Mr Hervé Filleul, Artisan chocolatier
Interview réalisée en avril 2006 |
Comment s'est déroulé votre parcours ?
Dès l'âge de 15 ans, j'ai commencé un circuit d'apprentissage de boulanger-pâtissier. Ensuite, j'ai poursuivi une spécialisation à Bruxelles en chocolaterie, glacerie et confiserie.
Pour des raisons de santé, après 6 ans de pratique, j'ai arrêté la boulangerie. La seule présence d'un pétrin à mes côtés provoquait chez moi des crises d'asthme. Afin de rester dans le domaine et néanmoins préserver ma santé, j'ai suivi un CAP pour devenir professeur, ce que je suis devenu dès l'âge de 21 ans. Après quelques années d'enseignement, le manque d'activités professionnelles de terrain se fait sentir.
Le passage d'une activité intense en boulangerie vers l'enseignement marquait aussi un changement important de rythme d'activités. C'est alors que se présente l'opportunité de racheter une petite chocolaterie en Flandres, dans un local aussi petit qu'un garage. A cette époque, j'assume parallèlement les deux activités, la journée je transmettais mon savoir aux élèves et le soir je pratiquais dans ma petite chocolaterie artisanale en tant qu'indépendant complémentaire.
Quelles furent les difficultés rencontrées ?
La gestion du développement de l'entreprise n'a pas été facile, l'évolution était très rapide. Après 6 mois d'existence de l'atelier "Couleur Chocolat", j'ai eu l'opportunité d'occuper un espace plus grand pour la production, qui comprenait de surcroît un espace magasin. Cette boutique était installée dans un tout petit village de 400 habitants. J'ai dû faire un choix entre l'enseignement et la chocolaterie, le rythme de travail que m'imposaient des nuits ne dépassant pas 4 heures de sommeil devenait intenable.En août 2005, mon choix s'oriente vers la chocolaterie et l'évolution de celle-ci m'oblige à nouveau à changer de local.
Aujourd'hui, je suis installé au sein d'une rue commerçante de Thuin et ai élargi l'offre des produits à la glacerie. Cette décision a permis d'installer un équilibre financier en combinant la production de glace, plus intensive durant les périodes chaudes, et celle du chocolat durant les mois plus froids et la période des fêtes. La nécessité d'augmenter la production pour répondre au mieux à la demande se fait à nouveau sentir. Les perspectives sont, encore aujourd'hui, de changer à nouveau le lieu de production pour en augmenter la capacité tout en gardant la boutique de distribution à Thuin.
Cette adaptation forcée vous a-t-elle permis néanmoins de garder un lien avec votre formation de base de boulanger-pâtissier ?
Oui, puisqu'aujourd'hui, il n'est pas rare que je réalise des gâteaux mais ceux-ci sont en glace et en chocolat.
Votre souci majeur, depuis votre choix de vous concentrer sur la chocolaterie, a surtout été de répondre à l'augmentation permanente de la demande. Cela veut-il dire qu'il y a trop peu d'artisans chocolatiers sur le marché ?
Le public est à la recherche de valeurs artisanales après la génération foisonnante des fast-food et les nombreux problèmes sanitaires liés aux productions animalières tels que la vache folle, la dioxine, etc. La méfiance envers la restauration rapide s'est renforcée et a poussé la population à rechercher et à miser son capital confiance sur l'artisan. Mais le secteur de la chocolaterie reste un secteur fermé et n'offre pas de grandes perspectives d'emploi.
Être artisan soucieux de la qualité n'impose-t-il pas des contraintes particulières pour répondre aux attentes de ce public ?
La traçabilité d'un produit est une dimension primordiale dans la réalisation d'un produit, d'autant plus si la notion de qualité est hautement recherchée. La mise en place de ce processus n'est pas simple. Pour y parvenir, j'ai obtenu l'aide de la faculté de Gembloux qui m'a aidé à mettre en place une logique de production. L'emplacement des machines n'a pas été pensé au hasard par exemple. Le choix des matériaux pour la construction de l'atelier a également été soumis à une analyse précise.Tous les produits de base, tous les éléments qui composent ma production ont été soumis à une analyse précise et, aujourd'hui, lorsque je produis une de mes spécialités, la praline à l'eau de Villée, je connais avec précision la date de fabrication et avec quel chocolat et autres matières premières elle a été fabriquée. Il s'agit d'installer une rigueur permanente et ça, c'est ma force.
