Mme Marie Verhoeven,
Professeure de sociologie

Interview réalisée en janvier 2009

A qui s'adressent les études en sociologie ?

Aux jeunes et adultes intéressés par les questions sociales, et plus généralement qui veulent comprendre en profondeur les sociétés et les changements qui accompagnent leur modernisation, notamment dans le cadre de la globalisation. Le sociologue questionne les réalités sociales et culturelles grâce à une méthode rigoureuse. Au-delà de l’observation et de la description des phénomènes sociaux, il cherche à comprendre les processus qui les constituent. S’engager dans des études de sociologie, c’est donc se donner les moyens (théoriques et méthodologiques) de mieux comprendre le monde social et ses transformations contemporaines, mais aussi, à terme, d’y intervenir de manière plus efficace.

Y a t-il des aptitudes spécifiques pour entamer ces études ?

Les études sont accessibles à tout diplômé du secondaire supérieur (CESS) sans forme de sélection à l’entrée. Evidemment, il ne faut pas être rebuté par un certain degré d’analyse théorique et une certaine aptitude à la rigueur du raisonnement scientifique est souhaitée. On s’attend aussi à accueillir des étudiants dotés d’une bonne culture générale, d’une grande ouverture au monde contemporain et à la diversité des groupes sociaux et des cultures. Un niveau solide de maîtrise de la langue maternelle est également souhaité : faire de la sociologie passe aussi par la construction de textes argumentés, d’articles, de rapports.

Quel cursus faut-il suivre pour devenir sociologue ?

L'étudiant entame son parcours universitaire en s'inscrivant au programme de bachelier en Sociologie et Anthropologie. Ce programme commun aux deux disciplines comprend une formation générale en sciences économiques, sociales et politiques, ainsi qu’une formation spécifique en sociologie et anthropologie. Au cours de ce bachelier, il va étudier les sociétés et cultures contemporaines, apprendre à maîtriser les concepts de base de la sociologie mais aussi de l'anthropologie ainsi que les techniques d'enquête et d'analyse de la vie sociale et culturelle. A côté de ces cours, il en aura d'autres qui lui permettront de développer des compétences professionnelles pratiques (comptabilité, informatique, langues, droit, politiques sociales, travail social). 

Le bloc 1 insiste surtout sur la formation générale de base en sciences humaines et sociales (économie, philosophie, histoire, etc.), et initie aux méthodes et démarches du travail universitaire. Le bloc 2 développe les principaux outils de la compréhension de la société et de la culture ainsi que des outils méthodologiques plus pointus (entretien, récit de vie, observation participante, récolte et traitement de données). Durant le bloc 3, la formation disciplinaire s’approfondit (initiation aux débats fondamentaux de la discipline, séminaire d’exploration et de recherche permettant aux étudiants de se frotter concrètement à l’enquête de terrain). L’étudiant peut également opter pour certains cours spécifiques (en éthique de la recherche, en développement, etc.).

Le programme de l'UCL prévoit aussi le choix de ce qu’on appelle une "mineure", qui correspond à des cours aux choix dans un domaine particulier équivalent à 30 crédits, répartis sur le bloc 2 et 3. Ces mineures permettent de découvrir des disciplines tout à fait différentes, d’autres apportent une plus-value professionnelle. 

Voici quelques exemples de mineures que nous proposons à l'UCL :

  • la mineure en économie donne au futur sociologue ou anthropologue des connaissances substantielles en économie ;
  • la mineure en psychologie et éducation ajoutent à la dimension sociale et culturelle la dimension de l’individu. Un champ professionnel spécifique est lié aux sciences de l’éducation ;
  • la mineure en gestion apporte une formation à la gestion de l’entreprise et des collectifs de travail. Elle est particulièrement utile si elle s’articule au projet professionnel de l’étudiant ;
  • la mineure en information et communication permet d’aborder en professionnel critique des questions relatives à la médiation des savoirs, la construction de l’information et le fonctionnement des médias ;
  • la mineure en histoire apporte des compléments importants à la connaissance des sociétés et des cultures, tant sur le plan du contenu que sur celui des méthodes ;
  • la mineure en philosophie approfondit les cadres théoriques de la sociologie et de l’anthropologie, en particulier à l’anthropologie philosophique, l’épistémologie, la philosophie politique, la philosophie sociale, la philosophie morale ;
  • la mineure en criminologie permet d’approfondir de manière critique les questions liées à la déviance, la peine, le droit pénal.

Pouvez-vous nous présenter le master en Sociologie et les finalités organisées à l’UCL ?

Tout d'abord, il faut préciser que des diplômes de 1er cycle d'autres filières que le bachelier en Sociologie et Anthropologie peuvent conduire au master, soit directement, soit moyennant certains pré-requis (quelques cours supplémentaires), soit encore si la formation de base est très éloignée des sciences sociales, en passant par une année préparatoire. Mieux vaut alors se renseigner auprès de l'Université.

Le programme du master ambitionne de former des professionnels de la sociologie, opérationnels dans divers domaines de la vie sociale. A cette fin, l’accent est mis d’abord sur la maîtrise intellectuelle des outils et problématiques centrales de l’analyse sociologique, mais aussi sur une formation méthodologique pointue (formation aux techniques d’enquête qualitative ou quantitative). C’est dans cette perspective que l’étudiant est appelé à composer son programme de cours autour d’un projet de recherche personnel, qu’il va mener notamment à travers un stage de recherche approfondie (dans un centre de recherche universitaire) ou un stage de recherche-intervention, réalisé "sur le terrain", avec des associations partenaires. 

Quelles différences faites-vous entre la sociologie et l'anthropologie ?

