Dr Patricia Awouters, Stomatologue

Interview réalisée en février 2015

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier ?

C'est surtout une activité chirurgicale mais une chirurgie qui est assez étendue dans toutes ses indications. Elle touche un petit peu l'esthétique, le fonctionnel, elle touche plein de domaines différents mais elle reste cantonnée évidemment à la tête et au cou. On reste très limité dans notre champ géographique. On fait de l'implantologie (pose des implants), on corrige les dysmorphoses (les malformations faciales), des gens qui sont rétrognathes ou prognathes. Tout cela peut être corrigé en collaboration avec le travail des dentistes et des orthodontistes. On fait évidemment de la chirurgie pour les grands cancers de la face, on enlève le cancer mais on reconstruit aussi le visage, donc là on touche à la fonction et à l'esthétique et tous les traumatismes de la face. Nous nous chargeons des extractions dentaires difficiles que les dentistes ne veulent pas entamer et on s'occupe aussi de toutes les pathologies des maxillaires, c'est-à-dire les kystes, les petites tumeurs et toutes les infections dentaires très importantes.

Ce n'est pas évident  de comprendre la distinction entre chirurgien maxillo-facial et stomatologue, pouvez-vous nous éclairer ?

En fait, la stomatologie tend à disparaitre. La stomatologie, c'est le préalable à la chirurgie maxillo-faciale. On a donc une double casquette, on fait des études de médecine et des études de dentisterie. Donc, on est médecin et dentiste et après cela, on a une formation chirurgicale (avant, certains étudiants arrêtaient après 2 ans de stomatologie, maintenant ils continuent tous et font 2 ans supplémentaire en chirurgie maxillo-faciale).

Lorsqu'on faisait deux années de formation chirurgicale, on faisait surtout de la petite chirurgie intra-buccale, donc on s'occupait de tout ce qui était complémentaire à ce qu'un dentiste ne fait pas, donc quand on doit toucher au niveau de l'os, cela nous incombait, et après, on pouvait compléter sa formation par deux ans supplémentaires de chirurgie maxillo-faciale.

Cela fait donc 7 années de spécialisation, donc trois ans de dentisterie et 4 années de chirurgie.

Maintenant, on ne s'arrête plus à la stomatologie. Tout le monde continue sur la chirurgie maxillo-faciale. Il s'agit donc de faire la médecine, la dentisterie, la petite chirurgie et la chirurgie maxillo-faciale. C'est donc une spécialisation très longue, je crois que c'est la plus longue en réalité.

Pourquoi cette évolution ?

Parce que c'est difficile de se cantonner à une seule petite partie et, qu'aujourd'hui, la petite chirurgie est prise en charge par de plus en plus de dentistes.

Il existe dans beaucoup de pays européens, de plus en plus de formations en petite chirurgie buccale pour les dentistes. Cela n'a donc plus de raison d'être que les médecins s'en chargent.

En Belgique, il existe encore des tas de stomatologues, dont je fais partie, puisque je n'ai pas fait la chirurgie maxillo-faciale, mais on a élargi notre champ d'action et on a, en tant que spécialistes, accès à la nomenclature, donc on fait des tas de choses qui sont du ressort de la chirurgie maxillo-faciale. Mais les nouveaux spécialistes sortants sont chirurgiens maxillo-faciaux.

Pouvez-vous expliquer votre parcours professionnel ?

Mon parcours professionnel est très simple. J'ai fait ma médecine, ma dentisterie, ma stomatologie et j'ai été engagée directement ici, en hôpital.

Beaucoup de stomatologues et de maxillo-faciaux ont une activité privée. Il y a plusieurs possibilités, on peut se consacrer à une activité purement hospitalière comme nous faisons ici ou à une activité en privé mais là on se cantonnera plus à de la petite chirurgie. Il est clair qu'on ne va pas pouvoir traiter les cancers en privé. On est donc plus limité dans sa pratique. On va faire l'implantologie, l'extraction des dents de sagesse, la petite chirurgie en privé mais on perd alors toute une partie de notre activité qui est très intéressante et qui demande une collaboration avec les ORL et les plasticiens. Donc, pour moi, c'était plus intéressant de travailler en hôpital même si les rémunérations ne sont pas les mêmes que lorsqu'on exerce en privé. La pratique est beaucoup plus intéressante en hôpital.

Le fait d'être cheffe de service implique, j'imagine, des responsabilités supplémentaires ?

Cheffe de service, en tout cas en médecine et tel que moi je l'entends, c'est plus un gestionnaire de service, on ne s'occupe absolument pas de la pratique médicale de ses collègues, on donne simplement des orientations dans la pratique de gestion, dans ce qui est de l'investissement du matériel, dans le fait d'informatiser le service, etc.

