Divers intervenants de l'Atelier Alpaca,
Artistes peintres
Expérience originale, l'ATELIER ALPACA méritait une autre expérience originale: celle de l'interview collective! L'histoire d'ALPACA (Atelier Libre de Préparation aux Carrières Artistiques) remonte déjà en 1948, lorsque l'atelier fut fondé par Madeleine MARTIN.
De nombreux artistes tels que Pierre Alechinsky, Serge Creuz, Olivier Strebelle ou Francis Tondeur sont passés par ALPACA. Entourée de divers spécialistes, Madeleine MARTIN développe l'atelier en une véritable école supérieure alternative ouverte aux adolescents en rupture d'études comme aux adultes recherchant une orientation professionnelle ou désirant approfondir une passion artistique.
Voici six ans, Madeleine MARTIN a passé le relais à Colette VANPOELVOORDE, une artiste peintre de grand talent. Malgré la crise que connaît Il actuellement les ateliers, Colette Van Poelvoorde poursuit l'enseignement avec générosité, compétence, et un sens aigu de la pédagogie et de la psychologie, tout axé sur le respect de l'humain et de son épanouissement personnel.
Outre Colette Van POELVOORDE, Eliane, Joëlle, Tino, Aminda et Nathalie ont participé à la discussion.
Le cours de modèle se prépare-t-il ?
Colette : Oui, comme tout cours, je pense. Chaque bon enseignant prépare son cours. De même, la matière varie d'une année à l'autre. Dans le cas de l'atelier, c'est inévitable. Les étudiants changent chaque année. En outre, au bout d'un certain temps, ils atteignent un certain niveau et demandent d'autres choses. A vrai dire, je ne veux pas présenter un modèle d'une manière brute. Dès lors, avant la séance, j'évoque un événement artistique précis, passé ou actuel. Je parle d'un artiste, de son oeuvre, de son époque. Ainsi, le modèle et les étudiants sont placés dans un climat. Les peintres seront moins obsédés par le modèle. Ils ne pinailleront pas à faire la tête dans les bonnes proportions. En ayant l'esprit occupé par un événement, ils ne seront pas uniquement face à un modèle qui, de toute façon, n'est qu'un prétexte pour dessiner.
Cette introduction a-t-elle des effets bénéfiques?
Joëlle : L'introduction de Colette, c'est un peu l'échauffement et la mise en condition du modèle. Non seulement elle éveille notre curiosité sur ce qui se fait, mais en plus elle aiguise notre regard sur la peinture.
Aminda : La source d'inspiration vient au départ de ce que Colette présente comme type de peinture. J'essaie d'intégrer cette inspiration à mon style, à ma vision.
Colette : Paradoxalement, ils travaillent plus personnellement si je les mets dans un climat plutôt que si je les laisse tout seul devant le modèle, sans présentation, sans introduction.
Comment choisit-on un modèle?
Colette : Je ne chipote pas. Toute personne, tout physique est intéressant à regarder, à dessiner.
Mais encore, qu'est-ce qu'un bon modèle?
Colette : Un modèle doit rester à l'aise. C'est quelqu'un qui a le sens des gestes et des positions dégagées... Mais il peut être intéressant de dessiner une personne un peu coincée, de ressentir son intériorité. Il existe aussi des modèles professionnels. Eux, ils ne bougent pas, mais ils confondent parfois immobilité et raidissement.
Nathalie : Souvent, peu importe la personne. Je peux être attirée par la couleur d'une peau, par les formes qu'une personne dégage, par une vue d'ensemble, qu'elle soit ramassée ou dégagée.
Aminda : J'aimerais dessiner une grosse dame. Je n'ai encore jamais eu cette occasion.
Eliane : J'ai déjà dessiné des modèles...gros. La première réaction peut être du rejet. Mais tu dépasses vite cette impression. D'autant que tu peux regarder sous différents angles, ou choisir un morceau. Alors, tu n'as plus une, mais vingt personnes devant toi!
