Mme Paula Fuks, Psychomotricienne
Interview réalisée en janvier 2004 |
Pourriez-vous me donner une définition de la psychomotricité ?
Au sein de Youplaboum, la psychomotricité est avant tout une manière d'aborder l'enfant, à un niveau philosophique. L'idée, c'est "psycho", tout ce qui a trait à l'âme, au mental et "motricité", tout ce qui a trait au corps. Les petits enfants découvrent le monde à travers le corps en mouvement, les sens et les sensations. La psychomotricité place enfants et adultes en relation. L'enfant apprend en bougeant. C'est pour cela que nous avons de grands espaces avec des tables pour faire des activités mais aussi un module pour bouger, grimper, etc.
Nous proposons aussi des activités "matière" (peinture, terre, etc.), de la musique, de la cuisine. Nous estimons que la psychomotricité est dans tout : par exemple, lorsqu'un enfant peint, on ne va pas lui demander de suivre des lignes car la gestuelle, le corps en relation avec la matière sont aussi des données très importantes. La psychomotricité est un outil pour explorer le monde et découvrir les autres. Ce n'est pas ce qu'on apprend classiquement dans les études de psychomotricité. Par ailleurs, nous faisons aussi ce qu'on appelle classiquement des séances de psychomotricité.
Quelle est la différence entre Youplaboum et une crèche traditionnelle ?
Nous sommes reconnus comme un centre d'expression et de créativité et comme une maison d'enfants par l'ONE. Notre structure est très différente de celle des crèches traditionnelles que je considère comme "militaire", avec des sections, etc. Dans les crèches traditionnelles, la tendance est plutôt de penser qu'il est impossible de faire des activités avec les petits parce qu'ils font des bêtises ou ne participent pas. Ici, nous proposons toujours une activité au groupe entier, nous leur montrons d'abord en quoi l'activité consiste et ensuite, ils ont le choix de la faire ou non ; ils peuvent jouer s'ils préfèrent. Choisir de ne pas participer, c'est déjà faire quelque chose ; nous ne considérons pas cela comme une bêtise.
Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?
A dix-huit ans, j'ai choisi des études d'institutrice parce que je voulais changer le monde : pour moi, c'était par les enfants qu'on allait changer le monde de demain. Mon choix de travailler dans l'éducation était politique. J'ai fait de nombreux intérims en tant qu'institutrice, je trouvais ça chouette de découvrir différentes écoles et d'apprendre sur le terrain.
Puis, j'ai travaillé dans l'enseignement spécial, avec des enfants psychotiques. Avec eux, je me suis rendu compte qu'il fallait faire autre chose que de leur apprendre à lire et à calculer. C'est ce qui m'a poussée à suivre une formation en psychomotricité en promotion sociale (en deux ans, à Roux). Après, j'ai eu envie de créer une structure pour que les enfants n'aillent pas dans l'enseignement spécial. Youplaboum a aussi été conçu comme un projet politique. Pour moi, la valeur la plus importante à transmettre est la notion de groupe et ce qui en découle : la solidarité, l'entraide et le partage. Pour transmettre cette notion de groupe, il faut que l'équipe elle-même soit très soudée et portée par des projets communs.
Est-il possible de se consacrer professionnellement exclusivement à la psychomotricité ?
Quand j'ai étudié, dans les années '80, personne ne savait ce qu'était la psychomotricité. Lorsque je parlais de Youplaboum à ses débuts, les gens pensaient que je travaillais avec des handicapés. A présent, la psychomotricité est très recherchée dans le milieu de la petite enfance même si, aujourd'hui encore, certaines institutrices qui font de la psychomotricité ne savent pas très bien de quoi il s'agit. Le fait que le diplôme soit obligatoire est une bonne chose mais comporte un désavantage. Le Ministère prévoit plein de possibilités de diplômes : les professeurs de gymnastique, par exemple, pourront faire de la psychomotricité. Or, la psychomotricité, ce n'est pas de la gymnastique, même si la science psychomotricienne permet notamment d'expérimenter l'espace avec tout le corps. Les professeurs de gymnastique vont essentiellement s'attacher à la dimension motrice de la psychomotricité, et c'est une bonne chose en soi puisque, à l'école, les enfants sont confinés dans une classe toute la journée, mais ce n'est pas l'idée de la psychomotricité, qui englobe beaucoup d'autres choses, et notamment la relation aux autres.
Quelles sont les qualités principales que doit posséder un psychomotricien ?
Il faut aimer ce qu'on fait et avoir toujours envie d'apprendre. Il faut connaître ses limites et savoir ce qu'on aime et ce qu'on n'aime pas pour pouvoir permettre à l'enfant de ne pas aimer certaines choses. Il faut être capable de prendre des distances et accepter le danger tout en en étant conscient : être garant de la sécurité de l'enfant sans paniquer dès qu'il monte au sommet d'un espalier. Il ne faut pas être fusionnel avec les enfants. Je pense aussi qu'il faut être très ouvert et avoir une grande créativité : il faut pouvoir rebondir sur la construction d'un enfant et l'amener plus loin.
Quels sont les aspects les plus positifs de cette profession ?
On reçoit beaucoup des enfants. On les voit et on les aide à grandir. C'est aussi un métier qui peut être très créatif. En principe, c'est aussi un travail d'équipe. C'est un métier varié, puisqu'on voit beaucoup d'enfants différents.
Et les plus négatifs ?
Ce sont peut-être les points positifs qui deviennent négatifs : le fait de voir beaucoup d'enfants et de les accompagner pendant un laps de temps restreint sur une semaine. Il ne faut pas être lassé par la répétition. Ce qui peut être négatif aussi, c'est d'être engagé comme psychomotricien sans avoir de matériel ou d'espace adéquat, ce qui est très fréquent. Ce peut être aussi une certaine solitude, dans le cadre scolaire, parce que les instituteurs n'ont pas envie de s'impliquer : si le travail qu'on réalise n'est pas suivi en classe, cela peut entraîner de la lassitude.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite exercer ce métier ?
Il est fondamental d'apprendre à s'écouter soi-même pour écouter les enfants. Pour pouvoir réagir à ce que les enfants font, il faut connaître ses propres angoisses et limites.