Mr Patrice Jaucard, Artiste peintre
Quelle fut votre formation d'artiste peintre ?
J'ai entamé la filière classique des Beaux-Arts, mais je n'ai pas terminé cet apprentissage parce qu'il ne correspondait plus à aspirations. J'ai également fait des études de photographie, ce qui pourrait me servir si jamais poursuivre le chemin d'artiste peintre devenait vraiment trop difficile.
Est-ce déjà un aveu de pessimisme sur la possibilité de vivre de la peinture ?
Non, mais tout le monde sait que les peintres parvenant à vivre de leur art se comptent sur les doigts d'une main. Alors...
Qu'est-ce qui vous a poussé à devenir peintre ?
Enfant, j'adorais dessiner. Il me fallait toujours avoir des pastels ou des crayons sous la main, sinon je m'ennuyais. Mais si parents me demandaient ce que je voulais faire plus tard, je répondais vétérinaire ou médecin. J'ai eu une véritable révélation vers mes 15 ans quand je suis allé voir les expositions d'Europalia Autriche. Je réunis tout mon argent de poche et j'achetai des pinceaux et des couleurs. Après quelques années de gribouillis sur toiles, je m'inscrivis aux Beaux-Arts à Bruxelles.
Un autre déclic se produisit, je crois, lorsque je visitai le Musée d'Art Moderne de Beaubourg. Il existe une grande différence entre voir des toiles dans les livres et les voir face à soi. A Beaubourg, j'ai senti que mon amour de la peinture me portait vers un art non-figuratif. Dans un premier temps, j'ai voulu continuer l'académie mais une cassure s'était opérée par rapport à l'enseignement de mes professeurs.
Des catalogues de centres culturels où vous exposiez vous qualifient de peintre d'avant-garde ?
Oui, mais ce genre de qualificatifs, c'est de la littérature. Je n'en suis pas responsable. D'ailleurs, je déteste ce mot "avant-garde". Il sous-entend qu'un artiste aurait compris le sens d'un art avant ses contemporains. C'est ridicule et prétentieux. En outre, en 1996, il n'y a rien d'avant-gardiste à peindre du non-figuratif !
Pouvez-vous vivre de votre peinture ?
Je vis du chômage, pas de la peinture. A 26 ans, c'est normal. Pour qu'un peintre puisse vendre suffisamment de toiles ou recevoir des commandes, il doit être célèbre. Mais pour être célèbre, il doit vendre des toiles ou recevoir des commandes... Il y a dans le monde artistique de ces cercles vicieux abominables. Notez que j'ai déjà plus exposé et plus vendu que Van Gogh sur toute sa vie. Il y a donc de l'espoir:.. Néanmoins, j'espère que la situation va s'améliorer sous peine de devoir exercer un autre métier, probablement dans la photographie. Ce serait une immense déception. Que voulez-vous... Les métiers artistiques restent très aléatoires.
Le peintre qui veut percer doit se débrouiller tout seul ?
Il me semble, oui. En tout cas, les quelques expositions que j’ai pu faire, je les ai trouvées par moi-même, parfois aussi grâce à l'intermédiaire de certains amis qui aiment mon travail. J'ai vendu quelques toiles, et pas seulement à des copains ou à gens de la famille. Cela fait toujours plaisir de savoir que des personnes aiment votre travail. Cela donne le moral et conforte le peintre dans ses convictions.
Pouvez-vous expliquer comment se passe votre travail, comment vous créez ?
Je pars d'un postulat fondamental : j'essaie de recréer sur le chevalet une harmonie qui répond à la disharmonie habitant mon cerveau. Je pense être un chercheur de formes, de couleurs, de matières même lors de certains collages. Pour moi, l'art contemporain n'est pas dépourvu de sens. Face au chaos du monde il essaie de recréer un autre type d'harmonie. Alors, je cherche... et je jette de nombreuses toiles. Jusqu'au moment où survient l'illumination.
Quelles sont, à votre avis, les qualités requises du peintre ?
Il faut "ressentir" le beau. Je ne crois pas trop aux dons. Je crois par contre à une sensibilité artistique. Beaucoup de gens savent dessiner très correctement, mais ils ne sentent pas vraiment la frontière entre le "beau" et le "bien fait". Envers et contre tout, le peintre doit aussi rester fidèle à ses conceptions. Un artiste ne peut pas faire de compromis sous peine de perdre son âme.
Quels avantages voyez-vous au fait d'être peintre ?
Je ressens réellement ce besoin de recréer une harmonie contre les agressions presque permanentes du monde moderne. Il s'agit là d'un appel intérieur, de quelque chose d'absolument indispensable !
Et les désavantages ?
Le seul désavantage, c'est cette incertitude totale par rapport à l'avenir. Je ne sais pas combien de temps je pourrai continuer dans cette voie. Je serais très déçu si je devais abandonner la peinture pour exercer une autre profession. Vous me direz peut-être que je pourrais toujours peindre à mes heures de loisir. D'accord, mais pour moi, la peinture, c'est un temps plein, pas un hobby ! Mon hobby, j'aimerais que ce soit la photographie. Pas l'inverse !