Interview anonyme,
Juge de la Jeunesse
Interview réalisée en janvier 2004 |
Quelles sont les qualités qui vous paraissent indispensables dans l'exercice de votre profession ?
Etre à l'écoute et faire preuve d'une grande capacité d'adaptation pour se mettre à la place de l'autre. Cela implique le respect de la personne, la patience, la disponibilité et une grande ouverture d'esprit. Quant aux qualités professionnelles : le sens de l'organisation, une bonne mémoire pour passer d'un dossier à un autre, un esprit de décision rapide et une capacité à appliquer des mesures d'urgence.
Choisit-on de devenir juge de la Jeunesse ?
Non, le juge de la Jeunesse est nommé. J'ai effectué mon premier mandat "par obligation". Ce n'est qu'après que j'ai décidé de rester. Mais, j'avoue qu'au départ ce choix n'était pas absolument motivé par des préoccupations d'ordre professionnel mais plutôt d'ordre familial et de convenance personnelle.La matière ne m'intéressait pas du tout. J'avais effectué un stage au Parquet de la Jeunesse et les moyens d'actions dont il disposait m'apparaissaient sans ressources véritables.
Ce n'est qu'au fur et à mesure que le métier a commencé à me passionner. L'approche humaine est intéressante. Les résultats, qu'ils soient positifs ou négatifs, apparaissent comme des éléments très motivants dans l'exercice de ma profession puisque ce sont eux qui forment au métier.
Que retirez-vous de la rencontre avec les jeunes ?
Leur énergie et leur audace sont stupéfiantes. Elles doivent être canalisées ou orientées. Les jeunes sont étonnants de spontanéité. Je reçois souvent une bonne leçon d'optimisme lorsque certains jeunes réussissent, même pour une petite période, à évoluer, à dépasser la situation de vie qui les a amenés au tribunal.
Quelles sont les difficultés du métier ?
Par rapport aux jeunes en danger, les parents posent souvent problème parce qu'ils sont peu clairvoyants vis-à-vis de la situation vécue par leur enfant et refusent dès lors l'aide que nous leur suggérons. Il faut convaincre les gens, les amener ici au tribunal et l'autorité que je représente fausse les données de la relation. Il y a une réelle difficulté de mise en confiance. Les responsabilités sont énormes: c'est nous qui décidons s'il est préférable pour un enfant d'être élevé dans sa famille ou ailleurs.
Comment organisez-vous votre travail ?
Les matinées (environ 40% de mon temps de travail) sont réservées aux entretiens avec les jeunes et leur famille. Je consacre les après-midi à la lecture des rapports et aux entretiens, surtout téléphoniques, avec les institutions, les centres et mes collaborateurs (environ 20% de mon temps de travail). Il reste les tâches administratives : 10%. Quant aux jugements eux-mêmes, ils occupent plus ou moins 30% de mon temps.
Vous parlez des responsabilités du juge ? Est-ce cela qui "en effraie plus d'un" ?
Il est vrai que certains magistrats sont effrayés par les responsabilités qui incombent aux juges de la jeunesse comme celle de décider si un mineur relève ou non de la sphère de la justice et comment savoir aussi que les moyens dont dispose le tribunal sont faibles ; être conscient qu'un enfant placé risque de devenir un assisté toute sa vie et que, si tout est tenté pour lui dans sa jeunesse, il risque à sa majorité (dix-huit ans), d'être "lâché" dans la nature même s'il n'en est pas capable. Tous ces éléments sont certainement difficiles à assumer.
La rapidité à devoir prendre des décisions désoriente également. De plus, il existe un a priori à l'égard de tout ce qui touche au psychosocial. La matière est mal connue et mal préparée et, en fin de compte, il y a très peu de droit.
Est-ce que cela revient à dire que la formation en droit est peu appropriée pour exercer cette fonction ?
A mon avis, la meilleure formation est le droit suivi d'une spécialisation en criminologie. Il est vrai que la formation en droit envisagée seule manque d'axes psychologiques, par exemple. Elle est néanmoins indispensable parce qu'elle prépare aux prises de décisions. Et dans le cas d'un Juge de la Jeunesse, c'est de cela qu'il s'agit et non d'élucubrations. C'est pourquoi je conseille quelques années de barreau avant d'accéder à la magistrature.
Avez-vous l'intention d'exercer ce métier jusqu'à la fin de votre carrière ?
Je ne le pense pas. La pension est fixée à 67 ans, mais je m'arrêterai avant. Il me semble qu'à cet âge, il est difficile d'entretenir de bons contacts avec les jeunes. Être Juge de la Jeunesse requiert beaucoup d'énergie, de lucidité et des nerfs solides !
Quels conseils donneriez-vous à des futurs juges de la jeunesse ?
La profession ne doit pas être un but en soi parce qu'on y entre par hasard selon la disponibilité des places, et que l'on y accède rarement au moment voulu. Les positions sont parfois amenées à changer. Il faut qu'ils "ouvrent" leur formation au maximum.