Mme Murielle,
Infirmière et coordinatrice en milieu carcéral
Interview réalisée en octobre 2018 |
Vous travaillez en tant qu’infirmière à la prison de Leuze depuis 4 ans. Concrètement, quelles sont vos tâches quotidiennes ?
L’objectif est de s’occuper de la santé du détenu comme à l’extérieur.
Le travail comprend plusieurs aspects :
- les tâches infirmières en fonction de ce qui est prescrit par le médecin : des injections, des prises de sang, des pansements, prise de paramètres. En bref tous les actes infirmiers ;
- la gestion des médicaments : la distribution des médicaments, vérifier que l’on donne la bonne plaquette au bon patient, qu’il a bien reçu tout son traitement ;
- l’aide au médecin c’est-à-dire qu’on participe à la consultation médicale, on prend note de toutes les demandes du médecin. Il y a aussi les consultations infirmières, les patients peuvent s’inscrire à l’infirmerie tous les jours pour avoir une pastille pour la gorge, un antidouleur, etc. C’est une sorte de petite pharmacie. Pour les détenus, ces consultations sont aussi l’occasion de parler et de vider leur sac ;
- le travail administratif : gestion des RDV, commande de matériel et de médicaments, gestion du dossier médical, etc. ;
- l’aspect préventif : anamnèse, intradermos (test de dépistage de la tuberculose), conseils de santé.
Quelles sont les problématiques les plus fréquentes en prison ?
Il y a des pathologies tout à fait particulières aux prisons, je pense surtout à tous les problèmes de toxicomanie. De nombreux patients sont confrontés un jour ou l’autre à un phénomène de drogue et certains sont consommateurs réguliers. Évidemment, il y a tous les problèmes sous-jacents à cette consommation, donc beaucoup de problèmes dentaires, des problèmes d’hépatite ou le VIH (le virus de l'immunodéficience humaine est un rétrovirus responsable du sida et qui affaiblit l’ensemble du système immunitaire humain), plus présents en prison qu’à l’extérieur.
On est aussi confronté à une tranche de la population particulièrement démunie, donc on a aussi beaucoup plus de tuberculose qu’à l’extérieur. Une partie de notre travail consiste donc à effectuer le dépistage de la tuberculose. Ce sont vraiment les pathologies les plus spécifiques.
Travaillez-vous avec des publics spécifiques ?
Certaines prisons ne s’occupent que des hommes. Mais il y a aussi des prisons de femmes accompagnées parfois de jeunes enfants. Il y a aussi certaines prisons où l’on retrouve des annexes psychiatriques et trois prisons où l’on retrouve une structure de polyclinique voire d’hospitalisation.
On imagine qu’en prison, les détenus pourraient faire preuve de violence physique ou morale. Comment gérez-vous ces situations ? Est-ce qu’un encadrement psychologique est prévu ?
Il y a quelques fois des confrontations mais c’est généralement de la violence verbale, des portes qui claquent, etc. Ce n’est pas si fréquent.
Personnellement, je mets des barrières à la première rencontre. J’explique bien notre rôle, que nous ne sommes pas là pour les juger mais pour les aider, que ça doit se faire dans un respect mutuel. Et je pense que mettre ces barrières permet que ça ne se passe pas trop mal. On a, par exemple, des patients colériques qui, souvent, reviennent après en disant : “Finalement, vous aviez raison, je m’excuse par rapport à ce que j’ai dit“.
En règle générale, c’est une gestion qui se fait en équipe. Si un événement nous perturbe, un détenu qui a été violent, on en parle entre nous et on temporise. Par exemple, si on sait qu’un détenu n’aime pas du tout les femmes, on va demander à un infirmier homme de s’occuper de ce détenu. On gère les situations différemment, il y a une forte entraide au niveau de l’équipe.
Il existe bien sûr des événements plus graves comme la prise en otage d’une infirmière. Dans ce cas, il existe des équipes d’intervention, de prise en charge d’événements douloureux, qui renvoient vers des psychologues si cela est nécessaire.
Avez-vous aussi des contacts avec les familles des détenus ?
Normalement, ce n’est pas prévu. Si une famille arrive à nous contacter, nous la renvoyons vers son médecin traitant qui peut, lui, contacter le médecin de la prison.
Au-delà de l’aspect médical, il s’agit aussi d’un métier particulièrement social ?
Tout à fait. C’est quelque chose que l’on dit au patient dès le départ : ils sont dans le cabinet médical de la prison comme s’ils étaient dans un cabinet médical à l’extérieur. Le secret médical est de mise sauf en cas d’état de nécessité (atteinte à sa sécurité ou celle de l’établissement). On pose les conditions au départ et ils viennent souvent parler.
En tant qu’infirmier, on n’a pas accès au dossier pénal du patient, on ne sait donc pas pourquoi il est incarcéré. Le détenu peut nous raconter sa situation, on peut aussi l’apprendre via la presse mais il y a toujours un secret professionnel, un devoir de discrétion à respecter. Les situations personnelles des détenus ne peuvent s’ébruiter à l’extérieur.
Quels sont vos horaires de travail ?
Il y a plusieurs horaires applicables en fonction de la taille de la prison. Une présence infirmière est requise pour la journée dans la plupart des établissements. Pour les plus grandes prisons, un shift matin-soir est assuré. Enfin, dans les prisons assurant une hospitalisation, un infirmier est présent pour la nuit.
