Mr Louis-marie Trepan, Météorologiste
Interview réalisée en janvier 2005 |
En quoi consiste votre métier, qui peut paraître tout aussi attractif que mystérieux ?
Il s'agit de l'élaboration de prévisions météorologiques à partir de l'analyse de la situation de l'atmosphère à un moment donné. Nous faisons ce travail à partir des relevés effectués dans les trente stations réparties sur le territoire belge.
Toutes les trois heures, les mesures de la température, de l'humidité, des hautes et basses pressions, de la vitesse et de la direction du vent sont relevées automatiquement ou par un observateur sur place. Celui-ci ajoute la partie visuelle : nébulosité, type de nuages, visibilité, type de temps. Ces opérations sont effectuées dans le monde entier et reprises sur des cartes. A partir de là, on peut analyser un grand nombre de paramètres : l'importance des champs de pression, la localisation des fronts froids et chauds, les zones de conflit entre les fronts, les turbulences, les précipitations, les anticyclones et les dépressions, etc.
Quels outils utilisez-vous pour réaliser ces prévisions ?
Nous utilisons des moyens technologiques et informatiques puissants pour "faire tourner" des modèles de simulation qui nous permettent d'anticiper les phénomènes atmosphériques. D'ailleurs, depuis 1975, l'Europe a mis en commun des moyens humains et financiers en créant, en Grande-Bretagne, un Centre européen pour les prévisions à moyen terme qui affine les modèles et fait des recherches théoriques pour encore améliorer les performances de cette science en plein développement.
A l'IRM (Institut Royal Météorologique), nous nous limitons à réaliser des prévisions pour la Belgique et pour les zones limitrophes. Ces prévisions sont actualisées de façon permanente, ce qui permet des estimations fiables jusqu'à au moins cinq jours. Nous diffusons ces informations au monde entier, de la même façon que nous recevons les prévisions météo de tout le globe par le biais des milliers de stations installées sur la planète. Tous ces échanges sont régulés dans le cadre de l'Organisation Météorologique Mondiale, créée en 1947 par l'ONU.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces fameux modèles ?
L'IRM (Institut Royal Météorologique) a développé un modèle régional appelé "Aladin Belgique", dérivé du modèle "Aladin France". C'est ce qu'on appelle un modèle à aire limitée, exploité quotidiennement sur la zone Europe par quatorze autres pays membres. Il est complémentaire au modèle Arpège qui, lui, est utilisé pour établir des prévisions sur l'ensemble de la planète. On les appelle des "modèles de prévision numérique opérationnelle" traités par des machines de calcul hyper-sophistiquées et très onéreuses. Cela dit, la plus importante limitation d'un modèle est sa résolution spatiale. En clair, plus la surface pour laquelle vous voulez obtenir des prévisions est petite et plus les calculs seront importants (et les résultats moins fiables). Pour le moment, on utilise ces modèles pour effectuer des prévisions assez grossières, que des prévisionnistes vont ensuite interpréter de façon plus fine.
Très concrètement, comment êtes-vous organisés à l'IRM pour produire vos informations météo ?
Nous travaillons 24h/24 et nous diffusons quatre bulletins par jour : à 5h, à 11h30, à 16h et à 22h. Nous sommes répartis en huit équipes de 2 personnes et nous effectuons des roulements en alternant travail de jour et travail de nuit. Chaque prévisionniste choisit les modèles avec lesquels il aime travailler, l'important étant de fournir des prévisions fiables. Une fois le travail de synthèse résolu entre les simulations numériques et les relevés de terrain, nous encodons les résultats selon des formats standard.
Heureusement, nous travaillons la main dans la main avec les deux autres services officiels belges qui délivrent des informations météo : Belgocontrôle pour l'aviation civile et Wingmétéo pour l'armée. Deux fois par jour, nous organisons un rendez-vous tripartite et nous comparons nos données. Cela permet de limiter les erreurs d'appréciation ! Par ailleurs, une cellule interrégionale surveille la qualité de l'air et diffuse des bulletins d'alerte en cas de pollution ou de pic d'ozone, par exemple.
Pour quelle clientèle travaillez-vous ?
L'Institut Météorologique Royal a d'abord une mission publique. Il répond aux demandes des usagers, par téléphone, e-mail, site internet. Il édite des bulletins généraux pour les médias et les services officiels ainsi que des bulletins spécialisés pour des clients particuliers : Engie, les sociétés de travaux publics, le port d'Anvers, Distrigaz, le secteur agricole, etc., pour lesquels les conditions climatiques sont importantes.
Il nous arrive régulièrement de publier des avertissements ayant trait à des circonstances météorologiques extrêmes. Dans ces cas-là, nous mesurons encore plus notre responsabilité ! La clientèle privée s'est beaucoup développée ces dernières années, sans doute parce que les prévisions sont de plus en plus justes. Ce qui fait également l'affaire de sociétés privées qui font commerce des prévisions météo supposées "pointues" à l'intention de clientèles ciblées ou de supports de presse. Il suffit d'acquérir tel ou tel modèle et de monter son site internet !
Quelles qualités faut-il avoir pour faire ce métier ?
Il est nécessaire de faire preuve de grandes capacités d'adaptation et de sang-froid car chaque jour vous apporte son lot d'imprévus. Un exemple : un matin, les sorties de modèles n'arrivaient pas, suite à une panne informatique et le client s'impatientait ! Autre cas rencontré récemment : une tempête de neige s'annonçait et j'ai dû prendre la décision d'une alerte rouge pendant la nuit. En vrac, il faut également avoir le goût de l'observation, un bon bagage scientifique, l'esprit d'équipe, une certaine modestie pour faire son auto-évaluation permanente, sans oublier la volonté de développer ses connaissances car la météorologie est une science en mouvement !