Mr Hugues d’Ydewalle,
Fundraiser/Collecteur de fonds, Cofondateur de l’ASBL "Give Wisely" et de la plateforme fundraisers.be

Interview réalisée en janvier 2016

Comment définiriez-vous le rôle d’un fundraiser, d’un collecteur de fonds ?

Le responsable de collecte de fonds est avant tout un mobilisateur de générosités (au pluriel !) : dons, legs (transmission à titre gratuit d'un ou plusieurs biens du défunt, faite de son vivant par testament, mais qui ne prendra effet qu'à son décès), compétences mises à disposition (mécénat de compétences), dons d’entreprises, etc. Il y a une large palette de formes de générosités qui peuvent être encouragées par l’implication du collecteur de fonds, plus communément appelé "fundraiser" dans le langage anglo-saxon.

Pouvez-vous nous présenter le travail de "Give Wisely" ? Et la plateforme fundraisers.be ?

L’ASBL "Give Wisely" a été créée dans le but principal de soutenir la réflexion de donateurs qui souhaitent donner intelligemment, en réfléchissant aux choix de causes bénéficiaires. En résumé : "donner malin". Cependant, dans les faits, cet axe est moins développé que l’axe fundraising en lui-même. Nous soutenons la professionnalisation et les compétences des personnes actives en collecte de fonds, essentiellement dans les petites et moyennes associations qui n’ont pas accès aux ressources des plus grandes organisations. Nous organisons des formations de base, des séminaires spécialisés et nous animons un site internet d’information sur l’actualité de la collecte de fonds en Belgique et sur des aspects pointus en termes de méthodes et techniques de collecte. Sur cette plateforme, fundraisers.be, nous publions le baromètre annuel de la générosité publique. Il s’agit d’une estimation de l’évolution des dons et legs.

Quel poste occupez-vous au sein de cette ASBL ?

Je suis cofondateur de "Give Wisely" et animateur principal suite à ma longue expérience dans la collecte de fonds. Je sers de trait d’union entre des détenteurs de compétences ou d’expériences significatives et des demandeurs de compétences similaires, des jeunes collaborateurs d’associations à qui l'on confie une mission dont ils ne maîtrisent pas encore tous les aspects techniques. C’est un partage d’expériences très riche et les collecteurs de fonds, tout en étant concurrents, sont heureux de participer à ces échanges. Je mène également, en équipe, une réflexion sur l’éthique de la collecte de fonds, visant à rassembler les attentes des donateurs face aux messages d’appels de fonds qui dans certains cas leur paraissent peu éthiques ou trop agressifs. C’est une ébauche de dialogue avec les donateurs.

Qui sont les acteurs du projet "Give Wisely" ?

Nous sommes une petite cellule de trois personnes à porter ce projet, toutes bénévoles. Les deux autres personnes sont actives dans le domaine de la communication et de la direction d’ONG (Organisations Non Gouvernementales). Nous faisons également appel à de nombreux conférenciers issus du secteur commercial ou fundraisers expérimentés, qui interviennent bénévolement également.

Quel a été votre parcours scolaire ?

J’ai suivi des secondaires en grec-latin. Je ne savais pas du tout ce que je voulais faire par la suite et je me suis inscrit en droit à la faculté Saint-Louis à Bruxelles. J’ai alors entendu parler de l’ouverture d’un bachelier en économie et j’ai changé d’orientation car cela me semblait plus attractif, comprenant de la sociologie, de la philosophie, de l’économie, etc. C’est un peu le hasard qui a fait de moi un économiste, mais j’y ai pris goût durant mes études. J’ai poursuivi par un master en économie appliquée orientation marketing à l’UCL (Université Catholique de Louvain), en passant par une année en néerlandais à la KUL (Katholieke Universiteit Leuven).

Vos études vous ont-elles bien préparé à exercer votre métier ?

Oui ! La formation marketing, adaptée à la base pour des emplois dans le secteur commercial, m’a fortement aidé à introduire ces méthodes dans le système associatif, qui est parfois frileux face à ces procédés.

Quel a été votre parcours professionnel ?

