Dr Anne Vereerstraeten, Néphrologue
Interview réalisée en janvier 2015 |
Quel a été votre parcours scolaire et professionnel ?
J'ai effectué des études de médecine de 1981 à 1988 à l'ULB puisqu'à l'époque les études en médecine étaient en 7 ans. J'ai fait ensuite une spécialisation en médecine interne. A l'époque, la spécialisation en néphrologie n'existait pas à part entière, elle est apparue en tant que telle seulement à la fin de ma spécialisation. Maintenant, bien que la spécialisation en néphrologie est reconnue, il y a quand même un tronc commun lors des trois premières années où on doit faire la médecine interne. Lors des trois premières années en médecine interne, vous faites des stages en fonction de vos intérêts mais surtout en fonction de ce qu’on trouve ou nous impose. J'avais donc déjà fait certains stages en néphrologie pendant mes études de médecine et, lors des deux dernières années de ma spécialisation, je n'en ai plus fait qu'en néphrologie, dans toutes les disciplines de la néphrologie- : les pathologies rénales et donc la dialyse sur toutes ces formes, la dialyse péritonéale, la greffe rénale, la néphrologie tout venant.
J'ai eu un parcours particulier, mais c'est très personnel, j'ai condensé les deux dernières années de ma spécialisation en une car j'avais déjà une place en tant que résidente faisant fonction à l'hôpital Tivoli. J'étais donc déjà vraiment dans la pratique lors de ma dernière année d'étude. J'étais responsable d'une salle d'hospitalisation, je m'occupais des dialyses, j'avais 4 consultations par semaine et j'ai lancé le programme de la dialyse péritonéale là-bas aussi.
Qu'est-ce qui fait que dès le départ vous aviez visiblement un intérêt marqué pour la néphrologie ?
C'est une discipline qui a des tas d'aspects différents, il y a aussi plusieurs voies possibles de prises en charge thérapeutiques pour une même pathologie. Ça c'est pour l'aspect technique.
Parce que j'aime bien les problèmes un peu compliqués et parce que c'est une discipline qui vous permet encore de rester un médecin assez polyvalent dans la mesure où avec les patients en dialyse ou greffés vous ne pouvez pas vous contenter de traiter leurs problèmes rénaux, ce serait trop limitatif, leurs problèmes s'intègrent dans une approche globale, avec des tas de pathologies. Les pathologies s'imbriquent les unes dans les autres. C'est une prise en charge globale où l'on traite aussi bien les complications pulmonaires, cardiaques, digestives. Cela permet de traiter beaucoup de choses.
Mais au fond quand j'ai postulé pour la médecine interne, je me destinais plus à la gastrologie parce que j'aimais ce type de pathologies et c'était aussi un petit peu par rejet car mes parents étaient tous les deux internistes ; ma mère était pneumologue et mon père néphrologue, c'était d'ailleurs un pionnier de la greffe rénale en Belgique, et je m'étais dit que je ne ferai pas une des spécialisations qu'avaient faite mes parents.
Et puis, pendant mes stages, je me suis rendu compte que la gastrologie, c'était vraiment très réducteur, à part passer des tuyaux toute la journée et faire des gastros, peu de place était laissée, me semble t-il, à la réflexion, c'était la rentabilité par l'acte et ces actes sont extrêmement répétitifs. Et je ne me voyais pas faire cela toute ma vie.
Je me suis dit, finalement, que la néphrologie, c'était quand même très intéressant. En fait, j'en avais déjà fait avant, même en pédiatrie, j'avais donc quand même un intérêt déjà plus que marqué pour cette spécialisation. J'ai donc changé mes plans de stage.
Que voyez-vous comme avantages dans votre métier, outre cette polyvalence ?
Pour le moment, avec l'âge, je vous dirai que je vois plus les contraintes.
Parlez-nous d'abord des contraintes alors...
