Mr Nicolas Vandewalle,
Physicien, Docteur en Sciences, Professeur à l’Université de Liège et directeur du centre de recherche GRASP
Interview réalisée en février 2017 |
Selon vous, qu’est-ce que la physique ? Si vous deviez résumer la discipline en quelques mots ou quelques phrases
La physique est une discipline des sciences qui est unique dans le sens où elle va chercher à modéliser, à mettre des outils mathématiques sur des phénomènes naturels qui se produisent autour de nous. Quand on chauffe une casserole d’eau dans sa cuisine, des petites bulles apparaissent. On peut l’expliquer à l’aide d’outils et de modèles mathématiques. C’est la difficulté de la physique : il faut maîtriser ces outils avant de commencer à comprendre et élaborer des théories physiques.
Quel est le rôle d’un physicien ?
La compétence du physicien qui lui permet de modéliser les phénomènes qui l’entourent est rare car personne d’autre ne le fait. L’ingénieur va directement s’orienter vers les applications pratiques tandis qu’un physicien va creuser un phénomène pour le modéliser. Cette compétence rare est très recherchée, dans des endroits parfois étonnants. Dans la finance, par exemple, on recherche des physiciens pour modéliser des flux financiers. C’est le cœur du métier de physicien : on regarde les mêmes phénomènes que les autres mais avec d’autres yeux.
Il y a trois aspects importants dans le métier :
- l’observation : il faut être observateur des phénomènes naturels qu’on va ensuite modéliser ;
- l’expérimentation : il faut développer des expériences qui vont mettre en évidence ces phénomènes, voir s’ils sont reproductibles, et dans quelles conditions ;
- la modélisation : le développement des théories.
Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?
Je viens d’un collège situé à Mouscron, où j’ai suivi l’option maths fortes. J’aurais pu choisir des études d’ingénieur dans une Université proche de chez moi, à Mons ou à L’UCL mais j’ai décidé de partir à l’autre bout de la Belgique, à Liège, pour y étudier la physique. J’avais entendu parler des Instituts de Physique et d’Astrophysique de l’ULiège et ces deux domaines m’intéressaient. Après mes études (à l’époque d’une durée de quatre ans), j’ai opté pour la physique plutôt que l’astrophysique. Dans le domaine de l’astrophysique, les trois aspects dont j’ai parlé précédemment ne sont pas représentés de manière équitable, l’expérimentation existe peu. On ne peut pas fabriquer une étoile donc on reste au stade de l’observation et de la modélisation en astrophysique. Cela m’ennuyait parce que selon moi l’expérimentation est une étape importante pour le physicien. J’ai ensuite entrepris une thèse de doctorat sur les matériaux supraconducteurs. Ce sujet est très éloigné de ceux sur lesquels je travaille aujourd’hui mais mon doctorat m’a permis d’avoir une culture scientifique plus importante et aussi de voyager. J’ai fait un postdoctorat de quatre ans à Paris, à l’Université Pierre et Marie Curie. J’ai également travaillé à Copenhague au Danemark et à Boston University, en face du MIT et à côté d’Harvard (États-Unis). J’ai ensuite décroché un poste académique à l’ULiège, j’ai eu beaucoup de chance. Cela m’a permis de créer un laboratoire d’expérimentation des phénomènes physiques (le GRASP - Groupe de Recherche et d’Applications en Physique Statistique), c’était ma priorité. Au départ, j’étais seul avec un assistant. Depuis, le laboratoire s’est développé et nous sommes vingt-cinq aujourd’hui ! Cela représente un tiers du département Physique à Liège. Ce laboratoire s’intéresse à la matière molle : tout ce qui coule, tout ce qui se déforme : par exemple l’écoulement du sang ou celui du ketchup. Nous participons aussi à la fabrication de microrobots.
Quels sont les éléments qui vous ont motivé à faire ces études et ce métier ?