J’ai travaillé huit années dans le monde associatif en dehors du marketing, dans la lutte contre la pauvreté. J’ai participé au lancement d’ATD Quart Monde en Belgique, dont la priorité est de permettre aux plus démunis de s’exprimer collectivement. J’ai rejoint la Fondation Roi Baudouin au moment de sa création, dans le cadre de programmes de lutte contre la pauvreté du CPAS (Centre Public d’Action Sociale) de Soignies et de lutte contre le surendettement au CPAS de La Louvière. Ensuite je me suis immergé dans le fundraising pour le reste de ma carrière. J’ai travaillé pendant plus de trente ans au sein d’équipes de collecte de fonds ou dans la coordination de ces équipes dans un nombre significatif d’ONG : Fondation Damien, Médecins Sans Frontières, Fondation contre le Cancer, Croix-Rouge de Belgique, Caritas, Memisa, etc. Il s’agissait toujours d’associations actives dans le secteur social et/ou humanitaire. Au terme de ce parcours professionnel, étant déçu de constater que seules ces grandes ONG avaient accès à l’expertise pointue du métier, j’ai souhaité encourager la diffusion et l’échange de ces compétences au bénéfice de plus petites associations.

Auprès de qui et comment collecte-t-on des fonds ?

Le défi au quotidien consiste à consolider une diversité d’opérations de collectes : organisation de ventes (par exemple, la campagne nationale annuelle de vente de feutres pour la Fondation Damien), organisation de mailings de prospection de nouveaux donateurs et mailings de fidélisation des donateurs déjà répertoriés dans la base de données, encadrement d’évènements caritatifs (galas, etc.), encouragement du mécénat d’entreprise, de fonds ou de fondations divers, et enfin promotion des legs. Le travail concerne tous ces moyens de collecte auprès de particuliers ou d’entreprises, à l’exception de la recherche de subsides auprès des pouvoirs publics, qui demande des compétences et des techniques d’approche différentes. Au sein des grandes ONG, ce sont les gestionnaires de projets eux-mêmes qui introduisent des demandes de subsides auprès de la Coopération belge au développement.

Quels sont les éléments qui vous ont motivé dans vos choix d’orientation professionnelle ?

J’ai terminé mes études à une époque de militantisme, où une partie importante du monde estudiantin se mobilisait contre des inégalités sociales diverses. J’ai notamment participé à une grève de la faim d’une durée de treize jours. Ces convictions m’ont poussé à rejoindre ATD Quart Monde et d’autres associations qui entendaient poursuivre de manière professionnelle cet engagement militant. Par la suite, c’est l’envie d’utiliser mes compétences en marketing qui m’a conduit vers la collecte de fonds, avec une volonté d’être professionnel dans cette démarche. Ce cheminement a été fortement encouragé par mon passage à la Fondation Roi Baudoin, qui souhaitait recruter des personnes pouvant introduire de l’innovation dans le secteur associatif.

Avez-vous des exemples de collaborations/partenariats de travail avec d’autres ASBL ou entreprises, le monde politique, l’administration, la presse, l’enseignement, etc. ?

Pour l’Action Damien, il y a un travail intensif d’identification et de suivi d’écoles et de groupements comme les mouvements de jeunesse. Le projet a besoin de jeunes susceptibles de se mobiliser dans une campagne nationale (vente de marqueurs au profit de la lutte contre la lèpre et la tuberculose). Pour Médecins Sans Frontières, il y a eu des partenariats avec un groupe de presse belge (Roularta), visant à mobiliser un club d’entreprises sous le label "Entreprises pour MSF", à l’occasion d’une crise humanitaire majeure (génocide au Rwanda et épisode de choléra à Goma). Chez Caritas International, le partenariat porte sur des collaborations bénévoles d’agences de communication qui mettent leurs créatifs à disposition pour la réalisation de clips vidéo (pour une campagne annuelle ou une opération d’urgence). J’ai pu contribuer au lancement du Consortium 1212 (six grandes organisations humanitaires (Caritas International, Médecins du monde, Handicap International, Oxfam Solidarité, Plan Belgique et Unicef Belgique) réunissent leurs efforts dans le Consortium belge pour les Situations d'Urgence), pour les appels d’urgence. Six ONG y mettent en commun leurs carnets d’adresses afin de mobiliser ensemble tous les médias belges pour renforcer l’impact d’un appel lié à une urgence humanitaire. Il y a de nombreuses synergies. Avec les organismes membres de l’Association pour une Ethique dans la Récolte des Fonds, nous avons interpellé le monde politique pour militer en faveur de mesures visant à stimuler la générosité publique. Par exemple, nous avons obtenu la suppression de la taxation sur les legs en faveur de causes humanitaires.

