Vous êtes assistant social et journaliste de formation et vous travaillez comme employé dans une banque la semaine et comme assistant de production pour des émissions TV le week-end… Comment êtes-vous venu à l’écriture ? Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer en tant qu’écrivain ?
J’ai toujours aimé l’idée d’inventer des histoires et d’y faire évoluer des personnages. Tout est possible devant une page blanche et c’est fascinant. Paradoxalement, je suis davantage un enfant du cinéma que de la littérature. Alors que le programme scolaire s’obstinait parfois à lancer des pavés “indigestes“ dans la mare du gamin que j’étais, j’ai poussé une porte derrière laquelle se trouvaient des auteurs comme Stephen King et Agatha Christie. Avec “Dix petits nègres“ entre les mains (pour n’en citer qu’un), j’ai compris que lire pouvait être amusant et je me suis dit qu’être celui qui offre de tels moments à des lecteurs devait être jouissif. J’ai réalisé qu’un livre pouvait tenir en haleine et empêcher quelqu’un de dormir. Que l’envie de tourner les pages était susceptible de remporter des batailles épiques contre des paupières trop lourdes.
Il n’y a aucun diplôme qui peut vous donner le titre d’écrivain. Il faut mettre les mains dans le cambouis. Je me suis lancé dans l’écriture de « “C’est dans la boîte“ au détour d’un couloir à l’Université. Enthousiasmé par une de mes nouvelles, Philippe Marion, professeur de l’École de communication de Louvain-La-Neuve, m’a mis au défi d’écrire un roman. Je pensais qu’il plaisantait. Il ne plaisantait pas… J’ai un peu hésité et puis j’ai accepté de relever ce défi complètement fou. Avec le recul, je me dis que j’ai bien fait de ne pas trop réfléchir à ce qui m’attendait. Pour ce premier roman, je me suis tourné spontanément vers un terrain de jeux captivant : le thriller.
Comment organisez-vous votre travail ? Quelles sont les différentes étapes de l’écriture par lesquelles vous passez ?
L’écriture n’est, malheureusement, pas mon métier. Je travaille 7jours/7 avec d’autres casquettes. Ce mode de vie me laisse peu de temps pour écrire. Je bloque parfois des soirées. Il m’arrive aussi d’écrire la nuit. En fait, je travaille par à-coups.
À mes yeux, la première étape du travail est d’avoir LA bonne idée de départ. Ensuite, je note tout ce qui me passe par la tête à partir de cette idée. Le tableau chaotique final permet déjà de voir si on peut tenir la route sur plusieurs centaines de pages.
Je n’aime pas cadenasser l’écriture avec un plan détaillé. L’improvisation totale n’étant pas non plus la meilleure solution en ce qui me concerne, je rédige un canevas très souple avec quelques balises entre lesquelles je me donne une liberté totale. Esprit de contradiction oblige, je modifie régulièrement mon itinéraire. J’avance surtout à l’instinct.
Avant de me lancer, je fais quelques recherches. Des visites, des livres, des films, des émissions, des reportages, des interviews, etc.
Assez rapidement, il faut trancher concernant plusieurs questions. Voix narrative, temps à utiliser, localisation de l’intrigue, personnages principaux, etc. Vu que je reste parfois de longues périodes sans écrire, je rédige des fiches récapitulatives qui me permettent d’être cohérent au fil du temps. Pour prendre un exemple, j’établis un profil pour chaque personnage.
Je pense que chaque projet nécessite d’adapter son fonctionnement. Les étapes se mélangent. L’écriture, les recherches, la relecture et les corrections. On revient régulièrement sur ses pas pour améliorer le texte sur le fond ou la forme. Je ne fais généralement rien lire à personne en cours de rédaction mais, une fois le mot fin écrit, je confie le manuscrit à deux personnes qui vont me donner leurs sentiments sur l’histoire et le style utilisé. Sans complaisance. C’est une analyse de la cohérence et de la structure de l’histoire à plusieurs niveaux. L’objectif est de révéler les forces du livre mais aussi les manques et les choses superflues. C’est la première fois que je peux évaluer l’impact du livre sur les lecteurs. C’est donc LE GRAND MOMENT DE STRESS !
Une fois que j’ai terminé les ajustements, je confie à nouveau le manuscrit à quelqu’un pour les corrections orthographiques. Un œil extérieur est indispensable.
Une fois les corrections terminées, on se lance à la recherche d’un éditeur.