On a pas mal de gardes. On travaille tous les jours, même les jours fériés n'existent pas en dialyse et quand on a une vie de famille, on n'est quand même pas là quand tout le monde est en congé, on vit donc un peu en marge. Que c'est très fatiguant. Cela fait 7 jours maintenant que je suis de garde 24h/24 en travaillant aussi le 1er janvier. Or ce n'était pas vraiment comme cela que je voyais les choses. Il y a une astreinte, on doit être présent dans les unités jusqu'à la fin des dialyses, il faut traiter des tas de choses. On a pas mal de consultations aussi. On accumule donc pas mal de travail.
Maintenant, on a un contact très privilégié avec nos patients puisque pour beaucoup ce sont des patients chroniques. Cela peut avoir un côté un peu minant parce que les malades chroniques sont extrêmement exigeants et très attachés à leur médecin, vous devenez un petit peu le référent pour toutes sortes de choses, y compris des choses qui n'ont rien avoir avec le médical. On a quand même pas mal de patients âgés aussi, ce sont parfois des gens très isolés qui viennent en dialyse et donc finalement pour eux, cela peut paraître paradoxal, c'est un traitement très contraignant, fatiguant, mais, le moment de leur dialyse est parfois le seul lien social qui reste à ces patients qui n'ont plus beaucoup de visites de leur famille. Ils survivent un peu en puisant en nous la force de survivre. Cela peut donc avoir un côté pompant mais aussi très satisfaisant quand on a un bon contact. J'ai pour ma part de très bons contacts avec mes patients. Ce sont des gens qui nous font confiance. Il y a une relation sur le long terme, pour beaucoup, qui s'instaure. On connaît aussi leur famille. Les patients nous disent beaucoup de choses aussi sur leur vie, en dialyse et parfois même des choses que les familles proches ne connaissent pas. C'est particulier mais parfois pas toujours facile à gérer car on est un peu jugé parti.
Les gestions de fin de vie sont parfois lourdes à gérer pour nous aussi car ce sont parfois des patients qu'on connaît depuis tellement longtemps, moi j'ai des patients que je connais depuis 20 ans. Ce n'est donc jamais facile de voir les gens décliner ou avoir des décisions pas évidentes à prendre en fin de vie. Les gens ne sont pas toujours clairs non plus et nous demandent aussi de prendre beaucoup de décisions à leur place.
S'il y a une journée type, comment se passe t-elle ?
La journée type, c'est un canevas de choses organisées, car la dialyse, c'est un service très organisé. Cela me convient bien car j'aime l'organisation, c'est aussi une des choses qui m'a bien plus là dedans. Je suis assez à l'aise avec l'organisation à grande échelle.
Vous avez donc tout ce qui est prévu. Aujourd'hui, par exemple, les dialyses ont commencé à 7h30 et se terminent à 18h. Vous avez ainsi 40 patients en dialyse. Vous avez ensuite les patients qui sont hospitalisés, là c'est une donnée variable, à gauche à droite dans l'hôpital. Leur rendre visite est une activité chronophage car ils sont hospitalisés dans des services différents. Vous perdez donc du temps à aller d'un endroit à l'autre et vous vous retrouvez avec des équipes qui n'ont pas toujours l'habitude de travailler avec ce type de pathologies.
Il y a aussi les consultations. Et cela, ça doit être géré de front.
Puis, vous avez tous les imprévus. Des urgences qui peuvent arriver. Donc, si en principe la journée se termine à 18h, après, cela dépend de beaucoup de variables.
Y a-t-il des actes techniques récurrents dans votre métier ?
Des actes techniques, on en avait beaucoup dans le temps mais on n'en a moins maintenant.
