Mr Etienne Bouillon, Distillateur
Interview réalisée en décembre 2016 |
Producteur du whisky belge, the Belgian Single Malt Whisky (à base d'orge belge) et propriétaire de "The owl distillery" à Fexhe-le-Haut-Clocher.
Pouvez-vous décrire dans quel cadre ce métier se fait-il ?
C'est un métier complexe parce qu'il allie à la fois l'artisanat qu'on va plutôt chercher dans une filière du type "compagnonnage" à une législation belge très stricte. Comme le distillateur crée un droit d'accises, donc de l'argent pour l’État, toutes ses machines sont sous scellés. L'erreur financière qui pourrait être commise dans la gestion du droit d'accises de l’État par un distillateur fait qu'on est toujours impliqué avec la gestion de l'argent pour l’État. Dès le début, l’État Belge a donc mis en place un ensemble de règles légales extrêmement contraignantes pour décourager au maximum les entrepreneurs qui veulent se lancer dans le domaine de la distillation. C'est pour cela qu'en Belgique, il ne reste plus que 5 à 10 distilleries maximum.
Ce qui est encore plus embêtant, c'est que, dans le monde des alcools classiques, la compétition internationale plus la différence de droit d'accises que l’État Belge a créé par rapport à ses voisins transfrontaliers font en sorte qu'il est bien plus opportun d'aller chercher ses alcools au Grand Duché, en Hollande, en Allemagne, en France qu'en Belgique. Après, si un jeune veut se lancer dans la distillation, je lui proposerais alors d'aller voir en France, qu'il se délocalise, qu'il aille voir dans les pays voisins.
C'est un job extraterrestre. Celui qui s'y lance prend des risques gigantesques pour avoir un résultat trente ans après ! Ce n'est pas une voie qui doit être proposée, c'est une voie qui doit correspondre à l'inspiration profonde d'un être humain qui est prêt à sacrifier sa vie pour aboutir dans sa vocation.
Malgré toutes ces contraintes, pourquoi vous êtes-vous lancé dans l'aventure ?
Parce que c'est une passion, parce que j'ai travaillé plus de 18 heures par jour en ne gagnant pas énormément pendant des années, parce que j'ai su faire face aux contraintes légales.
Quel a été est votre parcours ?
J'ai fait des études pour être vétérinaire. Je n'ai pas cherché à être distillateur, cela m'est venu de fil en aiguille. Ce n'est pas un parcours classique. C'est le parcours d'un solitaire où les heures de travail priment avant la vie de famille, avec des difficultés opérationnelles à surmonter à tout instant et en tout temps. J'aime probablement les difficultés outrancières, je ne le comprendrais pas autrement !
J'ai passé 10-12 ans en compagnonnage. Cela veut donc dire, pas de vie de famille, pas de vie sociale, hormis celle liée au métier.
Quels sont les atouts nécessaires pour être distillateur ?
Il faut avoir une formation légale, des compétences en matière financière, avoir des appuis sérieux au niveau financier. Il faut aussi être ordonné, méticuleux, avoir beaucoup de courage et de persévérance, être un bon gestionnaire et accepter de suivre des procédures légales strictes. Il faut toujours réfléchir à comment on pourrait faire encore mieux les choses le lendemain.
Comment se passe une journée ou une semaine habituelle ?
Tout dépend si on parle de mes journées à 20 ans ou maintenant.
Les journées à 20 ans quand on porte un projet, c'est se lever à 3h du matin, commencer à travailler à 4h du matin et finir aux alentours de 20h. On effectue tous les jours toutes les actions qu'il faut pour mener son projet à bien, tant les actions physiques que les actions de contacts administratifs avec le domaine des douanes et accises puisqu'eux prennent une bonne part du temps de travail d'un distillateur étant donné qu’on ne peut pas distiller sans la présence d'un agent des domaines des douanes et accises. Donc quand on travaille, on est toujours accompagné d'un surveillant. Il faut le vivre mais ce n'est pas grave, je le fais. Je peux travailler 22 jours sur trente, tous les samedis et dimanches. Les jours d'arrêt sont plus dictés par la disponibilité des agents des douanes et accises que par la vie familiale.