Avez-vous facilement trouvé un éditeur ? Comment vous y êtes-vous pris ? Comment se passe le travail avec une maison d’édition ?
Trouver une maison d’édition est loin d’être simple. Un éditeur va regarder la qualité de votre manuscrit mais aussi et surtout le potentiel commercial qui se cache dans votre travail. Il faut bien comprendre que les éditeurs reçoivent énormément de textes. Signer un contrat signifie qu’il faudra se battre pour faire connaître un livre aux lecteurs et la concurrence est rude en littérature.
Dans un premier temps, il faut cibler des éditeurs dont la ligne éditoriale correspond un minimum au roman proposé. Ça évite de perdre du temps et de l’argent.
J’étais conscient qu’il est pratiquement impossible d’intégrer une grosse cylindrée de l’édition en France quand on est un illustre inconnu avec un premier roman. Dès lors, tout s’est bien passé pour moi. Avec “Avant-Propos“, j’ai rapidement trouvé un éditeur sérieux pendant que beaucoup d’auteurs doivent se lancer dans l’auto-édition.
Une fois le contrat signé, on corrige à nouveau le texte pour arriver au “bon à tirer“. L’éditeur gère certaines choses de son côté comme la couverture, la maquette, le choix du papier ou de la police de caractère. On communique quand des questions se posent pendant la conception du livre. J’imagine que chaque éditeur a sa façon de travailler.
Théoriquement, l’auteur et l’éditeur travaillent ensuite ensemble pour promouvoir le roman. Dans la mesure du possible, on cherche aussi à faire vivre le roman sur d’autres supports. Pour prendre deux exemples, "C’est dans la boîte" est disponible en livre numérique. En avril 2014, le roman a été propulsé dans le top 10 des meilleures ventes ebooks en France. Par ailleurs, une association basée à Grenoble (Crearc) a adapté le roman en pièce de théâtre. L’auteur et l’éditeur doivent donner un accord commun pour des initiatives comme celles-là.
Pour résumer, je dirais qu’on reste en contact pour s’informer mutuellement sur la vie du roman et, une fois par an, l’éditeur fait un relevé des ventes pour calculer les droits d’auteur.
Vous avez reçu le prix du Balai de la Découverte lors des Balais d’Or 2013…Expliquez-nous en quoi consiste ce prix.
Les Balais d’Or viennent de l’imagination de Richard Contin, un lecteur français passionné de littérature noire. Partant de son blog, il a réuni à sa table des blogueurs, des libraires, des bibliothécaires et des lecteurs pour promouvoir la littérature policière dans son ensemble. Chaque mois, des romans sont ajoutés à une longue liste de coups de cœur. Les Balais d’Or récompensent les grandes maisons d’édition mais aussi les plus modestes.
Recevoir ce Prix du Balai de la Découverte à Paris est un moment inoubliable pour moi ! Je suis vraiment fier d’avoir ramené ce trophée en Belgique et c’est une belle récompense pour les personnes qui m’ont fait confiance.
Comment assurez-vous la promotion de votre livre ?
Il faut être créatif. On quitte le rôle de l’écrivain pour un tout autre sport. D’une manière générale, il faut créer des opportunités et répondre aux sollicitations diverses (lecteurs, blogueurs, médias, librairies, salons).
Les réseaux sociaux sont de belles vitrines pour un artiste. J’ai notamment ouvert une page “Frédéric Ernotte (Écrivain)“ sur Facebook pour informer les personnes qui veulent me suivre et participer à l’aventure depuis le premier rang. Mon objectif est de rendre cette page vivante. Il y a des débats, des informations, des dates pour des rencontres, des jeux, des concours, etc. Pour vous donner un exemple, un lecteur m’a donné l’idée de reprendre le principe des photos avec le nain de jardin dans le Fabuleux destin d’Amélie Poulain. J’ai reçu une centaine de photos de mon roman dans des lieux ou des situations particulières. J’ai vraiment des lecteurs incroyables !
D’ailleurs, la principale promotion d’un roman vient des lecteurs. Le bouche-à-oreille peut faire des miracles et on en a vraiment besoin. En particulier quand le contrat avec l’éditeur stipule que l’écrivain doit acheter plusieurs centaines d’exemplaires de son livre et se débrouiller pour les vendre par lui-même.
Assurer la promotion d’un roman, c’est avant tout être accessible et réactif. On fait des interviews, des salons, des rencontres en librairies. On fait de la route et on voit du monde. Il faut convaincre en évitant à tout prix de harceler les gens.