Comment avez-vous appris l'existence de ces aides à la mise en place sur le plan de la qualité ?
L'AFSCA est un organisme qui contrôle tous les aspects liés à l'hygiène et à la traçabilité des produits par sa mission d'observation et d'intervention pour la délivrance du certificat d'autorisation de la mise en commerce de denrées alimentaires. Cette autorisation nécessite un contrôle rigoureux de leur part. Pour ce qui me concerne, je n'ai pas attendu leur intervention mais ai pris les devants en interpellant la faculté de Gembloux dans cette mise en œuvre du système qualité.
La connaissance de ces règles vient de la formation que j'ai dispensée à mes élèves et des recherches que j'ai effectuées dans le souci de transmettre moi-même l'information et attirer leur attention sur ce point fondamental. Cette aide octroyée par la faculté de Gembloux est accessible à tous ceux qui désirent s'installer, je conseille aux jeunes de le faire sans hésitation.
Les normes de qualité sont-elles récentes ?
Elles sont récentes et trop méconnues. C'est préjudiciable à la réputation de nos produits. Si j'ai fait tant d'efforts sur la question des normes de qualité c'est aussi pour préserver au mieux la notoriété du chocolat belge et profiter de celle-ci pour valoriser mes propres productions. L'exportation dans un pays européen exige la présentation d'une fiche technique du produit, ce qui justifie la pertinence et l'efficacité de processus de traçabilité.
La formation que vous avez suivie au départ vous semble t-elle suffisamment complète pour ce que vous faites aujourd'hui ?
Malheureusement le décalage entre la production en entreprise et les ateliers d'apprentissage à l'école est important. Il est indispensable de suivre de près l'évolution du métier, ce qui n'est pas aisé pour les formateurs, certes, mais qui serait néanmoins indispensable pour diminuer le fossé entre les deux mondes. Les bases sont acquises à l'école mais tout le savoir-faire affiné et adapté à l'évolution des produits et à la production s’acquiert sur le terrain professionnel. Mais ce constat ne représente absolument pas un obstacle pour arriver à ses fins sur le plan professionnel, ce qui est très important c'est la volonté, la motivation, cela doit dépasser la passion. Il y a une réalité imposante dans le métier qui va au delà de la passion. Fabriquer des truffes cela veut dire que l'on se met à en faire plus de 50 kilos. En chocolaterie nous vivons la répétition du geste, il faut savoir l'accepter et ce, sur le long terme. Un travail répétitif, pour qu'il ne devienne pas routinier, doit s'adjoindre la créativité. Une fois la maîtrise de la matière acquise, on peut la transformer en n'importe quoi, que ce soit une figurine ou une robe en chocolat, l'utilisation de l'aérographe ou une peinture. Cela nous permet de nous déconnecter du travail répétitif et monotone. Il y a le travail ordinaire et quotidien d'une part et la dimension plus créative d'autre part, qui permet aux jeunes stagiaires de s'accrocher.
Vous évoquez la dimension créative que vous exploitez largement, comment avez-vous développé cet aspect ?
Sur le plan des saveurs, nous produisons à la fois une gamme classique et une gamme plus originale, surtout en période de fêtes. Nous créons des goûts spéciaux comme une praline à la Chimay bleue, au fromage de chèvre et raisin à l'armagnac, le caramel au pavot, une menthe poivrée, une praline à la muscade, au beurre de cacahuètes, etc. Cela permet de bousculer les habitudes et de faire prendre conscience aux gens que le chocolat peut se marier avec énormément de saveurs différentes. L'élaboration d'une nouvelle recette nous demande parfois de travailler durant 6 mois avant d'aboutir au résultat attendu.
Comment se développent de tels produits ?
Il n'y a pas de méthode précise, cela peut venir d'un hasard de rencontre de saveurs, jusqu'à l'utilisation de produits régionaux. C'est une démarche très expérimentale, mon laboratoire ce sont mes papilles. Nous observons les réactions des clients, les fêtes sont très propices à cette observation, c'est une période durant laquelle le client recherche l'originalité, la surprise à offrir aux convives.
Toutes les fêtes ne sont pas propices aux expressions créatives des saveurs. Pour les fêtes de Pâques, nous nous concentrons sur le désir et le plaisir des enfants. Il n'est plus question de proposer la praline à la Chimay Bleue ! Parallèlement à la dimension gustative, il y a le versant visuel qui n'est pas des moindres selon mon point de vue. J'accorde une attention très particulière à la brillance, aux formes du produit, à l'aspect visuel qui peuvent susciter l'intérêt.