Le modèle est un prétexte à dessiner. N'est-ce pas un peu court? Quelle est votre relation avec le modèle?
Nathalie : Le modèle est indispensable. Chez moi, je peux travailler sans modèle. Mais en fait ce sera encore d'après modèle. En chair et en os, ce matin. Ensuite, en mémoire.
Tino : Le modèle permet de voir comment un corps humain est fait. D'accord, on le sait. Mais cela ne permet pas de "percevoir"... Avoir le modèle concrètement devant soi est la source d'inspiration première.
Joëlle : Mon travail personnel est étroitement lié au nu. j'aime peindre des corps et les déformer: J'ai donc besoin de les voir dans différentes positions.
Et être modèle, c'est quand même un boulot difficile?
Eliane : Oui. Pendant six ans. j'ai été modèle. J'ai commencé par hasard. Pour un remplacement. En me disant: "juste pour une fois!" Finalement. je n'ai arrêté que parce que je suis passée de l'autre côté du miroir du côté de celui qui regarde, qui dessine. Physiquement, je n'étais guère préparée à être modèle. Je connaissais très mal mon corps. Je ne savais pas à l'avance comment et où j'aurais mal. Puis, quand on tient la même pose pendant plusieurs jours, on finit par avoir toujours mal au même endroit. A avoir la hantise du mal également. Un autre élément, c'est la timidité de se montrer nue. Au départ, ayant suivi des humanités artistiques, j'étais rassurée quant au regard que les autres pouvaient porter sur moi. L'immobilité est aussi une manière de se protéger dans la nudité. Mais au début des poses et pendant les interruptions, il faut bouger. A ce moment, le modèle redevient fragile.
Y a t-il des mauvais souvenirs liés au fait de poser?
Eliane : J'ai posé pour un sculpteur. Un travail axé sur le portrait, le visage. Le visage m'appartient plus que le reste du corps. Quand les artistes travaillaient tout près de mon visage pour y déceler tous les détails, j'avais l'impression d'être emprisonnée. Il faut plus de concentration pour ne pas bouger le visage. C'est dur, d'autant qu'il suffit parfois de bouger la main pour que ce geste induise un mouvement du visage.
La séance commence. Comment se passe-t-elle au niveau des poses, du rythme?
Colette : J'ai un principe. Je ne veux pas de poses trop compliquées. Une pose à la limite de l'équilibre et du souffle n'apporte pas forcément au niveau de la perception. J'alterne donc les poses longues et courtes. La longue, pour intérioriser le modèle. La courte, pour privilégier l'aspect gestuel.
Nathalie : Une pose rapide amène des gestes rapides. Cela m'oblige à regarder l'ensemble. C'est bien, car j'ai une tendance à cacher, à attraper un élément.
Eliane : Les poses rapides constituent un bon exercice pour l'artiste. Quant au modèle, il peut souffler, bouger les articulations.
Concrètement, comment appréhendez-vous le travail?
Joëlle : En général, je commence par dessiner les mains ou les bras. Rares sont les fois où le dessin ressemble à ce que j'avais conçu. Lors d'une pose rapide, la sensation est différente. Je me laisse plus guider par l'outil, par l'instinct.
Eliane : Tout dépend du contexte. Si je suis dans un atelier, je suis très détachée de la relation stricte avec le modèle. Chez moi,je suis plus préoccupée par le fait que le modèle puisse avoir mal. Il m'est plus difficile de me concentrer: Sinon, ce qui m'intéresse, c'est la position dans l'espace. La relation du corps avec l'extérieur. La lumière. La peau.
Nathalie : J'aime prendre le temps de m'installer. Parfois, j'ai besoin d'une demi-heure pour que le modèle m'arrive. L'atmosphère de l'atelier, son éclairage par exemple, entrent dans mon jeu. Avant, je scrutais le modèle. Maintenant, j'intègre l'extérieur. Je dessine souvent ma première impression d'une personne. Alors, je griffonne. J'accentue les contours.
