Mr Ivan Guilmot, Ebéniste
Qu'est-ce qui vous a donné l'envie de faire de l'ébénisterie ?
Au départ, je désirais devenir artiste-peintre et suivre la voie parentale. Mais mon père m'a dissuadé d'entrer à l'académie car il estimait que le milieu académique ne me conviendrait pas. Je suis allé voir une exposition de meubles d'art et de sculptures sur bois et il m'est tout de suite apparu que je voulais faire mes études en ce sens. J'ai donc commencé très jeune, dès l'âge de 13 ans, et j'ai poursuivi ma formation jusqu'à l’École Supérieure des Arts de Saint-Luc. Ensuite, j'ai été retenu à titre honorifique par les Compagnons du tour de France. J'y ai présenté mon oeuvre de maîtrise et j'ai obtenu le titre de maître-ébéniste. J'en suis très fier. Je connais beaucoup d'ébénistes qui se disent maîtres et qui, en fait, ne le sont pas. La maîtrise n'est pas un titre que l'on se donne, c'est un titre que l'on reçoit.
Comment votre carrière a-t-elle commencé ?
Plusieurs ébénistes m'ont d'abord engagé comme sculpteur. Mais je gagnais trop peu d'argent pour continuer à vivre de la sorte. J'ai cherché du travail dans d'autres domaines et j'ai exercé plusieurs métiers, de camionneur à machiniste de locomotive. Après la journée, je continuais d'aider certains ébénistes qui me donnaient des pièces à sculpter. Au bout d'un certain temps, cette double vie est vraiment devenue trop dure et j'ai dû faire un choix. J'ai opté pour mon métier. Les débuts furent difficiles, mais je suis quand même parvenu à reprendre un atelier d'ébénisterie. En 1968, cet atelier est devenu ce qu'il est aujourd'hui, à savoir "L'Atelier d'Art Mosan". Parallèlement, je pratique des expertises pour les particuliers ou pour les tribunaux.
Quelle est votre manière de travailler ?
Ce qui compte dans un meuble, c'est l'architecture, l'équilibre et la construction. Au début, j'aimais des beaux meubles bien équilibrés, mais je ne savais pas le "pourquoi". Maintenant grâce à mon initiation tant philosophique que technique reçue au compagnonnage, j'ai pu comprendre le "pourquoi". Tous les meubles de mon atelier sont créés, non pas avec un mètre, mais avec un pied de Saint-Lambert. Cet instrument fait exactement 298 millimètres et constitue l'unité de mesure qu'utilisaient les maîtres du XVème siècle tels que Louis Lejeune. Au niveau du bois, je travaille uniquement avec du chêne de Haute-Marne pour créer du Régence mosan. Il s'agit d'une matière première de qualité optimale. En ce qui concerne le décor, il s'agit toujours d'une création. Vous ne verrez d'ailleurs jamais deux fois le même meuble dans mon magasin. Chaque meuble est une pièce unique, signée et dédicacée.
La création intervient en premier lieu dans votre métier ?
Oui, c'est un métier d'art. La frontière entre artisanat et art est parfois difficile à établir. Certaines personnes parlent d'artisanat d'art. Mais l'on se trompe en disant cela. Du moment où il y a créativité, le métier devient artistique. J'emploie deux hommes. Je les appelle des ouevriers plutôt que des ouvriers. Mais vous pourriez aussi les appeler des artisans parce qu'ils réalisent le meuble suivant mes plans et mes mesures. Par contre, ils ne savent pas pourquoi j'ai conçu l'armoire sur 298 millimètres plutôt que 300. Et pourtant ces deux millimètres donnent toute la différence entre un meuble de valeur et un meuble de construction banale. Il y a deux siècles, c'était exactement pareil. On pouvait avoir des meubles de menuisier, d'ébéniste ou de maître. Pour la même taille et le même nombre d'heures de travail, ces pièces avaient trois valeurs différentes.
Quel est le cheminement de création d'une pièce ?
Au départ, il y a le contact avec le client. Je l'écoute et je me rends à son domicile pour voir l'intérieur de sa maison. En fonction de ses goûts, de sa famille, de ses possibilités matérielles, je fais des projets que je lui soumets. Il va de soi que certains meubles sont plus élaborés que d'autres. Je fais toujours une comparaison très simple pour expliquer les coûts à mes clients. Admettons qu'il veuille une Mercédès, le prix est fixé à l'avance. Chaque option coûtera un supplément. Le principe est semblable pour un meuble d'art. D'abord, je dessine un projet susceptible de retouches en fonction des goûts du client. Ensuite, je fais un plan grandeur d'exécution. Après, il faut faire tous les gabarits. Commence alors la mise en ouvre du meuble avec les techniques d'assemblage des Compagnons du Tour de France. Le décor du meuble sera la dernière opération. Le tout prend énormément de temps. Pour une création récente, j'ai comptabilisé 392 heures de travail!
Vous travaillez toujours pour des particuliers ?
Oui, exclusivement. Un négociant vendrait mes meubles deux fois plus chers. Comme je ne travaille qu'avec des matières de premier choix pour créer du mobilier d'art, je ne peux pas me permettre de passer par l'intermédiaire d'un négociant.
Existe-t-il une voie à suivre pour se faire connaître ?
Quand j'ai repris cet atelier, personne ne connaissait l'art mosan, personne ne connaissait Yvan Guilmot. Dans toute réussite artistique, il y a 5 à 10% de don et 90 à 95% de sueur. Je conseille de travailler d'arrache-pied et d'exposer dès qu'une opportunité se présente. Pour ma part, je ne compte guère sur mon show-room qui se trouve dans une rue où il y a peu de passage. Par contre, chaque exposition génère des dividendes. J'ai heureusement eu l'occasion d'exposer en Belgique, à Paris, à Avignon, en Allemagne, et même aux Emirats !
Quels sont pour vous les avantages de votre métier ?
Je retire de mon travail des satisfactions que ne connaît pas un employé de bureau. Je ne m'ennuie jamais et, si je ne suis pas riche, je le suis au moins intérieurement.
Et les inconvénients ?
J'en vois deux. Le premier vient aujourd'hui de la difficulté à trouver de la main-d’œuvre compétente. Sortis de l'école, les étudiants sont considérés par l'Onem comme des ouvriers qualifiés. Pour moi, ils ne sont encore que des apprentis. Le deuxième désavantage concerne les difficultés financières. J'arrive très difficilement à boucler mon budget et je crains à tout instant de devoir tirer l'echelle. Les charges sont enormes. Je dois payer mes oeuvriers. Or, le prix des matières premières est tellement exorbitant que je n'ose même pas demander à mes clients le prix du prix.