler dans d’autres services hospitaliers. L'aspect irrégulier de l'activité peut faire peur mais on s'y habitue. Le salaire n'est jamais à la hauteur des espérances mais il n'est pas négligeable. Le métier évolue beaucoup et l'avenir est ouvert à celui qui veut y apporter sa pierre.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.