J’ai toujours été intéressé par la physique. Enfant et adolescent, je m’intéressais déjà aux livres et aux cours scientifiques. De toutes les sciences, c’est la physique qui m’attirait le plus. J’ai cependant eu du mal à me décider car, étant très bon en maths, j’étais poussé par mon professeur de mathématiques à choisir des études dans ce domaine. Il a essayé de me convaincre par tous les moyens mais j’ai résisté. J’ai toujours aimé bricoler aussi. En général, quand on aime jouer aux Lego, on aime faire des sciences ou des études techniques.
Avez-vous des charges d’enseignement à côté de la recherche ?
Pendant ma thèse de doctorat, je n’ai jamais touché à l’enseignement. Mon financement m’interdisait de donner des cours, je n’avais pas envisagé d'enseigner. Quand j’ai obtenu le poste académique à Liège, il a fallu que je m’y mette et je me suis découvert une âme d’enseignant et une nouvelle passion. J’ai réalisé que l’enseignement est indissociable de la recherche. Une part importante du métier de chercheur consiste à transmettre ses connaissances à ses collègues lors de conférences. C’est presque la même chose avec les étudiants, cette transmission est un élément clé de mon métier de prof et de chercheur. J’ai un excellent contact avec les étudiants, les cours se passent très bien.
Combien d’étudiants encadrez-vous ?
300 en bloc 1, 60 en bloc 2, 30 en bloc 3. Au total un peu plus de 400 élèves. Je donne des cours dès le bloc 1 de bachelier et je suis les physiciens jusqu’au bout de leur parcours. En première année, il n’y a pas que des physiciens, je donne aussi cours de physique aux biologistes, chimistes, géologues et géographes.
Pouvez-vous nous présenter plus en détail le travail réalisé par le GRASP ?
On représente un groupe qui travaille sur la matière molle. On s’intéresse à plein de phénomènes, par exemple des liquides dans lesquels se trouvent des particules solides en suspension. Les applications concrètes sont connues ; par exemple le café qui est un colloïde (la suspension d'une ou plusieurs substances, dispersées régulièrement dans une autre substance, formant un système à deux phases séparées). Il existe des colloïdes beaucoup plus denses, pour former des pâtes ou de la peinture. On étudie comment ces systèmes peuvent s’écouler, comment on peut les manipuler. Un volet de mon laboratoire concerne la microfluidique, la manipulation de toutes petites gouttelettes. Ce domaine se développe énormément à l’heure actuelle, notamment pour les laboratoires sur puce (qui effectuent toute une série d’analyses avec une seule goutte de sang). Les applications potentielles sont très riches mais nous, physiciens, ne nous occupons pas de ça. Nous cherchons à comprendre les phénomènes physiques à l’échelle de ces gouttelettes et des particules en suspension dans ces gouttelettes. Par exemple, on étudie le mouvement de bactéries dans des liquides, comment elles peuvent y avancer et nager à l’aide de leurs flagelles. Et ne pourrait-on pas reproduire un jour ces phénomènes pour construire des robots de petite taille qui seraient capables d’aller visiter le corps humain pour délivrer un médicament directement sur une seule cellule ou sur une tumeur ? C’est un peu comme dans le film de science-fiction "Le Voyage fantastique", à la différence que c’est impossible avec les techniques imaginées dans le film. C’est d’ailleurs un exemple utilisé dans les exposés car on peut démontrer que la nage des petits scaphandriers est impossible à cette échelle. Plus on réduit la taille d’un objet, plus la viscosité effective augmente. Une matière peu visqueuse comme de l’eau à notre échelle devient visqueuse à échelle microscopique. Il faut donc inventer d’autres choses, comme les flagelles des bactéries. La physique à petite échelle n’a rien à voir avec la physique à plus grande échelle. Notre laboratoire s’intéresse à cette physique mal connue qui se situe entre la mécanique quantique (à l’échelle des atomes) et la physique classique. On utilise des microscopes et des appareils photo avec caméras à très gros objectifs pour observer des particules de quelques centaines de micromètres, à peine visibles à l’œil nu.
Des exemples concrets d’expériences en laboratoire ?
