Mr Elvis Pompilio, Modiste

Interview réalisée en janvier 2005

Comment êtes-vous devenu modiste ?

Oh... tout simplement... J'ai toujours été fasciné par la mode : les vêtements, mais aussi les accessoires. Très jeune, j'aimais déjà m'habiller à ma façon. Le meilleur moyen d'y parvenir, c'était de bricoler des vêtements et des chapeaux. En créant des choses, je me suis aperçu que j'étais doué pour cela, que je bénéficiais d'un certain doigté. Les gens autour de moi me confirmaient mes dons pour les chapeaux et me poussaient dans cette voie. J'ai alors suivi six années d'études en arts plastiques, dans une école liégeoise. Mais il faut faire remonter mon amour de la mode à quelques années auparavant.

Et pourquoi avez-vous choisi le chapeau ?

Je préfère de loin être modiste que couturier. Je rencontre en effet des gens passionnés, des gens qui aiment les chapeaux par-dessus tout. En effet, chacun doit porter des vêtements, chacun doit mettre des chaussures. Mais personne n'est obligé de porter un chapeau. Cet aspect fut essentiel dans mon orientation.

Votre carrière a débuté tout de suite après vos études ?

En fait, à l'époque, je ne faisais des chapeaux que le soir. En journée, j'étais employé comme sérigraphe dans une entreprise assez importante en publicité. Le soir, je créais des chapeaux pour des amis et pour moi. Comme je sortais beaucoup dans les boîtes de nuit à la mode à Bruxelles et à Anvers, je rencontrais beaucoup de gens. C'est ainsi que j'ai reçu des commandes de ce que je portais. Parfois pour des particuliers, parfois des exemplaires multiples pour des défilés. C'était déjà des défilés de prestige. J'ai donc pu commencer dans le haut-de-gamme. Grâce au soin et au sérieux que j'apportais à ces créations, les gens m'ont fait de plus en plus de commandes.

Comment a évolué votre travail ?

Au début, je fonctionnais uniquement par commandes pour des personnes précises ou pour des défilés. A l'époque, je ne faisais pas de stock parce que je n'avais pas l'ambition d'avoir un magasin. Je voulais plutôt créer des chapeaux précis pour des gens précis et des occasions précises. Mes créations ont cependant reçu une telle expansion qu'il a fallu dépasser ce stade artisanal. Je me suis mis à employer des personnes dans mon atelier. J'ai aussi ouvert un magasin en plein coeur de Bruxelles. Maintenant, cette petite affaire de départ s'est encore agrandie puisque les créations Pompilio ont des antennes à l'étranger, et notamment à Paris.

De qui se compose votre équipe ?

Au bureau, travaille un gestionnaire. Il s'occupe de la comptabilité et d'une foule de choses dont je ne soupçonne peut-être même pas l'existence. J'ai aussi un associé qui m'encourage, qui me parle de mes idées, me renvoie un feed-back. Sans qu'il ne mette la main à la pâte, je le considère comme mon bras droit. J'emploie aussi des vendeuses. Elles se trouvent dans les boutiques et ont été exclusivement formées par mes soins. Je tiens à ce qu'elles vendent à ma façon. J'ai des idées très précises à ce propos puisque je leur enseigne comment il faut parler ; comment il faut accueillir les gens, comment il faut toucher le chapeau. Enfin, à l'atelier, travaillent une dizaine d’employées qui réalisent mes créations.

Comment se passe le cheminement d'une création ?

La création part toujours de ma tête, de mon inventivité. Mais le dessin intervient toujours à un moment ou à un autre, très vite si le chapeau présente des difficultés techniques, moins vite si ce n'est pas le cas. Mais en fin de compte, le recours aux coups de crayon est indispensable parce que si je garde tout dans la tête, je risque d'oublier certaines choses. Au niveau du passage sur papier, je réalise aussi des dessins en gros plan. C'est très utile pour les détails ou pour les plans de couture. Il m'arrive également de noter des explications par écrit. Et puis, mes employées de l'atelier ont besoin du dessin pour fabriquer le prototype. Je leur donne les patrons, les proportions, les matériaux. Avec cela, elles doivent faire les prototypes. Il m'arrive aussi de faire les protos moi-même. Après quoi, elles doivent le découdre et le recopier. La collection se fait toujours sur cette base de travail. Elle est généralement prête deux mois plus tard.