Quand je suis avec mes alambics, ce qui m'arrive toujours puisque je distille pour des tiers, mes journées sont celles de mes 20 ans mais je le fais moins souvent puisque, grâce à ce projet que j'ai ici, j'ai pu acquérir des outils qui me permettent de travailler moins longtemps et plus efficacement. Là, où j'avais des cuves de 500 litres, ce sont des cuves de 11000 litres maintenant. Les finances pour développer un projet comme celui-ci sont colossales, je n'aurais pas pu faire cela en démarrant.
Sinon, c'est un métier très répétitif, en ce qui concerne les actions, ce sont toujours les mêmes depuis mes débuts. La distillation n'est qu'une partie minime d'un ensemble.
Ce n'est pas parce que vous avez les outils et le bâtiment pour mettre les outils, que vous savez comment cela fonctionne. Cela demande un apprentissage qui ne s'apprend pas à l'école mais nécessite des dizaines d'années de compagnonnage. Tout est imbriqué, il faut être opérationnel à tellement de niveaux qu'il est compliqué de décrire une journée classique d'un distillateur si ce n'est qu'il y a une partie physique de nettoyage, une partie centrée sur la distillation, mais, en parallèle, une énorme partie administrative.
Sur une journée, la partie administrative va prendre 30%, la partie physique et le nettoyage 30% et il faut compter 20% pour les réponses commerciales.
Pouvez-vous préciser en quoi consistent les mêmes actions que vous faites depuis vos débuts ?
Une action très importante, c'est le nettoyage des cuves en cuivre. Pour le faire, je descends dans les cuves, je les frotte à l'aide de pailles de fer. C'est la partie physique du métier car, de la même façon qu'un cuisinier nettoie ses ustensiles de cuisine, un distillateur nettoie ses outils. C'est du cuivre, donc il faut faire cela à la paille de fer, l'extérieur, au vinaigre ou parfois avec un petit liquide qui permet de faire les cuivres. Mais il n'y a pas de magie, c'est tout à l'huile de bras. Puis, une fois que les alambics sont remplis et qu'on a respecté les temps de distillation, il y a la partie administrative qui doit être effectuée. Il y a une comptabilité administrative à tenir qui peut être très pénalisante en cas de mauvaise tenue. Tout doit être recensé. On est avec une gestion de stock permanente, ce qui n'est pas toujours aisé quand on est occupé à effectuer des tâches physiques ou de présentation de produits pour les vendre. Ce n'est pas forcément évident pour des créateurs qui ont peut-être aussi la fibre de la vente, d'être en parallèle des gestionnaires hors pair !
Quoi qu'on prenne, quoi qu'on fasse, tout doit être noté à tout moment. Cette gestion de stock doit être journalière contrairement à la majorité de métiers où elle est annuelle parce qu'à tout moment peuvent débarquer des personnes des douanes et accises pour vérifier toute votre comptabilité. Il faut avoir une attitude positive via l'administration qui est en charge de surveiller ce que vous êtes en train de faire. Une fois que le produit est prêt, il y a aussi toute la partie mise en bouteille, marketing, ventes. Après, comme c'est un métier un peu curieux, il faut répondre aussi à la curiosité du tout en chacun, on peut organiser des visites.
Quels sont les aspects positifs de votre métier ?
Je fais ce que j'aime. Je suis libre. Je n'ai personne à qui rendre des comptes hormis l’État, les banques, la loi et l'administration. J'ai une liberté de travail et de création.
Qu'est-ce qui fait justement qu'à un moment vous avez envie de créer de nouvelles associations, un nouveau produit ?
Le fait de rester à l'écoute des éléments qui m'entourent. Le fait de rester à l'écoute de la vie permet de savoir ce qu'on a vraiment envie de faire et de le faire au moment où c'est le mieux. Et une fois qu'on va dans le sens de la vie et non a contrario de la vie, toutes les choses se mettent toujours bien. C'est ça que j'appelle la vocation. Si on fait un travail juste pour gagner de l'argent, ce n'est pas utile.
Quels sont vos circuits de distribution ?
Les circuits de distribution dans lesquels je vais sont les cavistes. Il y a 300 à 500 cavistes en Belgique, il faut donc les visiter. Il ne faut pas être nerveux car le caviste, sa priorité, ce n'est pas vous mais ses clients. Si vous êtes là et qu'il a 4 clients, vous passerez après ses 4 clients. Il faut donc de la patience et de la persévérance.