Vous êtes aussi coordinatrice pour d’autres prisons que votre prison d’attache. En quoi cela consiste-t-il ?
Il s’agit surtout de la gestion des équipes.
Je suis le relais entre le service de soins de santé, qui est basé à Bruxelles, et ce qu’il se passe dans les équipes, sur le terrain. On a la charge de plusieurs petites équipes pour lesquelles on gère les horaires, les problématiques de nursing qu’elles peuvent rencontrer, la mise en place de formations continues, la mise en application de nouveaux protocoles, etc.
Il s’agit donc d’un travail d’équipe ?
Il y a un vrai travail d’équipe au sein des infirmeries, entre les infirmiers, les médecins et autres professionnels de la santé (psychiatre, dentiste, kiné, etc.).
Par contre, on a peu de contacts avec d’autres intervenants au sein de la prison. Étant donné le secret médical, on est un peu isolé par rapport au reste de la prison.
Les assistants sociaux et psychologues ne font pas partie du service médical. On les retrouve au sein du :
- Service Psycho-Social (SPS) où ils effectuent les expertises pour déterminer si un détenu peut avoir un congé ou être libéré. Là, au contraire de nous, tout ce que le détenu dit va être pris en compte pour évaluer une éventuelle sortie. En tant qu’infirmiers, on travaille très peu avec eux ;
- Service d’Aide aux Détenus (SAD) qui fait partie de la Fédération Wallonie-Bruxelles où on retrouve des psychologues et des assistants sociaux. Malheureusement, on a très peu l’occasion de les voir, on n’a pas beaucoup de contacts et c’est dommage. On a très peu d’échanges et de retours.
Quels sont les avantages de votre métier ?
On est confronté à une population jeune et c’est un métier intéressant et très varié. C’est très chouette parce que c’est un travail fort différent d’un jour à l’autre. Il y a un côté répétitif (les soins, les médicaments, les consultations, etc.) mais une journée n’est jamais l’autre. On peut voir des pathologies très différentes ou des soins d’urgence. C’est très attrayant et cela nécessite une grande polyvalence.
Selon vous, quelles sont les qualités requises pour exercer le métier ?
Je pense qu’il faut avoir un côté social, il faut être polyvalent, savoir tout faire et tout entendre, ne pas juger. C’est très important. Ne pas avoir peur, résister au stress, rester calme et concentré.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées au quotidien ?
- Le manque de budget récurrent.
- Les collaborations avec d’autres intervenants comme le corps de sécurité avec lequel il n’est pas facile d’organiser les rendez-vous extérieurs des détenus.
- Le recrutement du personnel et des spécialistes.
Auriez-vous une anecdote à raconter ?
Il y a quelques anecdotes positives. Par exemple, quand un patient est libéré et qu’il nous écrit un petit mot en disant “Merci, je n’aurais pas pu être mieux soigné“. Parfois, on en a un ou deux qui sont vraiment contents, ce sont de bons moments parce que l’on sait que l’on a fait notre travail correctement. C’est le bon côté des choses.
Quel a été votre parcours professionnel avant de travailler en prison ?
J’ai un bachelier en soins infirmiers.
J’ai travaillé six ans en soins à domicile mais j’avais deux jeunes enfants que je ne voyais pas beaucoup étant donné les horaires très décalés. Je ne voulais pas travailler dans un hôpital, ni dans les maisons de repos donc j’ai passé l’examen du Selor et ça m’a plu.
Quel conseil pourriez-vous donner à une personne qui voudrait se diriger vers le métier d’infirmier en milieu carcéral ?
Personnellement, je pense que c’est intéressant d’être bien sûr de soi et de ses gestes techniques, d’avoir confiance en soi, avoir une certaine maturité et une autonomie dans le travail.
Je pense qu’il faut d’abord se faire une certaine expérience ailleurs. Parce que, quand on sort des études, on n’a aucune expérience, on a toujours été entouré par des superviseurs. Et se trouver tout à coup seul face à des détenus manipulateurs ou qui peuvent mettre en doute ce que vous faites, ça peut être compliqué.
Suivant l’établissement, on peut être amené à travailler seul ou être entouré d’une équipe qui peut donner les bons conseils et bonnes attitudes.
C’est un milieu qui peut paraître effrayant au départ mais, en réalité, ça ne l’est pas plus que de travailler dans un service d’urgences. Ici, on sait qu’on a affaire à des personnes qui ne sont pas faciles et on prend toutes les mesures de précaution nécessaires (il y a des agents, des systèmes d’alarme et on a une manière de fonctionner qui fait qu’on se met en sécurité). Dans mon métier, je sais à qui j’ai affaire, je sais que la personne a commis parfois des faits graves alors que dans un hôpital, on est confronté au tout-venant et on ne sait pas qui est la personne que l’on doit soigner.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Je pense qu’il faut être clair avec soi-même et se dire “Je vais devoir soigner des pédophiles et des assassins“. Il faut être prêt à le faire et je me dis que le jour où je commence à ne plus être capable de rester neutre, où je sens que je dépasse mes limites, j’arrêterai.
Peut-être qu’à un moment donné, la situation me révoltera. Il faut savoir que les détenus n’ont plus de mutuelle car elle est suspendue le temps de l’incarcération. Tous les soins de santé sont donc entièrement pris en charge par le Ministère de la justice et on constate une surconsommation de soins de santé et médicale (médicaments, prises de sang, soins) par rapport à l’extérieur.