Quels sont les horaires de travail d’un fundraiser ?

C’est un métier qui demande une grande disponibilité pour des contacts en dehors des heures de bureau (conférences, soirées d’encouragement au bénévolat, organisation d’évènements caritatifs en soirée ou en week-end, etc.). Comme il invite ses interlocuteurs à se mobiliser en âme et conscience, le fundraiser ne peut pas se permettre d’avoir une démarche purement technique. Il doit lui-même s’engager pour faire preuve de ses convictions et montrer l’exemple. Le côté militant du métier impose une grande disponibilité horaire et le souci permanent de l’indispensable réussite de sa mission. Sans cette implication, les bénéficiaires de la cause souffriront directement des conséquences.

Il est aussi important de noter que peu de personnes travaillent à temps plein dans ce domaine, à peine plus d’une centaine en Belgique. A côté de cela, il y a de nombreuses personnes chargées de gérer ou coordonner une ASBL dans laquelle il y a une importante composante fundraising qu’ils exercent à temps partiel.

Quels sont les aspects positifs de votre métier ?

En termes de richesse de contacts, il offre d’énormes opportunités. C’est passionnant de travailler avec des personnes ouvertes à l’engagement, la mobilisation, la solidarité, etc. Il y a une aussi grande diversité et variété dans ces rencontres, nous sommes amenés à débarquer dans certains "services clubs" (organisations dont les membres partagent les mêmes valeurs), à aborder des chefs d’entreprise, à nous rendre au domicile de particuliers qui songent à faire un legs, etc. J’ai aussi personnellement apprécié accompagner des associations innovantes, qui participent à l’accélération des mécanismes de solidarité, tant en Belgique qu’au niveau international. Historiquement parlant, tout ce qui a été acquis aujourd’hui a, à l’origine, été mis en place par des actions philanthropiques et citoyennes avant d’être repris par des autorités publiques. Le secteur associatif a un rôle pilote à jouer, notamment dans la sensibilisation politique.

Et les aspects plus négatifs ou plus difficiles ?

En plus de l’investissement temps et disponibilité, le métier est souvent perçu comme stressant car il demande beaucoup d’énergie pour des résultats en grande partie aléatoires. De plus, il n’est pas très bien payé et est assez dur sur le long terme, ce qui engendre un grand turn-over dans la profession. Même s’il y a peu de postes à temps plein, il y en a fréquemment à pourvoir par manque de personnes qualifiées, c’est un métier en pénurie. On constate un grand jeu de chaises musicales car quand une ONG recherche un fundraiser très compétent, elle débauche un profil chez un concurrent, et ainsi de suite. On peut parfois aussi être découragé par la concurrence incompréhensible entre de nombreuses causes dont l’objet social est similaire et qui auraient intérêt à collaborer ou fusionner. Le rapprochement est souvent récusé, ce qui peut être difficile à vivre pour celui qui essaye de rationaliser la collecte de fonds. Notre rôle est d’orienter l’association vers une stratégie réaliste : il faut investir financièrement dans le processus de collecte. Les administrateurs sont parfois cependant trop prudents et n’osent pas y mettre le budget. A l’autre extrême, certains versent dans l’excès par des opérations de prospection paracommerciales très couteuses : mailings misérabilistes produits par des sociétés commerciales sous-traitantes. Dans ce dernier cas, les frais sont énormes, le message souvent mensonger, les techniques employées très/trop commerciales. Selon moi, la communication doit rester à la fois éthique et efficace. En Belgique, la législation prévoit d’ailleurs que les frais d’une collecte de fonds ne peuvent excéder 30% de la recette.

