Mr Benoît Parmentier,
Biologiste en génétique
Interview réalisée en décembre 2014 |
Biologiste en génétique et responsable de laboratoire en cytogénétique post-natale à l’I.P.G (Institut de Pathologie et de Génétique, à Gosselies).
Qu’est-ce qu’un biologiste généticien ?
Je vais vous parler de son rôle dans mon domaine, celui de la génétique humaine. C’est un biologiste qui apporte une aide analytique dans le diagnostic de syndromes potentiellement génétiques, en collaboration avec des médecins généticiens. Le biologiste est l’interface entre les médecins et les laborantins. Par son expertise, il analyse, interprète et rédige des comptes rendus analytiques qui seront finalement transmis aux médecins généticiens chargés de faire le lien avec la clinique du patient.
Qu’est-ce que l’I.P.G. ?
L’institut de Pathologie et de Génétique est une ASBL spécialisée dans le diagnostic médical en matière d'anatomopathologie[1], de cytogénétique[2], de biologie moléculaire[3] et de microbiologie moléculaire. Sa mission consiste à produire des diagnostics médicaux humains à la réalisation desquels sont attachés plus de 210 personnes. Le nombre annuel de diagnostics réalisés à l’I.P.G. avoisine les 250000. Les demandes proviennent principalement des hôpitaux situés en province de Hainaut mais également en provinces de Luxembourg, Namur et en région Bruxelles-Capitale. Le Centre de Génétique Humaine de l’I.P.G. est un des huit centres agréés en Belgique, Il y en a deux en Wallonie, trois en Flandre et trois à Bruxelles.
Dans quel(s) but(s) les analyses sont-elles réalisées ?
Pour la section anatomopathologie, les médecins pathologistes tentent d’établir le plus précisément possible le diagnostic des maladies (pathologies) sur base de biopsies[4] ou de prélèvements chirurgicaux. Les prélèvements arrivent dans un service de découpe où ils sont d’abord examinés macroscopiquement et ensuite au microscope optique après préparation de lames histologique (tranches d’organes très fines). Le champ d’action de cette section couvre l’ensemble du corps humain et reprend des pathologies multiples et variées : infection, inflammation, tumeur bénigne ou tumeur maligne. Au sein du département de biologie moléculaire et cellulaire nous avons plusieurs secteurs d’activités qui s’intéressent aux technologies permettant le diagnostic génétique de diverses pathologies humaines héréditaires ou acquises. Le secteur constitutionnel comprend l’étude des pathologies héréditaires, c’est-à-dire celles pouvant être transmises de génération en génération et pour lesquelles des anomalies chromosomiques et/ou du code génétique (mutations) sont présentes dans toutes les cellules d’un individu dès la conception. Il se divise en deux catégories : le constitutionnel prénatal et le constitutionnel post-natal (avant et après la naissance). Les analyses prénatales concernent donc les patientes présentant une grossesse pour laquelle un déséquilibre chromosomique comme par exemple la trisomie 21 est suspecté (âge maternel avancé, anomalie échographique, antécédent familial, etc.). En génétique post-natale, nous recevons des demandes provenant de pédiatres pour des enfants présentant des retards de développement, de langage, des dysmorphies, etc. Ces symptômes peuvent laisser suspecter un syndrome génétique ou un déséquilibre chromosomique. Nous recevons aussi toute une série de demandes pour des problèmes d’infertilité, concernant des couples inscrits dans des programmes de fécondation in vitro[5], des retards pubertaires ou des couples présentant des fausses-couches répétées. Enfin, le dernier grand secteur d’analyses concerne l’oncologie-hématologie, c’est-à-dire l’étude des tumeurs solides et les maladies du sang, pour rechercher des lymphomes, des leucémies, etc. Il y a aussi une partie oncogénétique où on s’occupe des cancers héréditaires : cancer du sein, cancer du côlon.
Quelle est votre fonction au sein de l’I.P.G. ?
Je suis responsable de laboratoire pour le secteur cytogénétique constitutionnel post-natale, au sein du Centre de Génétique Humaine de l’I.P.G. Je coordonne les activités du laboratoire, je supervise les résultats et les techniques utilisées. Mon équipe est composée de neufs laborantins (titulaires d’un bachelier de technologue de laboratoire médical), qui me remettent essentiellement des résultats de caryotypes[6] conventionnels et/ou moléculaires. Mon rôle est de les analyser, les interpréter et de rédiger des comptes rendus analytiques qui seront finalement transmis aux médecins généticiens chargés de faire le lien avec la clinique du patient. Depuis quelques mois, j’occupe en outre la fonction de référent en biosécurité. Mon nouveau rôle est de conseiller et d’établir administrativement les conditions de sécurité relatives aux risques biologiques au sein des différents laboratoires de l’I.P.G. L’objectif est de veiller à la sécurité des manipulateurs en laboratoire. Avec mon collègue référent en risques chimiques et le conseiller en prévention du groupe IPG, nous réalisons des audits sécuritaires dans les différents départements techniques.
Quels équipements particuliers devez-vous porter ?
