Mr Marc Zune,
Enseignant et chercheur en sociologie

Interview réalisée en janvier 2009

Enseignant en sociologie à l'UCL et chercheur au sein du GIRSEF (Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur la Socialisation, l'Education et la Formation). 

Pouvez-vous tout d'abord nous parler du GIRSEF ?

Le GIRSEF est un groupe de recherche pluridisciplinaire (sociologie, psychologie, sciences de l'éducation). Il rassemble une trentaine de chercheurs qui développent des recherches fondamentales et appliquées dans le domaine de l'éducation et de la formation. On cherche à mieux comprendre comment évolue l’école aujourd’hui, quelles sont les sources de motivations et les différentes manières par lesquelles les étudiants apprennent, mais aussi comment les adultes continuent de se former en dehors des systèmes scolaires.

Quels sont vos principaux thèmes de recherche ?

Personnellement, je m’intéresse plus particulièrement à la manière dont se constituent aujourd’hui les trajectoires professionnelles dont on sait qu’elles sont marquées par davantage de mobilité et d’incertitude que précédemment. Notamment, je mène des recherches sur le rapport que les travailleurs (mais aussi les demandeurs d’emploi) entretiennent avec la formation et la connaissance. Mes dernières recherches ont porté ainsi sur la manière dont des professionnels de mêmes secteurs d’activité (enseignants, informaticiens, pilotes de ligne, juristes, comptables, etc.) utilisent internet pour partager leurs connaissances professionnelles, ou encore sur la manière dont les demandeurs d’emploi considèrent et utilisent les formations qui leur sont dédiées.

Chaque sociologue a une spécialisation ?

En effet. Si chaque sociologue a une sensibilité ou une préférence pour certaines questions pointues, il n’en reste pas moins que ce qui est observé et analysé peut toujours être raccroché à des enjeux plus larges, de sociologie générale. Pour ma part, il s'agit donc principalement de l'emploi et de la formation mais pour d'autres ce sera l'éducation, la famille, la religion, les loisirs ou encore la justice.

Quel est actuellement votre objet d'étude ?

Je travaille sur les pénuries sur le marché du travail. Il s’agit de comprendre la coexistence paradoxale de situations de pénuries alors qu’il y a un taux de chômage élevé. Notre angle d’analyse, est d’essayer de voir ce que les employeurs désignent précisément par ce terme, comment évoluent leurs pratiques de formation, de recrutement, mais aussi comment se déroulent les trajectoires professionnelles et de formation des travailleurs dans ces secteurs d’activité.

Quelle est votre méthode de travail ?

La première étape consiste à prendre connaissance de tout ce qui a éventuellement déjà été publié sur le sujet, ceci afin de voir si l'on peut réellement apporter quelque chose de nouveau. La deuxième consiste à identifier les terrains de la recherche, à définir les groupes à sonder. Ensuite, j'émets une hypothèse. Dans le cas de mon étude actuelle, je pense que l’émergence de ces situations de pénuries est à trouver dans les changements d’organisation du travail de ces vingt dernières années, demandant plus de flexibilité et une compression plus forte des coûts et du temps de formation. Cette hypothèse est intuitive. J'essaie de la confirmer ou de l'infirmer en rencontrant les responsables d’entreprises et des recruteurs ou en leur soumettant un questionnaire. Je n'ai généralement pas trop de problème à les rencontrer : l'expérience m'a montré que la plupart des gens aiment parler de leur métier ! Je privilégie les entretiens en face à face au détriment des questionnaires car il est ainsi plus facile d'obtenir des réponses précises, d'approfondir le sujet. Pour cette étude, je compte mener une cinquantaine d'entretiens. Parallèlement nous analysons sur le plan statistique les trajectoires professionnelles des travailleurs de plusieurs secteurs afin d’apprécier comment se déroulent les mobilités aujourd’hui.

Comment choisissez-vous vos thèmes de recherche ?

En tant que chercheur à l'Université, notre intérêt est d’innover, en analysant des phénomènes communs sous des angles nouveaux, ou en explorant les tendances émergentes. Cela nécessite beaucoup de créativité. C'est ce que l'on appelle la recherche fondamentale. Mais nous réalisons aussi d’autres enquêtes, dites appliquées, qui peuvent être commanditées par des organismes extérieurs. Dans ce cas, un appel d'offre est lancé aux différentes Universités. Par exemple, le Fonds Social Européen a récemment commandé une évaluation sur les formations pour demandeurs d'emploi.

Menez-vous vos études seul ou en équipe ?

Le sociologue mène généralement ses recherches en équipe. Au fil des ans j'ai noué de très bons contacts avec des sociologues français que j'ai rencontrés lors de colloques. Depuis lors, on collabore souvent. C'est notamment le cas pour l'étude que je mène actuellement. 

Quelles sont les principales sources de financement du sociologue ?

Pour la recherche fondamentale, les ressources peuvent venir des Universités, du FNRS (Fonds Nationnal de la Recherche Scientifique), de la communauté européenne, de fondations privées. Pour les recherches appliquées, les commanditaires sont très variés : organismes publics, syndicats, entreprises privées, associations, etc.

Combien de temps peut durer une étude sociologique ?

Un projet de recherche fondamentale, que l'on a initié soi-même, peut aller de 1 an à 4 ans. Dans le cas d'une recherche appliquée, le sociologue est davantage cadré par un calendrier fixé par le commanditaire. Dans tous les cas, ces enquêtes mènent à des publications, que ce soit à destination de revues scientifiques très spécialisées pour la recherche fondamentale, ou sous la forme de rapports avec des recommandations pour les recherches appliquées.

Qu'est-ce qui vous plaît dans votre métier de chercheur en sociologie ?

Mener des enquêtes et aller à la rencontre de gens issus de mondes sociaux différents. De nouveaux phénomènes sociaux apparaissent, d'autres évoluent… Chaque recherche est différente. Par ailleurs, on ne sait jamais quelles vont être les conclusions, ce que l'on va découvrir. Comme on cherche à dépasser les préjugés et la connaissance spontanée qu’on a des phénomènes, on est souvent fort surpris !

Qu'est-ce qui vous plaît le moins ?

Rechercher des sources de financements paraît toujours un peu rébarbatif. Et puis, il n'est jamais certain de pouvoir trouver ce financement. Certains projets à priori intéressants doivent donc parfois être mis de côté. C'est assez frustrant. Autre difficulté mais plus personnelle : alors que la sociologie demande pas mal de créativité et de liberté d’esprit, l’Université en tant qu’organisation reste un univers assez bureaucratique. Ce n'est pas toujours évident de passer de l'un à l'autre.

Où trouve-t-on les sociologues ?

Certains s’orientent directement dans la recherche. Mais, dans un premier temps, ce ne sont pas des postes définitifs ! Il faut sans cesse prouver que l'on a été innovant pour avoir un contrat à durée indéterminée. D'autres sociologues travaillent auprès d'organismes traitant des questions sociales (Ligue des Droits de l'Homme, Centre pour l’Égalité des chances, etc.), auprès des ministères, des centres d'études sectoriels, des organisations syndicales, des organismes de placement à l'emploi comme le Forem. Depuis peu, une association des sociologues a été créée.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.