On entend beaucoup parler actuellement de Crowdfunding (Le Financement Participatif) via le Web, quelle est votre opinion sur ce nouveau mode de financement ?

En pratique, en Belgique, un nombre très limité d’initiatives tirent parti des réseaux sociaux et du crowdfunding pour stimuler l’appel à la générosité auprès de nouveaux publics. Il existe des plateformes de dons en ligne propres à certaines ONG (par exemple Oxfam), d’autres plateformes communes à plusieurs organismes. Il y a des perspectives très intéressantes de mobilisation des donateurs via les réseaux sociaux (Facebook et autres). Mais, en termes de crowdfunding, les résultats en faveur de finalités humanitaires ou sociales sont malheureusement peu encourageants chez nous, au contraire de la France où cela décolle très bien. On constate que le donateur belge reste fortement dépendant du virement papier qu’il reçoit dans son courrier.

Quelles compétences faut-il posséder pour travailler dans la collecte de fonds ?

Il faut des compétences dans la communication (expression orale et écrite). Il faut être capable de rédiger des textes mobilisateurs, adaptés au média employé et au public ciblé. Des études supérieures dans les domaines de la communication ou du journalisme peuvent s’avérer extrêmement utiles. Un économiste ou gestionnaire de formation peut exercer le métier, à condition d’être capable de rédiger correctement. Des études ou compétences dans le domaine des relations publiques sont également intéressantes, notamment dans le suivi personnalisé des donateurs les plus généreux qu’on appelle "Major Donors" dans le jargon. Cette activité demande énormément de qualités relationnelles, de mise en confiance progressive, d’être capable d’offrir des garanties de crédibilité. Dans l’organisation évènementielle (par exemple les 1000 km à vélo pour la Fondation contre le cancer en Flandre : Stichting tegen Kanker), on retrouvera des compétences plus commerciales ou marketing. Il y a différentes portes d’entrée : communication, relations publiques, économie, marketing, commerce. Le tout est d’acquérir sur le terrain les compétences manquantes pour compléter le profil. La collecte de fonds basique ou ponctuelle (pour des petits projets, des petites structures) ne demande pas nécessairement des compétences spécifiques, à part du bon sens et de l’organisation. Quand on monte en puissance, ça devient plus pointu et exigeant. Il faut aussi hiérarchiser les priorités et être méthodique dans le respect du plan d’action, avec des groupes cibles et l’utilisation limitée de méthodes privilégiées. Sans quoi on se disperse trop. Le bilinguisme est également impératif pour travailler dans les ONG, et l’anglais est important pour la compréhension de la littérature spécialisée et des séminaires internationaux.

Quel(s) conseil(s) donnez-vous à une personne qui souhaite se lancer dans ce type de carrière ou de projet ?

Je lui propose de s’orienter vers des options qui renforceront ses compétences en communication écrite et en expression orale (français, langues étrangères). Ensuite, choisir dans l’enseignement supérieur des formations de communication ou d’économie orientée marketing. Il faut aussi qu’il se donne très tôt l’occasion de côtoyer des associations. Il existe de nombreuses possibilités de mobilisation, de bénévolat. Cela lui permettra de vérifier la validité de son intérêt et de son engagement. Une fois en poste, il devra intégrer l’ABC de la collecte de fonds : publics cibles, méthodes appropriées à chaque public, etc. Je dis souvent "fundraising is about testing" : il ne s’agit pas d’une science exacte, il faut tester, essayer, évaluer l’impact et apprendre de ses erreurs. Autre concept à intégrer : "fundraising is FUN-raising". La proposition de mobilisation doit être fun, chouette. Nous ne sommes plus dans la culture d’inspiration chrétienne d’autrefois, où la charité constitue une obligation morale qui s’exerce dans la discrétion. Les jeunes générations se mobilisent aujourd’hui dans un contexte ou la solidarité se vit collectivement, avec un sentiment d’appartenance à un club.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.