Tout l’institut est accrédité aux normes ISO 15189[7]. Chaque local technique (laboratoire, pièce de culture, biobanque, etc.) où des échantillons biologiques peuvent être manipulés est lié à un équipement spécifique : tablier de laboratoire, gants, lunettes/masque de protection, etc.
Des exemples concrets d’expérimentations menées au sein de votre laboratoire ?
La technique de base en cytogénétique conventionnelle est l’établissement du caryotype sanguin à partir d’une simple prise de sang. Nous étudions les anomalies dans le nombre et la structure des chromosomes. Ces derniers ne sont visibles au microscope que lors de la division cellulaire. Nous sommes donc obligés de mettre en culture les prélèvements sanguins. Ces cultures sont stoppées au moment de la division cellulaire afin de pouvoir extraire les chromosomes, les colorer et les classer par paires et tailles décroissantes pour établir le caryotype standard. Le matériel que nous recevons au départ est une simple prise de sang. C’est un outil d’exploration dit pan génomique, c’est-à-dire qu’on voit l’ensemble du génome[8], soit 46 chromosomes chez l’Humain. Cependant, comme toute méthode d’analyse, le caryotype standard a ses limitations. C’est pourquoi différentes approches, notamment moléculaires, peuvent être utilisées en fonction du patient et du type d’anomalie recherché.
Etes-vous amené à vous déplacer ?
Le métier de biologiste implique une formation continue car les technologies évoluent constamment. Cela nous demande d’être à l’affut de l’actualité et d’être à jour au niveau de la littérature scientifique. Nous avons donc l’opportunité de participer régulièrement à des congrès nationaux et internationaux. Nous sommes également affiliés à la Société Belge de Génétique Humaine où nous participons à divers groupes de travail, notamment pour l’établissement de recommandations nationales pour les techniques utilisées.
Collaborez-vous avec le monde de la recherche fondamentale ?
Nous avons un petit département de recherche au sein même de l’Institut, une partie du budget est ainsi allouée à la recherche. Il s’agit le plus souvent de recherche appliquée, concernant des mises au point techniques. Mais nous y développons aussi quelques projets de recherche fondamentale, en collaboration avec des Universités.
Développez-vous également des collaborations de recherche appliquée avec des entreprises ?
Oui. Afin de mettre son matériel de pointe à disposition d’autres secteurs que le médical, l’I.P.G. a créé une filiale du nom Bio.be,
Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?
Durant mes études secondaires, mes options étaient scientifiques et mathématiques, avec trois heures de biologie, trois heures de chimie et une heure de physique. J’ai fait un master en sciences biologiques, orientation biologie cellulaire, aux Facultés Universitaires Notre Dame de la Paix à Namur. Ensuite, j’ai entrepris un master complémentaire d’un an, orienté vers la biologie moléculaire, complété par une bourse de recherche de six mois. A la fin de cette bourse, j’ai rapidement été engagé à l’I.P.G., situé à l’époque à Loverval. C’est mon expérience en culture cellulaire qui m’a permis d’obtenir ce poste. Cependant, le secteur étant très spécifique, la plus grande partie de ma formation s’est effectuée sur le terrain. J’ai travaillé pendant plusieurs mois avec les techniciens du laboratoire pour apprendre toutes les techniques. Mon employeur m’a également donné l’opportunité d’obtenir un diplôme spécifique au secteur : un DUE (Diplôme Universitaire Européen) de cytogénétique moléculaire en génétique humaine. Cette formation d’une durée de trois mois s’est déroulée en France, à l’Université de Montpellier. Cela fait quinze ans que je travaille à l’I.P.G., dont quatorze ans en tant que responsable de laboratoire. Dernièrement, la Société Belge de Génétique Humaine, la BeSHG (Belgium Society of Human Genetic) a proposé un cursus afin de permettre à tous les scientifiques impliqués dans les laboratoires des huit Centres de Génétique Humaine d’obtenir une reconnaissance au niveau belge : un certificat de «Laboratory Supervisor». Cette reconnaissance fonctionne selon un système de points, attribués selon les participations actives ou passives à des congrès, les formations suivies, les publications etc.
Quels sont les éléments qui vous ont motivé à faire ce métier ?
Depuis le début de mes études secondaires, je savais que je voulais m’orienter vers les sciences. J’ai longtemps hésité entre la chimie et la biologie. J’ai suivi les cours d’un professeur de biologie qui a su me motiver pour sa matière. Quand j’ai commencé mes études universitaires, je pensais que le seul débouché était d’être chercheur dans un laboratoire mais au fil des années, je me suis aperçu que c’était beaucoup plus vaste. Je n’envisageais pas du tout les possibilités des domaines médicaux et génétiques par exemple, c’est le hasard qui m’y a conduit.
Quelle part prennent les tâches administratives dans votre travail ?
En tant que responsable, je ne réalise plus de manipulations en laboratoire. La plus grosse partie de mon travail est l’interprétation des résultats et la rédaction de comptes rendus médicaux. A cela viennent s’ajouter les tâches administratives liées à la gestion d’équipe : demandes de congés, calculs de budget, etc. Et ma nouvelle fonction de référent en biosécurité est également principalement administrative.
