Mme Maïté Maskens,
Docteur en anthropologie
Interview réalisée en janvier 2009 |
Docteure en anthropologie au Centre Interdisciplinaire d’Etudes des Religions et de la Laïcité de l'ULB.
Comment est né votre intérêt pour l'anthropologie ?
Toute petite, j'étais déjà fascinée par les récits de cow-boys et d’indiens, ces rencontres de deux mondes aux antipodes me fascinaient. Après mes études secondaires, il était clair que j'allais m'orienter vers des études me permettant d'entrer en contact avec des mondes sociaux différents du mien. Je sentais qu’il y avait quelque chose de très instructif dans la rencontre des différences. Après m'être renseignée sur les études possibles, l'anthropologie m'a semblé être la meilleure possibilité pour assouvir ma soif de connaissances.
Quel a été l'objet de votre travail de fin d'études ?
J'ai eu la chance de bénéficier d'une bourse de la Commission Universitaire pour le Développement pour partir au Sénégal afin d'étudier les liens entre l'Islam et la sorcellerie au sein d'un village de pêcheurs Niominkas. J'y suis restée durant deux mois. Une fabuleuse expérience qui m'a confortée dans l'idée de faire de l’anthropologie mon métier.
Et quel a été par la suite votre parcours professionnel ?
Après un voyage de six mois en Amérique latine, j'ai été contactée par le Centre Interdisciplinaire d’Études des Religions et de la Laïcité de l'ULB pour rejoindre leur équipe de chercheurs afin de travailler sur les thématiques chrétiennes contemporaines. J'ai donc effectué ma thèse sur les Églises chrétiennes émergentes à Bruxelles et plus particulièrement sur les Églises pentecôtistes. Cette thèse m'aura pris quatre ans.
Pouvez-vous la décrire brièvement ?
Des Églises pentecôtistes portées par une majorité de fidèles originaires d’Afrique subsaharienne et d’Amérique Latine se multiplient à Bruxelles depuis une trentaine d’années. La problématique de la migration a une place importante dans le discours et les pratiques de ces nouveaux venus. Qu’il s’agisse de la figure d’un "Dieu des réfugiés" ou de pratiques d’entraide au sein de l’Église, le contexte de migration colore leur foi de manière particulière. Mon étude montre que le facteur religieux donne du sens à leur présence dans le pays d’accueil. La vie religieuse quotidienne constitue un espace positif d’auto-identification du groupe de fidèles en réponse à la discrimination dont ils sont généralement victimes en tant que minorités immigrées. L’adhésion au pentecôtisme est un point d’appui aux migrants et, dans le même mouvement, le discours religieux contribue à construire l’expérience migratoire.
Quelle a été votre méthode de travail ?
Via des connaissances, je me suis immergée dans deux Églises pentecôtistes, une Église composée en majorité de fidèles congolais et l'autre composée par des fidèles d’origine sud-américaine. Tous les dimanches, j'allais aux offices. Je me suis aussi rendue systématiquement aux cultes en semaine. J'ai aussi assisté à des réunions de dames et de jeunes, mais je n'ai pu malheureusement assister aux réunions des hommes. Je n'avais pas émis d'hypothèse de départ, je voulais me laisser surprendre par ce monde religieux. J’ai donné une importance première aux préoccupations des interlocuteurs.
A-t-il été facile pour vous de vous intégrer ?
J'ai reçu un excellent accueil des deux côtés mais les relations se sont un peu tendues sur le long terme car je ne me convertissais pas et ils ne comprenaient pas pourquoi. Ce refus à été perçu comme une résistance à leur système de vérité. Je devenais une subversive. Ces tensions, même si elles étaient difficiles à vivre en disaient long sur la capacité à gérer l’altérité dans ces assemblées. Cependant, pour ne pas que mon étude s'arrête là et soit incomplète, il a fallu que j'aille un peu plus loin dans mon intégration, en posant des gestes religieux, en participant à des prières, sans pour autant renier ce que j'étais ni mes convictions. La sincérité et l’intuition sont de précieux guides de terrain.
Quelles autres difficultés avez-vous rencontrées ?
Elles étaient pour la plupart inhérentes à la position ambiguë de l’anthropologue. J'étais intégrée dans ces communautés mais je n'en faisais toutefois pas réellement partie. Il s'agissait quelque part de relations artificielles, crées autour de l’intérêt du chercheur. Il n'a pas non plus toujours été facile d'entendre certains discours, concernant l'homosexualité par exemple. Si dans un premier temps je me gardais bien de donner mon opinion, par la suite un véritable dialogue, sur cette question comme sur d'autres, s'est installé. Je pense même pouvoir affirmer qu'au fil du temps, outre une relation de confiance mutuelle, des liens d'amitié se sont créés.
Comment voyez-vous votre avenir professionnel ?
Je n'ai pas de plan de carrière. Je compte soumettre au Fonds national de Recherche Scientifique (FNRS) un projet de post-doctorat toujours en rapport avec les Églises pentecôtistes et concernant cette fois l'aspect musical du culte. Je suis pressée de retourner sur le "terrain", c’est vraiment ces échanges-là qui donnent toute son épaisseur au travail quotidien de l’anthropologue. Je pense que les anthropologues ont leur place en Belgique, il ne faut pas spécialement aller très loin dans des contrées "exotiques" pour découvrir des mondes sociaux très différents de celui auquel on est habitué. Si ce projet de post-doctorat ne se concrétise pas, il faudra peut-être que j'exerce mon métier d'anthropologue d'une autre façon, de manière plus créative, je fais confiance à l’avenir.