Qu'est-ce que vous attendez du professeur pendant ou après la séance?
Joëlle : J'attends de Colette qu'elle nous fasse part de son expérience, qu'elle crée une continuité dans l'atelier, qu'elle soit à l'écoute de nos besoins et qu'elle respecte la personnalité d'un dessin.
Aminda : Qu'elle me fasse comprendre si je suis sur la bonne voie ou si je suis partie sur une fausse piste. Mais sans dire : "C'est nul!".
Eliane : Pas grand chose et à la fois énormément. Le professeur peut intervenir au moment où il croit que je suis dans une impasse. Mais surtout, son travail consiste à voir comment je mène mon dessin et à dire, à la fin de celui-ci : "A un moment, tu es partie dans cette direction. Alors que si tu avais continué ainsi, cela aurait peut-être été plus proche de toi".
Tino : Oui, c'est vrai. L'intérêt est de savoir ce qu'à un moment donné le travail ouvre comme portes. Il faut qu'une personne extérieure me dise: "Là, tu as saturé le support. J'ai vu le dessin quand les vides créaient des liens. C'était vivant. Tu aurais pu arrêter là!".
Colette : Je laisse à chacun le temps de se trouver: Je ne peux pas intervenir à chaque trait. Quand chacun s'est exprimé, je peux intervenir. Je le fais surtout pour parler du cadrage. Pour mettre les choses les plus importantes à la meilleure place.
A la fin de la séance, vous discutez ensemble des travaux. Quelle est l'importance de cette discussion?
Joëlle : La confrontation permet de voir comment les autres ont appréhendé un même modèle dans une même pose au même moment. L'expression, l'atmosphère, le trait, la technique sont très variables. La critique est aussi un apprentissage. On aiguise notre oeil et on apprend à entrer dans le monde des autres. Il y a finalement peu de vexations car les avis sont souvent partagés et conf et confirmés par le créateur lui-même. Et puis critiquer, c'est aussi parler des qualités.
Nathalie : Mon travail est très personnel, expressionniste dans le geste, dans la manière de concevoir les mises en page. A la fin de la séance, mes dessins diffèrent totalement des autres. Avant, ces différences me mettaient parfois mal à l'aise. Les autres étudiants ont mis du temps à accepter mon dessin. Même Colette. En fin de compte, nous nous sommes compris par le dialogue.
Eliane : Le choc des travaux peut être terrible. Quand j'étais modèle, je regardais les travaux pendant les interruptions. Au début, on espère que les artistes vont nous renvoyer une bonne image de soi. Certains possèdent un style très particulier: D'autres font des choses très naïves ou très expressionnistes. C'est justement intéressant pour détacher l'image qu'on a de soi du travail que les gens en font. Finalement, je découvre des personnalités diverses, différentes manières d'aborder l'image aussi. C'est enrichissant, mais, parfois, c'est un miroir-choc.
Colette : Il n'y a pas assez de participation. Ils sont trop gentils les uns avec les autres. Je trouve qu'ils devraient apporter encore plus d'avis critiques.
Nathalie : Elle a raison. Sinon, on n'avance pas! On reste dans son petit dessin.
Joëlle : C'est vrai. Les confrontations ne sont pas toujours enrichissantes. Mais il ne faut pas prendre ce côté "gentil" pour de la politesse formelle. Vous savez, il faut une grande expérience, une grande pratique du dessin, une longue réflexion sur le dessin pour pouvoir exprimer en mots pertinents, intelligents, constructifs les sensations que nous procurent une création.
Nathalie : Colette pose parfois des interrogations assez fortes et pointues. Mais tout le monde peut lui parler librement, sans barrière.
Colette : Bien sûr, la critique doit se faire dans le respect de l'autre. L'important, c'est de savoir si l'artiste a été sincère. Pour cela, il faut comprendre sa démarche, sa personnalité, son être.