Quels sont vos horaires de travail ?
Ils sont réguliers : de 8h30 à 17h00, en semaine. En cas d’urgence ou de problème, je pourrais être amené à rester plus tard, mais c’est assez rare. Le laboratoire est en service le samedi, il arrive qu’on me téléphone pour obtenir des précisions. Il faut être assez souple. Nous avons aussi des timings à respecter : pour chaque type d’analyse nous avons des délais de réponse à respecter. Par exemple pour les prélèvements de nouveau-nés suspectés d’être atteints de trisomie 21, nous avons environ 48 heures pour soumettre les résultats. Tout ce qui concerne le prénatal a un caractère d’urgence plus important car les résultats obtenus peuvent entraîner une décision sur le suivi de la grossesse. Les normes ISO auxquelles nous sommes accrédités nous imposent donc de préciser un délai pour chaque type d’analyse.
Quels sont les aspects positifs et négatifs de votre métier ?
J’ai la chance d’avoir un métier en relation avec mon diplôme. En tant que scientifique du Centre de Génétique Humaine, j’ai l’opportunité de travailler en étroite collaboration avec les médecins généticiens et les laborantins sous ma responsabilité, c’est très gratifiant. Mais qui dit plus de responsabilités dit aussi plus de stress dans le travail. Dans le domaine médical, on ne peut pas se tromper. On doit tout mettre en œuvre pour éviter le risque de faux positif ou de faux négatif, même si le risque zéro n’existe malheureusement pas. Nous devons aussi parfois travailler dans l’urgence, pour respecter les délais : il faut travailler vite et bien !
Quelles qualités faut-il posséder pour exercer ce métier ?
Rigueur, ordre et ouverture d’esprit. Il faut accepter de se former en permanence, être disposé à partir pour assister à des congrès ou formations. Il faut également posséder un côté humain, communicatif, parce qu’on peut être amené à gérer une équipe. Ce n’est pas toujours évident puisque notre formation ne nous y prépare pas.
Quel conseil donneriez-vous à une personne qui souhaite se lancer dans ce métier ?
Je l’encouragerais à choisir le métier qui lui plait et si la génétique humaine le passionne, qu’il n’hésite pas à se lancer. Il faut qu’il s’accroche dans ses études, car elles ne sont pas faciles.
Comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?
Je sais que les analyses que je réalise aujourd’hui ne seront peut-être plus d’actualité d’ici quelques années. Je vais continuer à me former, plus particulièrement dans le domaine de la biologie moléculaire. En effet, la génétique vire de plus en plus du chromosome, au niveau cellulaire, vers le gène, au niveau moléculaire. L’évolution technologique importante des dernières années a donc logiquement conduit à rassembler le laboratoire de biologie moléculaire et de cytogénétique autour d’un plateau technique unique. J’espère également pouvoir garder mon certificat de reconnaissance en génétique en conservant assez de crédits.
Si on vous demandait de présenter une thèse de doctorat pour conserver le certificat, le feriez-vous ?
L’idée pourrait être très intéressante mais en pratique, il faudrait que je ne fasse plus que ça pendant quelques années. Toutes mes analyses médicales devraient être prises en charge par quelqu’un d’autre. Le travail de recherche nécessaire à la rédaction d’une thèse prend énormément de temps, ce serait difficilement compatible avec mon travail de routine et ma vie de famille.
[1] L'anatomo-pathologie, ou anatomie pathologique est une spécialité médicale humaine et vétérinaire. C'est la partie de la pathologie dédiée à l'étude des anomalies des tissus biologiques et des cellules pathologiques prélevés sur un être vivant ou décédé.
[2] La cytogénétique est l'étude des phénomènes génétiques au niveau de la cellule, c’est-à-dire au niveau des chromosomes sans la nécessité d'extraire l'ADN.
[3] La biologie moléculaire est une discipline scientifique au croisement de la génétique, de la biochimie et de la physique, dont l'objet est la compréhension des mécanismes de fonctionnement de la cellule au niveau moléculaire.
[4] Une biopsie est un prélèvement d’une petite partie d’organe ou de tissu, pour effectuer des analyses. Dans le cas des biopsies tumorales, il s’agit de la présence de tumeurs et de cancers.
[5] Technique de procréation médicalement assistée et de transfert d'embryon. La fécondation est réalisée à l’extérieur du corps de la mère, contrairement à la fécondation naturelle dite in vivo.
[6] Le caryotype (ou caryogramme) est l'arrangement standard de l'ensemble des chromosomes d'une cellule, à partir d'une prise de vue microscopique.
[7] ISO 15189 est une norme internationale publiée par l’Organisation Internationale de Normalisation en 2012 qui spécifie les exigences de qualité et de compétence propres aux laboratoires de biologie médicale.
[8] Le génome est l'ensemble du matériel génétique d'un individu ou d'une espèce codé dans son acide désoxyribonucléique (ADN) - à l'exception de certains virus dont le génome est porté par des molécules d'acide ribonucléique (ARN).