Cela n'a rien à voir avec la pratique médicale, c'est plus la gestion d'un service, donc si on doit engager du personnel par exemple, mais on n'intervient absolument jamais dans la pratique médicale de ses collègues. Le chef de service imprime seulement des courants de développement. Il va dire par exemple  : "On va développer telle sous-spécialité et donc on risque d'engager telle personne" mais pas plus.

Avec quels professionnels collaborez-vous le plus souvent ?

Nous, on collabore ici régulièrement avec des ORL parce qu'ils sont évidemment connexes puisqu'ils s'occupent eux aussi des cancers du cou, de la gorge et de l'arrière de la bouche.

On collabore aussi avec des plasticiens quand il s'agit d'effectuer des reconstructions de la face qui sont relativement compliquées, on fait appel à eux et on offre comme cela aux patients le meilleur de chaque spécialité. Ce sont les deux spécialités avec lesquelles on collabore.

Dans le cadre de certains traumatismes ou cancers touchant les yeux et l'orbite, on collabore aussi avec des ophtalmologues.

Que voyez-vous comme avantages à votre métier ?

Justement qu'il touche à plein de domaines différents. Dans la pratique médicale, on touche aussi bien des gens qui ne sont absolument pas malades que des gens très malades. On fait beaucoup de fonctionnel, mais de ce fait on touche aussi à l'esthétique. Quand on corrige des dysmorphoses, par exemple les fentes palatines, les maxillaires qui sont trop en avant, trop en arrière, trop étroites, on touche au fonctionnel en les réparant mais on touche aussi à l'esthétique.

Il y aussi des maxillo-faciaux qui vont vous faire des paupières, qui peuvent vous faire plein de choses au niveau de la face. Cela dépend un peu des intérêts de chacun, le chirurgien maxillo-facial va pouvoir se spécialiser vers quelque chose qui lui plaît un peu plus. Mais c'est très diversifié, contrairement à ce qu'on pourrait croire, dans un tout petit domaine comme cela, c'est vraiment diversifié.

Etes-vous vous-même spécialisée dans un domaine ?

Personnellement, non. Moi ce que je fais beaucoup, ce sont évidemment les dents de sagesse, la petite chirurgie buccale, les implants, les traumas et je participe, en seconde main, en assistant les chirurgiens maxillo-faciaux pour les cancers et les dysmorphoses importantes.

Voyez-vous des inconvénients dans votre métier ?

Comme pour toutes les professions médicales et surtout pour les femmes qui ont une vie de famille, je dirai les gardes qui sont difficiles à assumer. Comme on est peu nombreux, on assume des gardes plus fréquemment que dans d'autres spécialités où ils sont un peu plus nombreux. Ces gardes ne sont pas tellement lourdes mais dès qu'on a un traumatisme, on est obligé d'y aller, c'est surtout donc les traumas qui nous obligent à revenir. A part cela, je ne vois pas vraiment d'inconvénients.

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui s'intéresserait à votre spécialité ?

Je conseille à des médecins de faire ce genre de spécialité parce qu'on en a besoin même si, en Belgique, je crois qu'il y en a suffisamment maintenant puisqu'on a fortement réduit le nombre de personnes formées. Mais je trouve que c'est vraiment une très belle spécialité. Franchement, il ne faut pas hésiter à faire cela si on aime évidemment.

Avez-vous vu une évolution dans votre métier depuis que vous l'exercez ?

Nous, on a vu une évolution dans le type de pratique, oui. Quand j'ai terminé ma formation, on ne mettait pas d'implants par exemple. C'est quelque chose qu'on a dû apprendre après. Dans certains types de reconstruction, quand j'ai terminé mes études, on ne reconstruisait pas les défects dus à l'enlèvement d'un cancer de la même façon. Maintenant on a des pratiques qui permettent une reconstruction bien meilleure et qui permettent après, de mettre des implants, de faire des prothèses. Tout ce genre de choses ne se faisaient pas avant.

L'évolution est constante mais cela je crois que c'est pour toute la médecine. Vous ne pouvez pas vous arrêter à ce que vous avez étudié. Sinon, je ne ferais pas de scanners, je ne ferais pas d'implants. On est obligé de continuer à s'adapter à toutes les nouvelles technologies.
Dans le type de pathologie, on a plus de cancers, mais c'est une impression, je ne peux pas vous donner de statistiques franches et on a plus de traumatismes. Et les traumatismes ont changé de cause. Avant, on avait beaucoup d'accidentés de la route, maintenant, moins de motards, moins d'automobilistes mais on a plus d'accidents sportifs et surtout plus d'accidents sur bagarre. Il y a beaucoup plus de jeunes qui s'envoient et qui reçoivent des coups. Au moment où j'ai commencé, il n'y en avait presque pas et maintenant, la majorité de nos traumas sont dus à des coups. Donc, oui, cela évolue et cela changera probablement encore.