Par exemple, on place des petites particules magnétisables (de minuscules billes métalliques d’un tiers de millimètre de diamètre) à la surface d’un liquide. Elles flottent et, à l’aide d’un champ magnétique, on peut venir régler les distances qui les séparent car le champ magnétique va produire une répulsion entre elles. On utilise des bobines pour créer des champs magnétiques variables dans le temps, ce qui fait danser les particules à la surface du liquide. En dansant, elles suivent une trajectoire particulière leur permettant d’avancer, de nager, de mélanger des liquides. Cela reproduit parfaitement le mouvement des bactéries dont j’ai parlé précédemment.
Votre groupe développe-t-il des collaborations scientifiques ?
Notre groupe est connu, on réalise des expériences originales. Cette compétence propre est reconnue dans le monde et beaucoup de gens viennent de loin pour voir nos expériences et s’en inspirer. Nous envoyons aussi nos jeunes chercheurs à l’étranger. C’est une facette du métier : il permet de voyager, ce qui est agréable. 90% des personnes que nous rencontrons sont des physiciens mais parfois nous avons besoin d’aller chercher d’autres compétences. Pour la fabrication des petites billes que nous utilisons, nous interagissons avec des chimistes. Je collabore aussi avec des biologistes, je travaille actuellement sur un projet avec Éric Parmentier, responsable du Laboratoire de Morphologie de l’ULiège. Pour optimiser la nage des petits robots que nous créons, nous cherchons à comprendre la nage des poissons en observant leurs squelettes et ils sont les spécialistes dans ce domaine. Les collaborations sont très enrichissantes, elles permettent d’apprendre tous les jours.
Collaborez-vous également avec le monde de l’entreprise et la recherche appliquée ?
Oui, par exemple en microfluidique il y a des applications potentielles énormes du côté des biotechnologies et notamment de la médecine. Des entreprises biotechnologiques ou pharmaceutiques sont très intéressées par nos recherches et les financent en partie. Ils sous-traitent une partie de leurs recherches chez nous en quelque sorte. Mais ce qu’ils en feront concrètement par la suite ne me regarde plus. Notre rôle c’est de jouer, d’inventer, de produire des connaissances et de dépenser l’argent public utilement. Ce n’est qu’en procédant de la sorte qu’on parvient à innover.
Êtes-vous personnellement amené à vous déplacer régulièrement ?
J’ai réduit mes voyages pour des raisons familiales, pour mes enfants. Mais, auparavant, j’étais à l’étranger une semaine sur deux ou sur trois. Maintenant, je pars une fois par mois. Je participe à des conférences scientifiques, que je choisis pour qu’elles aient une portée et un impact les plus importants possible dans la communauté scientifique. Je rends aussi visite à des collègues étrangers pour travailler avec eux en direct.
Quelle part prennent les tâches administratives dans votre travail ?
Cela fait malheureusement partie du métier. Il faut gérer le personnel, gérer et commander le matériel. On nous demande de plus en plus de répondre à des formulaires, à des contrôles sur la sécurité du laboratoire ou sur la façon dont l’argent est dépensé. C’est tout à fait logique mais il me semble que les formalités administratives pourraient être simplifiées. J’essaye d’optimiser cette partie au maximum.
Quels sont vos horaires de travail ?
Les horaires ne sont pas fixes. Une idée ne vient pas nécessairement entre 8h30 et 17h00. Cela peut arriver le week-end ou en soirée. Il m’arrive de travailler à la maison, que ce soit pour la recherche ou pour les corrections d’examens. Nos horaires sont flexibles, la seule contrainte est d’être présent quand on doit donner cours. Officiellement, on travaille 38/40 heures par semaine mais dans la réalité, on est plus proche des 60/70 heures. Dans ce métier, il est impossible de fermer tous les tiroirs avant de rentrer chez soi, on ramène inévitablement nos obsessions avec nous.
Quels sont les aspects positifs de votre métier ?
C’est extrêmement varié. On mesure la qualité d’un chercheur à son originalité et je trouve cela très bien de ne pas être obligé de faire la même chose que les autres.
Et les aspects les plus négatifs ?