Que vous apportent les rencontres avec les lecteurs, les foires, les séances de dédicaces ?
À mes yeux, ce sont des moments inoubliables. Parfois surréalistes ! L’écriture est une activité bercée de solitude. Tout à coup, vous voyez des gens se déplacer pour voir à quoi vous ressembler. Pour vous parler. Certains passent devant votre table sans vous voir. Sans répondre à votre “Bonjour“. D’autres vous posent mille questions. Certains visiteurs vous connaissent déjà. D’autres apprennent votre existence. Une séance de dédicaces est un match d’improvisation fait de surprises et d’incertitudes. C’est enthousiasmant !
Personnellement, je cherche surtout à m’amuser et à passer un bon moment. Ce sont des vacances. Des occasions pour rencontrer des lecteurs et d’autres auteurs. On se déplace évidemment pour vendre son livre mais il faut essayer de ne pas faire une fixation sur ses chiffres. Je préfère demander aux personnes qui s’arrêtent devant moi comment elles vont. On discute de la lecture dans l’enseignement. Du prix des livres. De la région dans laquelle on se trouve. De romans qu’on aime. Du monde de l’édition. Des projets, etc.
Je ne vais pas vous mentir ; un salon, c’est éprouvant. On fait des kilomètres. On quitte son rôle d’écrivain pour devenir le porte-parole de son propre travail. C’est loin d’être simple mais relever le défi est agréable.
Selon vous, est-ce que l’on peut vivre de ce métier en Belgique ou est-il nécessaire d’avoir un autre job ?
Beaucoup d’appelé(e)s et peu d’élu(e)s… L’écriture n’est pas une science exacte et c’est une équation à plusieurs inconnues. Il faut beaucoup de courage et de chance pour en faire son unique métier. J’ai de l’admiration pour les auteurs qui ont en eux la folie nécessaire pour y croire et le tenter. Je suis sans doute trop terre-à-terre pour ça. Je suis perfectionniste et s’il me faut plusieurs années pour concrétiser un projet, je les prendrai sans hésiter. Je mets énormément d’énergie dans mes projets littéraires en gardant à l’esprit que ce n’est pas ce qui me permet de payer les factures. Loin de là ! Sans entrer dans les détails, je peux vous dire trois choses. Un auteur touche plus ou moins 10% (hors taxe) du prix de vente de son livre. Vendre 1000 exemplaires d’un premier roman est un exploit. Et, vous vous en doutez, écrire un livre ne se fait pas en un mois. Vivre de l’écriture ? Ou pas…
Mais vu que je suis quelqu’un d’optimiste, je pense qu’il y a quand même une once d’espoir. Une fois un livre publié, ce sont les lecteurs qui ont les cartes en mains. À eux de décider si un auteur peut consacrer son temps à les faire voyager ou non.
Quelles sont, selon vous, les qualités à posséder pour devenir écrivain ?
Avant tout, il faut avoir une certaine habileté avec les mots et être passionné. Un écrivain est aussi quelqu’un de curieux et d’observateur. Il faut avoir beaucoup d’imagination et le goût du partage. Une force de travail colossale. Pour transporter les gens dans son histoire, il faut une certaine empathie et du respect pour les lecteurs.
Je pense que rester simple et humble ne peut pas faire de mal. Il faut du courage pour affronter les embûches, de la patience et une persévérance à toute épreuve.
La cerise sur le gâteau est d’être bien entouré.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui rêvent d’exercer ce métier ?
“Keep moving forward !“ Le milieu littéraire est relativement éloigné du monde des Bisounours. Envoyer un manuscrit à un éditeur, c’est prendre un risque. Je conseillerais aux personnes qui veulent se lancer dans l’écriture de ne pas se rendre malades pour ce qui ne dépend pas d’eux.
Faire l’unanimité n’est pas possible. Il faut travailler. Énormément travailler et prendre le temps qu’il faut pour écrire une histoire qu’on aimerait avoir entre les mains. Il ne faut pas écrire pour être célèbre et/ou riche. Il faut avant tout le faire parce qu’on aime ça. Ça permet de relativiser beaucoup de choses.
Mon principal conseil est de vivre. Quand on oublie ça, on n’a plus rien à raconter.
Un deuxième roman en préparation ?
Effectivement. Je travaille sur un nouveau projet en quittant provisoirement le terrain du thriller. J’aime prendre des risques et surprendre. On ne se refait pas…