Avec le temps et la réorganisation des choses, il n'y en a quasiment plus. Les cathéters se font maintenant par des angiographistes en radiologie, les biopsies rénales se font aussi sous contrôle scanner. On est dans une médecine qui s'est fort blindée, tout doit se faire avec un luxe de précautions. L'évolution de la profession médicale s'est particulièrement détériorée, je peux vous en parler avec un certain recul puisque j'exerce depuis 27 ans. Il y a des tas de progrès, il y a l'accès à l'information, les systèmes informatiques et c'est très bien quand cela marche mais on devient un peu l'esclave aussi de ce système. D'une part quand cela foire, il n'y a plus rien qui va et d'autre part on doit maintenant taper les notes qu'on écrivait manuellement, taper aussi les prescriptions médicales. Ce qui nous prenait 10 secondes, nous prend 10 minutes. On a aussi tout le temps ce téléphone sur soi qui sonne à tout moment, quoique vous fassiez. On est donc plus souvent qu'avant interrompu dans notre réflexion et notre travail. Cela allonge terriblement la journée.
Maintenant, probablement qu'il y a un aspect générationnel à cela. Les jeunes qui sont nés avec une tablette dans les mains trouveront peut-être cela moins contraignant que moi qui ait 52 ans.
Voyez-vous aussi une évolution dans les maladies que vous traitez depuis le début de votre carrière ?
Oui, beaucoup plus de maladies liées au vieillissement de la population.
Avant, on avait quand même des pathologies de patients jeunes. Ce qui est bien, c'est qu'il y a maintenant des tas de mesures préventives et de dépistage même au stade anténatal ce qui fait qu'il y a des pathologies qu'on ne voit pratiquement plus mais par contre on voit des pathologies liées à notre mauvaise civilisation occidentale : le diabète, l'hypertension, etc. Cela représente un quota important des personnes en dialyse et qu'on voit à un stade assez avancé de leur vie parce que, vu le panel de complications importantes, ces patients, avant, mourraient d'un infarctus, d'un AVC à l'âge de 60 ans mais maintenant avec les progrès faits dans ce domaine, les médicaments, ils ne meurent plus de cela, ils continuent à s'user mais continuent à vivre et on les récupère à 80 ans. Mais cela aussi, c'est quelque chose qui ne va pas trop non plus. Quand je vois que ces personnes âgées doivent venir en dialyse trois fois par semaine et assumer un traitement aussi contraignant, je me demande où est le confort de vie. Je suis frappée par l'extraordinaire résignation des gens, très peu se révoltent et ceux qui se révoltent, ce n'est pas toujours à propos car ce ne sont pas ceux qui sont en fin de parcours. Je m'interroge parfois sur l'utilité de ce que je fais en ayant parfois l'impression que ce qui est fait, est excessif, pas loin de la torture. Avant, c'était normal de se battre pour des personnes de 40-50 ans qui avaient encore une espérance de vie et chez qui il y avait moyen de transplanter et de les sortir de quelque chose de plutôt moche pour aller vers une vie proche de la normale et une réhabilitation à tout niveau. Mais qu'est ce que vous voulez faire quand vous avez 80-90 ans, votre parcours de vie est derrière vous.
Il faut garder une âme de médecin, on est là pour soigner mais aussi pour ne pas nuire et parfois surtraiter ou aller trop loin dans les soins, c'est nuire. C'est en tout cas mon opinion.
Quelles sont les compétences et les qualités requises pour faire ce métier ?
Les compétences, ce sont des compétences de CV. Il faut avoir fait un tronc commun de trois ans en médecine interne et puis trois ans de spécialisation en néphrologie où vous avez accès à tous les stages qui permettent d'avoir la vision la plus large possible de tous les panels de traitements qui existent.
Les qualités : Il faut être résistant parce que c'est vraiment fatiguant, organisé, discipliné, rigoureux et il faut être flexible. Ce n'est pas une discipline médicale où vous avez une vie régulière. Il faut aussi ne pas avoir peur de prendre des décisions car il faut prendre des décisions tout le temps rapidement. Comme vous avez des patients en ambulatoire, ils sont là pour un temps donné, or parfois vous avez des problèmes mais vous n'avez pas qu'un patient à la fois. Le matin, en dialyse, vous avez 25 patients et avant qu'ils repartent à midi, il faut avoir trouvé des solutions aux problèmes qui se sont présentés en un temps donné. Il faut donc pas mal courir. Parfois, vous avez des jeunes médecins qui étaient de brillants étudiants mais que j'ai vu se décomposer au moment où ils doivent s'assumer et porter à eux seuls la responsabilité et le poids des décisions. Ce n'est pas quelque chose qui s'apprend dans les études, ce n'est pas donné à tout le monde.