Passez-vous ensuite par les défilés ?

Je passe toujours par un grand salon à Paris, qui s'appelle Première Classe et qui s'est spécialisé dans les accessoires. Les collections y sont présentées deux fois par an, été et hiver. Je participe aussi à des défilés pour des haut-couturiers. J'ai travaillé pour Louis Féraud et pour Thierry Mugler ainsi que pour des jeunes créateurs belges qui font des défilés à Paris. J'accessoirise leurs collections, pas chaque année, mais régulièrement, suivant les coups de coeur.

La mode doit-elle forcément passer par Paris ?

Personnellement, j'ai quand même débuté ma carrière en Belgique. Je m'y suis formé et j'y ai tout appris. Paris reste toutefois la plaque tournante de la mode. Pour devenir connu internationalement, on ne peut pas se contenter de rester à Bruxelles puisque les acheteurs mondiaux viennent à Paris pour choisir leurs collections. Pour vendre sur le marché international, il faut donc se montrer aux défilés parisiens. Cela dit, tout le monde n'a pas l'ambition de réaliser une carrière internationale. Le marché belge représente un marché tout à fait acceptable. Mais à beaucoup plus petite échelle.

Quelles sont pour vous les qualités du modiste ?

A mon sens, la qualité primordiale est la créativité. S'il faut absolument connaître ce qui s'est fait avant, il faut aussi pouvoir s'en détacher ! L'important, c'est d'apporter du neuf dans nos créations. En copiant ou en s'inspirant de choses déjà faites, le styliste ne pourra pas accéder à la reconnaissance. Pour cette raison, je répète souvent qu'une formation de modiste n'est pas forcément avantageuse. Les modistes, travaillent alors à la façon ancienne et ne peuvent pas créer de nouvelles techniques ou de nouveaux systèmes de fabrication. En tout cas, il n'y a pas qu'une seule voie d'accès au modisme. Tous les chemins mènent à Rome pourvu que la personnalité s'y prête. Comme autres qualités nécessaires, je citerais aussi le courage et l'esprit d'entreprise.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans l'exercice de votre métier ?

Mon métier n'est pas réellement un métier. Je l'appellerais plutôt un loisir. En effet, je ne fais que ce que j'ai envie. Je peux me permettre de refuser des choses que je n'aimerais pas faire. Je ne vois dès lors aucune difficulté à une véritable passion. Autour de mes créations, il existe sans doute certaines difficultés, mais il vaudrait mieux poser cette question au comptable. Je ne m'occupe d'aucun chiffre. Je n'ai que la création en tête. Et si je rencontre l'une ou l'autre difficulté technique, je m'en amuse puisque la création consiste justement à inventer de nouvelles techniques.

Comment se porte actuellement le monde de la mode ?

C'est très variable en fonction des créateurs. Pour certains, cela se passe très bien. D'autres n'arrêtent pas de nous rebattre les oreilles avec une prétendue crise. En fait, les plus créatifs et les plus intelligents gagnent la bataille, dans le domaine de la mode, comme dans d'autres secteurs artistiques. Il n'y a pas de place pour les copieurs, c'est la seule vérité. Certains croient qu'il faut copier et faire des choses commerciales. Ils se trompent lourdement. Les clients demandent d'être surpris à chaque saison.

Existe t-il quand même une voie à suivre pour le jeune créateur ?

Oh, non ! Ce serait trop facile. S'il existait un chemin tout tracé, tout le monde le suivrait. Chacun doit agir suivant sa personnalité et ses goûts. Dans la mode, tout le monde réussit d'une autre façon. Je ne peux même pas conseiller un concours ou un défilé en particulier parce que les choses changent. La mode n'usurpe pas son nom. Elle est un univers en mouvance constante.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.