La recherche de financement ! La recherche fondamentale est de moins en moins financée dans nos pays occidentaux, ce qui est une erreur politique. En Australie, ils ont décidé de consacrer une plus grande part du PIB (Produit Intérieur Brut) à la recherche fondamentale et on a constaté une croissance économique pour le pays. La recherche fondamentale est génératrice d’innovation ce que nos politiciens oublient souvent. C’est très frustrant pour un chercheur. Après l’invention du moteur à vapeur, s’il n’y avait eu que de la recherche appliquée, nous roulerions toujours avec des moteurs à vapeur, certes de plus en plus performants. Mais c’est grâce à la recherche fondamentale qu’on a découvert les moteurs à explosion, les moteurs électriques ou encore hybrides. Les matériaux de l’innovation sont amenés par la recherche fondamentale.
Quelles qualités faut-il posséder pour exercer ce métier ?
L’originalité, il ne faut jamais penser comme les autres et toujours essayer de voir les phénomènes sous un angle différent. Il faut cultiver cette originalité, avoir une âme d’enfant. Il faut aussi être touche-à-tout, avoir une culture générale importante. Avoir lu, voyagé, visité des musées, cela aide. Un physicien a aussi besoin d’être un peu bricoleur, il faut savoir faire quelque chose de ses mains. Il faut aussi être patient car, entre l’idée de départ et l’expérience qui fonctionne, plusieurs années peuvent s’écouler. Les chercheurs qui travaillent avec moi savent que je suis très tenace. Quand j’ai une idée en tête, je finis par y arriver mais le chemin pour y parvenir peut être long.
Quel conseil donnez-vous à quelqu'un qui souhaite se lancer dans ce métier ?
Il doit d’abord soigner ses outils mathématiques, les maîtriser. Ensuite, il doit cultiver son âme de bricoleur et de touche-à-tout et le reste ira tout seul. Il n’est pas forcément nécessaire d’être un spécialiste des sciences durant ses études secondaires pour devenir physicien plus tard. Ce qui bloque beaucoup d’étudiants en bloc 1, ce sont les mathématiques. Et c’est valable pour d’autres disciplines scientifiques : si un médecin ou un ingénieur en aéronautique se trompent dans un calcul, des vies sont en jeu. C’est fondamental de bien maîtriser ses mathématiques et d’avoir des automatismes.
La physique est-elle un domaine porteur en termes d’emplois ?
Oui. On recherche beaucoup cette compétence du physicien qui consiste à modéliser et mettre des équations sur des phénomènes naturels, même sur des phénomènes qui sortent du domaine physique comme les flux financiers par exemple. Je connais beaucoup de physiciens qui travaillent à la City à Londres (une ville et un comté à l'intérieur de Londres ; elle est à la fois le cœur historique et le centre géographique de la ville), avec d’excellents salaires ! Dans le monde des entreprises aussi on retrouve des physiciens, pour la même raison car c’est cette compétence qui va différencier leurs profils de ceux d’ingénieurs. C’est cela que les jeunes diplômés doivent mettre en évidence pour se vendre sur le marché du travail.
Comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?
J’ai un statut confortable, je suis nommé à vie. Mon avenir est de poursuivre le développement de mon laboratoire. J’espère continuer à m’amuser dans ce que je fais. Au niveau de l’enseignement, j’espère que la situation s’améliorera. Je trouve qu’on a rendu la vie des étudiants difficile avec les nouveaux décrets. La société a beaucoup changé aussi. Aujourd’hui, les étudiants universitaires n’ont plus la même motivation que par le passé car ils n’ont plus la certitude de pouvoir valoriser leur diplôme sur le marché du travail. La mentalité a beaucoup changé en vingt-cinq ans. J’espère retrouver un jour un enthousiasme chez les jeunes pour faire des études.
Quelque chose à ajouter ?
Il faut aussi aborder le côté management. Quand on fait de la recherche, c’est toujours un travail d’équipe. Les relations humaines sont très importantes et nous ne sommes pas formés à cela durant nos études. Au début d’un parcours académique, on fait des erreurs de jeunesse avec nos premiers doctorants. J’ai appris à gérer une équipe et amélioré mes capacités de management au fil du temps et sur le terrain. Ce n’est pas évident d’autant plus que dans le milieu universitaire on rencontre souvent des personnalités fortes.