Jusqu'où poussez-vous la créativité au niveau des formes que vous donnez à vos produits ?
Je me suis fait aider par des designers pour développer des pralines moulées que l'on ne trouve qu'ici. Nous colorons également les pralines. Pour la Suisse, je produis une praline orange, c'est une demande de leur part d'obtenir un produit typique, de même je leur fournis une praline à la gentiane. C'est une saveur typiquement suisse très appréciée chez eux.
Les réalisations très sophistiquées nécessitent une main d’œuvre importante et un coût de production élevé. Tout est possible en réalité. Depuis 2002, je réalise des robes en chocolat dans le cadre de représentations au sein de salons. Tout a commencé au festival du chocolat pour lequel le responsable m'a demandé d'assurer une animation et, plus précisément, de réaliser une robe sur un mannequin. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu'en fait de mannequin, il s'agissait non pas d'un objet, mais d'une jeune fille. J'ai obtenu l'aide d'une styliste pour réaliser une structure de base permettant de soutenir le chocolat.
Dans ce type de réalisation, il faut tenir compte de la chaleur du corps qui influe sur la texture du chocolat et de bien d'autres paramètres qui complexifient la réalisation du projet. Cette expérience très stressante fut néanmoins une belle vitrine. Nous avons été repérés et régulièrement interpellés pour ce type de création. Depuis, j'ai réalisé près de 150 robes en Belgique, en France, en Angleterre et en Suisse. Ces salons suivent les thématiques liées au chocolat ou à la mode. Le commanditaire est soit un styliste qui veut agrémenter un défilé de mode, soit un grand producteur en chocolat qui sponsorise un défilé. Ces créations ne sont pas accessibles au public, le coût de réalisation est beaucoup trop élevé.
Vous avez développé l'exportation de vos produits, comment vous êtes-vous lancé ?
Auparavant, je n'imaginais même pas qu'un ballotin de pralines pouvait aller jusqu'à Bruxelles, je craignais les conséquences du voyage sur la qualité des produits. Je me suis renseigné auprès de l'AWEX (l'agence wallonne à l'exportation et aux investissements étrangers) qui m'a appris qu'il existait des transporteurs avec remorques climatisées. J'ai pu me rendre compte également que tout était bien pris en charge par le transporteur. Les choses étaient donc beaucoup plus simples que je n'osais l'imaginer. Les perspectives d'avenir sur la question sont de poursuivre la distribution sur la Suisse mais également d'investiguer l'exportation vers la Pologne. La France et l'Espagne ne sont pas propices pour moi, la France est déjà abondamment desservie par le chocolat belge et l'Espagne n'offre que peu de facilité, à cause du climat notamment.
Quelles sont les qualités professionnelles nécessaires pour votre métier ?
La patience, l'attention et la réflexion.
En tant qu'indépendant, quelles sont les difficultés rencontrées ?
Travaillant sur un produit alimentaire, nous devons tenir compte de la spécificité de celui-ci. Nos horaires sont réguliers certes, mais ils varient fortement selon les périodes. Les fêtes exigent une production soutenue, il m'est arrivé de travailler près de 35 heures sans arrêt. Cette mobilisation influe sur la vie de famille. Le soutien de l'environnement familial est nécessaire à l'équilibre de l'individu.
L'investissement financier de départ est-il important ?
L'idée qui consiste à croire que les indépendants gagnent beaucoup d'argent est réductrice. Bon nombre d'échecs sont liés à une gestion financière approximative et fragile. Il ne faut pas hésiter à se faire aider par les organismes existants qui sont là pour aider à s'installer sur le plan financier et juridique mais également sur le plan médiatique.
Comment se déroule une journée type ?
J'arrive avant le personnel et je prépare les machines. Nous démarrons la production vers 8h et faisons une pause à midi et ce, durant au moins une heure. Travailler durant des heures dans une atmosphère telle que celle-ci n'est pas évident, il est impératif de "changer d'air". Notre journée se termine vers 18h. Toutes les commandes sont enregistrées jusqu'à dimanche midi. Le lundi, nous démarrons l'organisation qui nous permettra d'honorer l'ensemble des commandes. Une fois la journée terminée, je poursuis par une gestion administrative de l'entreprise.