Quels sont les débouchés? Quel est le cadre professionnel d'un néphrologue ?
Travailler en privé, en cabinet, c'est impossible. C'est d'office en milieu hospitalier dans un hôpital où il y a un centre de dialyse, donc c'est toujours dans de grosses structures. Vous devez donc être à l'aise pour travailler dans une grande structure où il y a beaucoup de monde.
La dialyse extra-hospitalière existe mais ce n'est jamais qu'une activité parmi d'autres par rapport à celles que nous avons. Cela permet de ne pas toujours être au même endroit. Moi, je m'occupe de l'auto-dialyse à Chimay, j'y vais tous les mercredis. Cela me permet de changer un peu d'horizon.
La recherche, c'est souvent en milieu universitaire pour avoir un titre de doctorat. C'est souvent pour rajouter une ligne à leur CV. Quoique, il y a quand même des gens qui font de la recherche parce qu'ils sont faits pour cela mais cela n'est pas la majorité.
L'enseignement est une possibilité aussi.
Quels sont les professionnels de la santé avec lesquels vous avez l'habitude de collaborer ?
Déjà, la dialyse, c'est un travail d'équipe. C''est une équipe médico-infirmières où l'on délègue beaucoup de choses aux infirmiers.ères. C'est déjà un mode de fonctionnement très particulier par rapport aux autres services de l'hôpital.
Il y a les assistantes sociales. Il y a vraiment tout un noyau, c'est un gros service où chaque personne a un rôle bien spécifique.
Au niveau de l'hôpital, forcément, il y a le labo. Nous sommes de gros demandeurs de labo, et d'investigations radiologiques aussi.
Au niveau des spécialisations, on a des contacts réguliers avec des cardiologues, des endocrinologues pour tout l'aspect du diabète.
C'est vrai qu'il y a certaines spécialités qui nous réfèrent pas mal de patients.
Par contre, par exemple, à Chimay, au centre d'auto-dialyse, là, je fonctionne toute seule et cela me convient bien aussi, je sais très bien me gérer toute seule.
Sinon, à l'hôpital, c'est vraiment pluridisciplinaire.
Au niveau de la dialyse, quel est votre rôle spécifique par rapport aux infirmiers.ères et autres professionnels de la santé ?
On est les prescripteurs au départ. Donc, on voit les patients en consultation. On doit donc d'abord définir quel est le problème de santé, quelles sont les priorités, prescrire le traitement, l'organiser, donner toutes les consignes aux infirmiers.ères qui vont les appliquer. Les consignes, c'est donner les heures de dialyse, dire quel type de membrane doit être utilisée. Tout l'aspect technique, vous en êtes le prescripteur. En amont de cela, il faut d'abord définir les priorités, parce que la dialyse, ce n'est qu'un traitement parmi d'autres. Il faut donc mettre en route tout le reste du traitement, la mise au point à faire, les examens à prescrire, à interpréter, ajuster le traitement en fonction de ces éléments là. Il faut aussi demander à l'assistant.e social.e de voir le contexte familial du patient. Le patient va être amené à retourner chez lui après chaque traitement mais va revenir trois fois par semaine en dialyse, il faut donc organiser le transport, voir avec la famille ce qui est possible. Indiquer à l'assistant.e social.e ce qui est possible de notre côté aussi, lui donner des pistes.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui veut se lancer dans cette spécialité ?
Effectuer un stage en néphrologie pour être sûr que cela lui convient ou prendre contact avec un néphrologue et voir avec lui les différents aspects du métier.