Quelles sont les qualités et les compétences requises pour exercer votre profession ?

Je dirais la motivation d'abord, pouvoir réussir ce type d'études et puis aimer le travail de précision. On travaille au millimètre, un peu comme les dentistes en fait, quand ils taillent une dent par exemple, ils travaillent à moins d'un millimètre. Nous aussi, quand on met des implants ou quand on fait des reconstructions, on doit être très précis. II faut vraiment aimer la précision, le travail bien fait et aller au bout des choses. C'est un métier manuel. C'est vrai qu'on est obligé de passer d'abord par une étape intellectuelle où on doit étudier une quantité phénoménale de matières mais dans la pratique quotidienne, c'est un métier très technique qui nécessite une certaine habilité manuelle.

Y a-t-il une journée type ?

Comme on dit toujours, on sait quand on commence, on ne sait pas quand on finit, cela dépend évidemment. On a notre consultation, on travaille très fort en consultation, on a des jours de consultation, des jours d'intervention sous anesthésie locale, des jours d'intervention sous anesthésie générale. Tout cela est programmé à l'avance, on a nos jours définis mais on a  les urgences qui viennent se rajouter. Ça, c'est évidemment typique d'une activité hospitalière. Vous n'aurez jamais cela dans le privé. Mais à l'hôpital, on peut me téléphoner dans deux minutes pour me signaler une personne traumatisée aux urgences et la journée sera alors complètement chamboulée.

Quelle est votre charge de travail sur une semaine ?

Moi, je ne travaille qu'à mi-temps. Mais tout est possible. Vous pouvez arranger vos horaires comme vous le voulez. Les horaires de travail vont vraiment être différents d'un praticien à l'autre. Cela dépend de la manière dont vous voulez aménager votre journée.

Maintenant, il faut savoir que les gens vont se libérer plus facilement après 17h. Mais, même nous ici, il est vrai que la plupart du temps, on arrête nos consultations vers 18h. On arrête souvent les interventions vers 17h30, on peut prendre encore l'une ou l'autre consultation. Par contre, pendant vos semaines de garde, vous n'avez pas d'horaire, vous devez prendre tout ce qui arrive.

Mais sinon, quand vous n'êtes pas de garde, la journée type, c'est plutôt 8h 8h30-18h, sauf quand on a de grosses interventions, on commence à 7h30 et on peut arrêter à 22h. Et puis, vous pouvez avoir une urgence qui arrive n'importe quand.

Il y en a de plus en plus qui ne travaillent pas plein temps et gardent une ou deux journées pour développer une activité privée ou s'occuper de leur famille. On fait vraiment comme on veut, mais il faut quand même bien travailler. Pour ma part, je ne travaille qu'en milieu hospitalier, je n'ai pas d'activité privée, j'ai trois enfants donc je m'occupe un peu de mes enfants aussi. C'est un choix tout à fait personnel.

Comment cela se passe au niveau de la formation continue ?

D'abord, elle est obligatoire pour pouvoir être accrédité mais, même ceux qui ne sont pas accrédités, font leurs formations. Ce qui se passe, c'est qu'on assiste à différentes conférences qui sont organisées soit dans le pays, soit à l'étranger, en international. C'est parfois bon de se frotter à des équipes étrangères pour voir ce qui se fait ailleurs et surtout confronter nos résultats par rapport aux leurs. C'est toujours hors heures normales, cela se passe le samedi, les week-ends.

On a aussi les groupes locaux d'évaluation médicale, c'est-à-dire qu'on se réunit entre personnes d'une même spécialité, de nouveau pour confronter nos pratiques médicales, nos prises de décisions et voir dans quel cas on prend quel type de décisions, quel type de traitements, etc. Cela se fait aussi pour uniformiser un petit peu nos pratiques et avoir le même type de réaction par rapport à certaines pathologies. On a cela et on a aussi une formation en éthique et en économie.

On n'y échappe pas. Et on lit des livres, des revues, on parle aussi entre nous. On organise pas mal de staffs pluridisciplinaires dans le cadre des cancers. On est obligé de faire des staffs pluridisciplinaires avec des radiothérapeutes, oncologues et ORL quand on est face à des cancers. Tous les cas cancéreux que nous voyons sont soumis à ces staffs pluridisciplinaires. Les décisions sont prises de manière collégiale. Il y a toute une partie de la pathologie simple pour laquelle on prend nos décisions seuls et dès qu'on a quelque chose qui nous turlupine ou pour laquelle on a une interrogation, tout cela est discuté avec les autres. Et, c'est cela qui est gai dans une activité hospitalière, c'est le fait d'avoir des collègues avec qui discuter.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.