Il s’agit de deux disciplines "cousines", qui ont une histoire et une "tradition" scientifique partiellement commune et partiellement différente. Nous partageons par exemple certains grands "pères fondateurs" tels Durkheim ou Weber. De grands anthropologues, tel Malinowski, ont joué un rôle clé dans le développement de la sociologie, et inversement, certaines traditions sociologiques (l’Ecole de Chicago par exemple) ont influencé la pratique de l’anthropologie contemporaine. Ceci dit, la frontière entre les deux disciplines semble de plus en plus mince, et les "ponts" de plus en plus nécessaires. A l'origine, l'anthropologie étudiait les sociétés "lointaines", "exotiques", c'est-à-dire les sociétés en dehors de l'Occident, ou des sociétés menacées de disparition. Si cela reste son objet d’étude central, l’anthropologie a clairement investi les sociétés modernes occidentales, rurales ou urbaines, dans toute une série de champs (changements religieux, interculturalité, nature, nouvelles cultures globales, etc.). A l'opposé, la sociologie est née, au 19ème siècle, d’une préoccupation pour la "modernisation" des sociétés, dans le sillage des révolutions démocratiques et industrielles. Avec la "globalisation", les questions fondamentales sur lesquelles elle s’est construite (la nature du lien social ou du vivre ensemble, l’individualisation, les liens entre capitalisme et société, l’urbanisation, les mouvements sociaux, l’autonomie de l’individu face aux déterminants sociaux, etc.), restent plus que jamais de mise mais doivent se penser aussi à une échelle "transnationale".

Anthropologues et sociologues peuvent dès lors se retrouver sur le même terrain. Les différences tiendront finalement d’une part aux questions théoriques posées, et d’autre part aux méthodes d’enquête utilisées : l'anthropologue privilégiera le travail d’enquête de terrain de longue durée, basé sur l'observation participante et "l’imprégnation", alors que le sociologue pourra avoir recours à des outils d’enquête plus extensifs, qualitatifs ou quantitatifs, élaborés à partir de protocoles plus "hypothético-déductifs". L’ambition de théorisation, le statut du local et les modalités de généralisation scientifique ne sont pas totalement identiques dans les deux disciplines. Mais encore une fois, ce sont là des définitions trop rigides, il y a beaucoup d’emprunts.

Si anthropologues et sociologues se retrouvent sur des qualités communes (culture générale, attitude d’ouverture, intérêt pour la critique sociale), le sociologue se tournera peut-être davantage vers l’analyse sociopolitique ou encore vers la réflexion critique articulée aux grandes transformations socio-économiques mondiales.

Où se retrouvent le plus souvent vos anciens étudiants ?

On les retrouve finalement dans de nombreux domaines et jouant de multiples fonctions. Certains se dirigent vers des centres de recherche et d'analyse, les bureaux d’étude ou de consultance. Ils y mènent des recherches appliquées au secteur, principalement dans la sociologie des organisations et celle du travail, très utiles aux entreprises. La recherche plus théorique se mène dans des lieux académiques spécialement dédiés à la réflexion (Universités, centres belges et étrangers). Mais beaucoup de sociologues pratiquent leur métier en dehors des universités ou du monde de la recherche. Les administrations régionales, nationales, internationales emploient des sociologues dans le cadre du développement et de l’évaluation de politiques publiques.

Le secteur associatif (insertion, médiation, animation culturelle), et particulièrement les ONG (Amnesty International, Greenpeace, etc.), ou encore le secteur de l’aide sociale (CPAS, centres de service social, maisons de jeunes) recrutent également des sociologues. Ceux-ci sont appréciés pour leur vision de l'intervention sociale et pour leur capacité d’analyse sociopolitique. Leur connaissance des enjeux sociaux et leurs compétences méthodologiques rigoureuses constituent un apport dans la compréhension et la gestion de problématiques sociales importantes (pauvreté, décrochage scolaire, vie des quartiers, santé, politique de l'enfance).

La coopération au développement et l'action interculturelle constituent d’autres débouchés potentiels car celles-ci exigent une réflexion sur la diversité culturelle et nécessitent une compréhension nuancée des contextes européens et non européens. Les sociologues interviennent ainsi dans la conception, la gestion et la planification des projets de coopération et d’intégration.

Sans être des spécialistes de l'information, les sociologues peuvent aussi se retrouver dans le secteur de la communication. Les métiers d’information supposent en effet des capacités d’investigation rapide et performante, une culture générale sociopolitique et une compétence d’analyse des enjeux sociaux.

Certains trouvent également de l'embauche au sein d'une entreprise. Ils y travaillent pour la direction des ressources humaines ou dans la consultance. Ils y sont utiles de par leur réflexion sur la stratégie des entreprises.

Enfin, l’enseignement des sciences sociales, tant dans le secondaire que dans le supérieur, est un autre débouché effectif.

Pouvez-vous, en guise d'illustration, nous donner quelques exemples de mémoires effectués par vos étudiants ?

  • Enquête sur l'aide aux personnes en situation de précarité à Londres
  • Où s'arrête l'école et où commence le rôle des parents ? Enquête sur les récentes transformations de l'école (recours de plus en plus nombreux)
  • L'intégration des primo-arrivants originaire d'Amérique latine
  • Analyse des politiques de lutte contre le décrochage scolaire
  • Le droit des femmes en RDC (Sud-Kivu), Afrique
  • Pratique de l'Islam en Belgique : mouvements radicaux et non radicaux
  • Les migrations de "retour" des immigrés Turcs de Belgique
  • L’art mural au Chili : analyse des enjeux culturels et politiques d’un mouvement artistique
  • La formation en prison : analyse du dispositif et de sa réappropriation par les détenus
  • Analyse d’un nouveau métier : médiateur scolaire.
 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.